L’agriculture CAUSE du réchauffement climatique

L’agriculture, et surtout l’élevage, ainsi que l’agro-industrie, font partie des gros émetteurs de gaz à effet de serre et sont donc des contributeurs majeurs du réchauffement climatique. Et nos fâcheuses habitudes alimentaires, qui conduisent à un énorme gaspillage, aggravent considérablement cette situation.

Dossier paru sur Futura Sciences le 30 novembre 2020

Les secteurs agricoles et alimentaires vont être très fortement impactés par les multiples conséquences du réchauffement climatique, comme nous l’avons vu dans les deux premiers dossiers de cette série. Continuer à manger malgré le réchauffement va donc nécessiter d’immenses efforts dans les décennies qui viennent. Il faudra donc à la fois trouver le moyen de produire malgré le réchauffement climatique et en plus arrêter de réchauffer dans cet acte de production et de distribution ! ça n’est heureusement pas impossible et nous détaillerons en plus plein de pistes de solution dans le dossier suivant.

L’agriculture, et surtout l’élevage, émettent le quart des gaz à effet de serre d’origine humaine

Pour limiter le réchauffement à 1,5°, il faut impérativement diviser par deux très rapidement nos émissions de gaz à effet de serre. On ne peut évidemment pas imaginer que cet effort colossal se fasse sans l’agriculture et l’alimentation (incluant l’élevage, mais aussi les changements d’affectation des sols). En France, ce secteur est en effet responsable du quart environ des 12 tonnes de gaz à effet de serre émis par chaque français.

Au niveau mondial, l’agriculture « pèse » 7 milliard de tonnes d’équivalent carbone ! Si on ne fait rien, ses émissions vont fortement augmenter, dépassant les 11 milliards en 2050 et nous mèneront droit à la catastrophe. Songeons que, si on exemptait d’efforts ce secteur réputé vital, que non seulement il ne diminue pas ses contributions, mais continue à les augmenter, et que les autres secteurs fassent « leur devoir » il pourrait en venir à émettre à lui seul plus de la moitié des gaz délétères ! Il doit donc apprendre à la fois à produire plus, et à diviser par deux, et si possible par trois, ses propres émissions !

Les émissions vont passer de 6 à 9 milliards, et, si on ne fait rien, à 11 !

Là, il faut rentrer dans les détails, car le gaz carbonique, dont tout le monde a entendu parler, ne représente en fait qu’une petite partie de la contribution à l’effet de serre du secteur agricole ; ce dernier est beaucoup plus émetteur de méthane et de protoxyde d’azote, qui sont malheureusement des gaz beaucoup plus délétères ; voyons cela de plus près !

L’agriculture émet évidemment du gaz carbonique

Les émissions du célèbre gaz carbonique CO2 proviennent essentiellement de la combustion des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz). Bien entendu, lorsqu’on brûle des plantes (par exemple de la paille ou du bois, ou des forêts entières), on émet aussi du gaz carbonique, mais c’est un jeu à somme presque nulle, puisqu’on rend à l’atmosphère le gaz carbonique que la plante a fixé dans les mois ou les années précédentes. Ce n’est pas du tout la même chose avec les énergies fossiles, car, dans ce cas, on remet dans l’atmosphère à grande vitesse le carbone qui avait été fixé par les forêts tropicales il y a des millions d’années !

Il y a encore quelques années, l’agriculture en émettait peu, alors que maintenant elle s’y met de plus en plus, à cause de la mécanisation et des transports incessants engendrés par la division mondiale du travail qui a également touché ce secteur. Par exemple, dans les années 1950 et 1960, le passage de la traction animale à la généralisation du tracteur a permis d’augmenter la production agricole de façon très importante, car auparavant on estimait que près du tiers des surfaces agricoles était destiné à produire le fourrage qui nourrissait les bœufs et les chevaux de trait. Simultanément on a abusé des engrais et pesticides, qui sont de très gros émetteurs. Le prix à payer a été triple : forte baisse de l’emploi dans l’agriculture, grande dépendance aux énergies fossiles, et forte augmentation des émissions de gaz à effet de serre.

Il y a à peine un siècle, en plus de l’énergie solaire et des énergies humaines et animales, il fallait ajouter 1 calorie fossile pour produire 1 calorie alimentaire, maintenant il en faut de l’ordre de 100 fois plus ! Un exemple particulièrement caricatural est fourni par la production de légumes de contre saison dans des serres chauffées.

On peut d’ailleurs observer qu’historiquement les cours du blé, des engrais et du pétrole ont été fortement corrélés depuis plusieurs décennies.

Mais d’autres activités produisent ce gaz dorénavant nocif : la production et l’utilisation de fertilisants de synthèse et de pesticides, la déforestation et le changement des couverts végétaux, l’oxydation de la matière organique dans les sols, l’abattage des animaux et transformation des produits issus de l’agriculture et l’élevage.

Lorsqu’on brûle des arbres, on relâche directement ou indirectement et très rapidement le carbone stocké parfois pendant des siècles. Notons que ce phénomène, qui diminuait au début des années 2010, a repris de plus belle entre 2018 et 2020, en particulier avec l’encouragement du président brésilien Jair Bolsonaro et à cause de gigantesques incendies en Russie, en Californie, en Australie, en Afrique et ailleurs. On parle là de 12 à 18 millions d’hectares qui partent en fumée en une seule année !

Incendies en Amazonie 22 août 2020

Comme l’avais déjà observé Chateaubriand : « Les forêts précèdent les hommes, les déserts les suivent », et maintenant on sait qu’on peut ajouter aussi le réchauffement !

Bien entendu, on peut reforester, mais il faut bien se rendre compte et qu’il faudra beaucoup de temps pour que ces nouveaux arbres, dont une bonne partie sont aussi destinés à limiter l’expansion des déserts, arrivent à survivre déjà, puis à capter autant de carbone que les très grands arbres abattus dans les pays tropicaux humides. Pour le moment, la balance est nettement déficitaire.

Reforestation et Chine et au Pakistan

Au total, on estime que l’agriculture produit de l’ordre de 9 % des émissions de CO2 (soit un peu moins de 3 milliards de tonnes sur plus de 30), un gaz responsable à lui tout seul de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Elle est donc à l’origine, à ce seul titre, de l’ordre de 5 % du réchauffement global. Et ceci est principalement dû aux agricultures « modernes », dont celle de l’Europe de l’ouest, comme on peut le voir sur la carte de la consommation d’énergie dans l’agriculture (en tonnes d’équivalent pétrole par hectare) ; elle montre par exemple que, contrairement aux idées reçues, les agricultures intensives américaines le sont néanmoins beaucoup moins que les européennes.

Consommation d’énergie dans l’agriculture (en tonnes d’équivalent pétrole par hectare)
Données FAO – Graphique PNUE-GRID

L’agriculture émet beaucoup trop de méthane

Venons-en à un autre gaz sur lequel l’agriculture est championne, puisqu’à elle seule elle en produit la moitié : le méthane CH4, au pouvoir réchauffant 23 plus élevé que le CO2, en particulier car une fois émis, il reste beaucoup plus longtemps dans l’atmosphère.

NB. : Le GIEC a élaboré un outil de comparaison des différents gaz, le PRG, Pouvoir réchauffant global sur 100 ans, qui dépend à la fois de son pouvoir instantané et de sa durée d’élimination de l’atmosphère.

Comme ce gaz apporte au total 15 % des émissions humaines causant le réchauffement de la planète, l’agriculture contribue donc à ce titre de l’ordre de 7,5 % du réchauffement global (qui s’ajoutent aux 5 % mentionnés auparavant avec le gaz carbonique).

Feu follet

Le méthane est un produit de la décomposition de la matière organique en milieu chaud et humide. La Terre en produit naturellement, essentiellement dans les zones humides du type marais et marécages, voire dans les cimetières, Parfois il s’enflamme spontanément au contact de l’oxygène de l’air, ce sont les feux follets, à la source de nombreuses croyances et légendes quand on ne savait pas l’expliquer, et qui deviennent des attractions touristiques dans nos marais.  

Les rizières couvrent 160 millions d’hectares dans le monde !

L’homme aggrave fortement ce phénomène, qui se produit couramment dans les rizières, lesquelles émettent à elles seules 10 % du méthane émis par l’homme dans le monde, et qui vont se développer considérablement dans les prochaines décennies pour mieux nourrir les nouveaux habitants de la planète.

1 kilo de riz réchauffe autant que 25 km en voiture

La production d’un kilogramme de riz correspond à l’émission de 120 g de méthane qui « équivaut » donc à 2,8 kilos de gaz carbonique, soit pour fixer les idées l’équivalent de 25 km en voiture ! La riziculture mondiale émet donc 60 millions de tonnes de ce gaz par an, qui équivaut en pouvoir réchauffant à 1,4 milliards de tonnes de gaz carbonique. Il faut donc impérativement inventer et diffuser les techniques qui permettent de produire davantage de riz en émettant moins de méthane.

Riziculture intensive : moins d’eau, plus de riz, moins de méthane !

Par exemple, dès 1983, le père Henri de Laulanié a découvert à Madagascar que le riz n’est pas une plante aquatique et a recommandé de vider régulièrement l’eau des rizières, ce qui diminue drastiquement les émissions de méthane. En repiquant de façon plus espacée des grains de riz germés plus précocement, la plante va puiser l’eau plus profondément dans le sol, et développe mieux ses racines, et au final produit 2 à 4 fois plus de grains à l’hectare, sans apports d’engrais… Dans ce système dit de « riziculture intensive », la rizière fixe davantage de carbone et émet moins de méthane, mais il ne s’est malheureusement que peu développé jusqu’à présent, car la tradition et la résistance au changement restent vivaces. On peut néanmoins espérer que les exigences de la lutte contre le réchauffement climatique arriveront à faire mieux bouger les lignes que celles de la lutte contre la faim…

Cela dit, rien n‘est simple : on a découvert récemment que cette solution n’était finalement pas une panacée, car, si le méthane est produit lorsque les sols sont constamment immergés lorsqu’ils ne le sont que de façon intermittente, ils génèrent davantage de protoxyde d’azote, dont on parlera au chapitre suivant, et qui est encore plus réchauffant. Pour minimiser la totalité des gaz à effet de serre produits par les rizières il faudrait limiter le niveau de l’eau à plus ou moins 5-7 centimètres au-dessous ou au-dessus du niveau du sol, un équilibre difficile à atteindre…

Mais la principale source de méthane reste l’élevage des ruminants, vaches, chèvres et moutons. Ils ne digèrent pas complètement leurs aliments qui fermentent et produisent du méthane, lequel  ressort sous forme de rots, ou de pets.

Les pets et les rots des vaches sont bourrés de méthane.

Une seule vache peut émettre 100 à 500 litres de méthane par jour, 65 kilos par an (un mouton 7 kilos, une chèvre 12, un cheval 21).  À cela s’ajoutent les déjections qui continuent leur décomposition.

Une vache réchauffe autant qu’une voiture !

En fait, une vache produit annuellement environ la même quantité de gaz à effet de serre qu’une voiture : une voiture fait en moyenne 15 000 km à 112 g de CO2 par kilomètre, donc émet 1,7 tonnes de ce gaz par an, une vache 65 kilos de CH4, équivalent à 1,5 tonnes de CO2 !

On estime ainsi que l’élevage émet à lui seul 37 % de tout le méthane dû aux activités humaines (de l’ordre de 2,2 milliards de tonnes sur près de 6). Il est vrai que, dans l’autre sens, le carbone de l’atmosphère est fortement capté par les prairies que broutent les vaches, mais en absorbant du gaz carbonique et en rejetant du méthane, le bilan reste fortement négatif !

Émissions de gaz à effet de serre dues à l’agriculture (Tonnes d’équivalent CO2 par hectare)

Cette carte de France des émissions nettes totales 1993-2003, en tonnes de CO2 équivalent par hectare, montre avec éloquence que, plus il y a d’élevage intensif dans une région (par exemple dans l’ouest, en rouge), plus on y rejette de gaz à effet de serre à l’hectare, alors que dans les régions boisées ou d’élevage extensif (par exemple dans les Alpes, en vert), on en capte.

On peut probablement relativiser ces chiffres, car depuis peu on arrive à mesurer par un satellite spécialisé (Sentinelle 5p) les fuites de méthane dans les installations pétrolières. En effet il est moins cher de relâcher tel quel le méthane que de le contrôler et le brûler dans des torchères (un acte déjà très polluant, mais quand même trois fois moins). Avec un prix du baril faible, de nombreuses sociétés ont décidé de réduire leurs coûts, comme en Algérie, au Turkménistan en Iran, en Irak et en Russie, voire, comme aux USA, elles ont fait faillite et sont parties en laissant les fuites s’écouler.

Fuites de méthane aux USA
Détectables maintenant par satellite

De plus, dans les zones froides comme la Sibérie, quand le sol dégèle, le pergélisol peut libérer du méthane.

Donc, les émissions de méthane dans le monde ont probablement été fortement sous-estimées, et avec la COVID, elles ont fortement augmenté ; ce qui n’est aucunement une raison de ne pas lutter résolument contre les émissions des rizières et des élevages de bovins !

L’agriculture est une spécialiste du protoxyde d’azote

Épandage d’engrais azotés

Mais le pire reste à venir : il faut également prendre en compte un autre gaz extrêmement réchauffant (298 fois plus que le gaz carbonique !), le protoxyde d’azote N2O, émis lors de la décomposition des excréments et des fertilisants de synthèse. Le secteur agricole émet les deux tiers de ce polluant, soit environ 18 milliards de tonnes sur 28. Il s’agit en fait de la principale source de réchauffement causé par l’agriculture, qui représente 12,5 % du réchauffement global de la planète, soit à elle seule autant que le gaz carbonique plus le méthane agricoles. Surnommé « gaz hilarant » dans ses applications médicales, ce gaz ne nous fait plus rire du tout !

Les émissions agricoles de protoxyde d’azote sont, pour une moitié, directes, juste après l’apport d’engrais azotés. Si on le veut vraiment, on peut néanmoins les réduire en agissant sur la quantité apportée, le type d’azote utilisé (nitrate, ammonitrate, urée), la forme de l’engrais (liquide ou solide), et le choix de la date de l’apport (humidité du sol avant, température et pluviométrie après).

L’autre moitié des émissions est indirecte : elle résulte des processus de transformation des produits azotés via les micro-organismes du sol (minéralisation, nitrification, dénitrification) ; ces phénomènes sont beaucoup plus difficiles à maîtriser. On peut donc d’une part inciter les agriculteurs à épandre moins d’azote, en se rapprochant des quantités que peuvent effectivement absorber les plantes (au lieu de forcer sur les doses en espérant que ce sera efficace) et à utiliser les formes les plus adaptées et au meilleur moment, et d’autre part activer la recherche de formulations plus efficaces et moins délétères.

Et surtout d’arrêter de labourer et de laisser les champs nus pendant de nombreux mois, ce qui favorise considérablement les émissions de protoxyde d’azote, et évite de capter du carbone avec le soleil d’automne et d’hiver, deux aggravations simultanées du réchauffement climatique !

Explosion de stocks d’engrais à Beyrouth

Notons au passage que les usines de production d’engrais azotés sont de grosses consommatrices de gaz, et polluantes, et que les lieux de stockage sont dangereux, ce produit ayant une fâcheuse propension à exploser, comme on l’a vu par exemple à Toulouse et à Beyrouth !

Légumineuses

Dans tous les cas, on ne se trompe pas en apportant moins d’azote exogène, et en privilégiant l’apport plus naturel des plantes qui savent fixer l’azote de l’air et le stocker sous forme de nodules autour de leurs racines, les légumineuses : soja, pois, haricot, fève, lentille, lupin, féverole, etc., mais aussi légumineuses fourragères : trèfle, luzerne, vesce, etc.

On peut les planter en alternance avec les céréales (rotations de plantes), ce qui permet de diminuer de 11 à 16 % les émissions des gaz à effet de serre dans le cas d’une rotation sur 5 ans, soit de 2 tonnes de CO2 par hectare et par an. Depuis quelques années, on découvre qu’on peut même les planter en même temps que les céréales, en association, chaque plante aidant l’autre à pousser : ce sont les « associations de plantes à faibles intrants ». Par exemple associer du blé et des pois, ou avec du soja. Notons que dans les deux cas la récolte est meilleure quand on associe les plantes que quand on les plante dans des champs séparés, avec beaucoup moins d’apport d’azote minéral, et beaucoup moins d’émission de gaz à effet de serre ! Sans compter que l’on produit ainsi des protéines excellentes pour l’alimentation, des hommes et des animaux.

Association Blé et pois (France) – Association blé et soja (USA)

En rééquilibrant notre alimentation vers moins de protéines animales et davantage de protéines végétales, on fait d’une pierre deux coups en matière de réchauffement climatique : moins d’émission de méthane et moins d’émission de protoxyde d’azote !

Et, bien entendu, lorsqu’on pratique l’agriculture de conservation des sols, sans labour, et qu’on couvre le sol en permanence, les cocktails de plantes cultivées en « cultures intermédiaires » contiennent toutes des plantes légumineuses, comme la moutarde, la phacélie, la vesce ou le trèfle d’Alexandrie : elles assurent alors la couverture permanente du sol tout en fixant du carbone et de l’azote.

Plantes de couverture semées juste après la moisson. A l’automne elles sont simplement rabattues pour semer dedans et se transforment en engrais !

Rappelons qu’en la matière, la France a fortement régressé depuis 1960, date à partir de laquelle la Communauté européenne a permis l’entrée sans droits de douane du soja, utilisé dans l’alimentation animale.

Les surfaces plantées en légumineuses ont fortement diminuées

En 1960 les légumineuses couvraient 3 500 000 hectares en France (17 % des terres arables, majoritairement en cultures fourragères, luzerne et trèfle) ; en 2010 on n’en était même pas à 300 000 hectares pour les légumineuses à graines, majoritairement pois et féverole maintenant un peu plus de 400 000 (contre 9,4 millions d’hectares en céréales !) ; en rajoutant le trèfle et la luzerne on ne dépasse guère le million d’hectares.

Trèfle et luzerne

En comparaison, ces cultures occupent entre 10 et 25 % des surfaces en Amérique du Nord et en Asie. Il s’agit ni plus ni moins que de regagner le terrain perdu, à la fois pour des raisons d’indépendance de notre élevage, de fertilité de nos sols et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

La spécialisation géographique des productions agricoles a également considérablement aggravé le phénomène, car elle génère en permanence un excédent de déjections animales dans l’ouest de la France, provoquant un fort excédent d’apport azoté sur les terres où elles sont épandues et un recours excessif aux engrais minéraux dans les bassins céréaliers, faute de fumiers et lisiers. Revenir à une agriculture mixte, en réintroduisant un peu d’élevage dans les bassins céréaliers et davantage de céréales dans les zones d’élevage pourrait nettement améliorer les émissions carbone de la France, et des légumineuses partout (en cultures associées chaque fois que possible). Cela provoquerait possiblement une légère baisse de production, mais ce n’est pas prouvé ! De plus, cela permettrait d’améliorer notablement la pollution des nappes phréatiques, des rivières et des plages par les excès de nitrates lessivés des sols agricoles.

En Beauce, des céréales, en Bretagne, de l’élevage, dans les deux cas des excès d’azote dans les sols !

Que faire, agriculteurs et consommateurs ?

En synthèse, en France, les émissions de gaz à effet de serre de provenance agricole sont donc principalement dues aux phénomènes suivants, dans lesquels on voit bien la part prépondérante prise par l’élevage (Source : CITEPA, Centre professionnel technique d’études de la pollution atmosphérique, www.citepa.org/fr/) :

  • Fertilisation azotée des sols agricoles : 46 % (source : N2O)
  • Fermentation entérique (« pets et rots » des ruminants) : 28 % (source : CH4)
  • Déjections animales et riziculture : 13 % (source : CH4), plus 5 % (source : N2O)
  • Consommation d’énergie : 8 % (source CO2)

Ces chiffres sont un peu différents de ceux donnés ci-dessus, mais c’est l’ordre de grandeur qui compte… D’une manière générale, les évaluations précises sont à prendre avec prudence, car il est très difficile de mesurer finement ce qui se passe au niveau mondial. Pourtant, quelle que soit leur approximation, une chose est sûre, l’agriculture et surtout l’élevage ont une responsabilité importante dans la part due à l’homme dans le réchauffement de la planète.

Dans les autres pays européens, les répartitions sont un peu différentes, puisqu’en moyenne il y a un peu moins élevage, et qu’on épand moins d’azote sur les sols ; la part due à la consommation d’énergie est plus important.

Les marges d’amélioration possibles se situent à la fois au niveau des agriculteurs et éleveurs, et au niveau des consommateurs. En effet ces derniers peuvent tout à fait choisir de manger moins de viande (en particulier de ruminants), de privilégier les produits de saison locaux de saison, ou de moins gâcher, etc. C’est quand même assez rassurant de voir que finalement chacun peut agir !

Et là, attention à ne pas se tromper de combat ! Beaucoup de gens se polarisent en France sur le problème de la nourriture locale, pensant que la réduction du kilométrage franchi par la nourriture du champ jusqu’à son assiette est un objectif absolument fondamental du point de vue du réchauffement de la planète. Il l’est certes lorsque certains produits voyagent par avion, mais absolument pas quand ils prennent le bateau ! Si le gaz carbonique ne représente au total que de l’ordre de 8 %des gaz à effet de serre présents dans notre assiette, la part due au transport du produit fini ne représente que quelques pourcents ! Les méthodes de production et d’industrialisation sont beaucoup plus impactantes.

Les moutons de Nouvelle Zélande se nourrissent à l’herbe toute l’année et produisent ainsi moins de gaz à effet de serre.

C’est ainsi qu’on a pu constater que l’agneau de Nouvelle-Zélande, élevé toute l’année à l’herbe, arrive au port du Havre chargé de moins de gaz à effet de serre que celui du Massif central, lequel passe une partie de l’année en bergerie à manger de la nourriture contenant des céréales et légumineuses qui ont elles-mêmes été transportées (en tonnage nettement supérieur). Ou bien qu’à partir du mois de février la pomme du Chili… arrivée par bateau à travers le canal de Panama pèse moins de gaz à effet de serre que celle de Normandie, qui a été conservée pendant six mois dans une armoire réfrigérée… On ne parle là bien sûr que du réchauffement de la planète, les choix de consommation peuvent aussi être faits à partir d’autres critères comme le développement local ou la solidarité nationale.

En revanche on ne se trompe pas en diminuant le gaspillage. Par exemple gaspiller un pain équivaut en matière de réchauffement de la planète à rouler en voiture pendant 2 km 200 ou allumer une lampe pendant 32 h, et gaspiller un steak de bœuf équivaut à rouler en voiture pendant 5 kilomètres, allumer une lampe pendant 70h où faire tourner 4 fois son lave-vaisselle, des chiffres qui font quand même réfléchir !

Source : Institut Bruxelles environnement  http://www.bruxellesenvironnement.be/

Rappelons-nous de nouveau pour commencer que lorsqu’on achète un produit, on achète le monde qui va avec : aujourd’hui, nous achetons du gâchis et du réchauffement ! Et demain que choisirons-nous d’acheter, individuellement et collectivement ; ferons-nous nôtre un des slogans du Ministère : « Manger c’est bien, jeter ça craint » ou bien « Manger c’est cool, gâcher c’est les boules » ?

Au delà du gâchis, on peut également mieux choisir ce que l’on mange ! Le site de l’association de restaurateurs Bon pour le climat donne de façon très simple le poids de gaz à effet de serre par produit consommé (en kilo de gaz carbonique par kilo mangé), ce qui permet à chacun, restaurateur ou maitresse de maison, de faire ses choix en connaissance de cause en comparant divers menus. Par exemple :

  • Fruit ou légume frais de saison produit localement : 0,15
  • Fruit ou légume frais hors saison importé par avion : 3 (soit 20 fois plus !)
  • Farine de blé (et pain) : 0,6
  • Beurre, production locale : 9,1 (soit 15 fois plus !)
  • Poulet, production locale : 2,1
  • Veau, production locale : 14,0 (soit 7 fois plus !)

Ce schéma par exemple explique que, pour produire la nourriture annuelle d’un végétarien qui ne mange que du bio, on a émis l’équivalent de l’émission de gaz à effet de gaz à effet de serre de 291 kilomètres en voiture, alors que pour un carnivore en agriculture conventionnelle on a produit l’équivalent de 4758 kilomètres, 16 fois plus !

Ne pourrait-on pas, par exemple, exiger que les restaurants nous indiquent la quantité de gaz à effet de serre de chacun des menus proposés, à commencer par ceux des cantines des écoles et collectivités ? Quand est-ce qu’on s’y met ?

80 % de notre alimentation est passée par la case « industrie »

Réalisons de plus que les dépenses consacrées à l’achat de produits « bruts », par exemple des légumes ou des fruits frais en vrac, ou de la viande fraîche, ne représentent plus que 20 % de l’ensemble de ce que nous consacrons à l’alimentation (en moyenne). Le reste de nos dépenses est consacré à des productions de l’industrie agro-alimentaire : pâtes, conserves, surgelés, plats préparés, biscuits et confiseries, boissons, etc. Or ces industries consomment de l’énergie en direct, et donc émettent des gaz à effet de serre qui seront « inclus » dans les produits que nous achèterons ensuit : en France, 15 % de la consommation d’énergie de l’industrie est le fait des industries agroalimentaires. Ensuite ces produits sont généralement emballés. Il se trouve que la fabrication d’emballages consomme une fraction significative des matériaux « de base » que nous produisons (acier, aluminium, plastiques, etc.). Tous usages confondus, cette production de matériaux de base est responsable de 70 à 80 % des émissions de l’industrie, avec donc une partie de cet ensemble qui se retrouvera dans ce que nous achetons au supermarché ». Pour la planète, revenons donc à des produits simples et peu emballés !

Les plus grandes firmes agroalimentaires et leurs myriades de marques

Observons que les dix plus grosses entreprises du secteur agri industriel (Associated British Foods, Coca-Cola, Danone, General Mills, Kellogg’s, Mars, Mondelez International, Nestlé, PepsiCo et Unilever) émettent chaque année 263,7 millions de tonnes de gaz à effet de serre, soit un peu plus que l’ensemble des pays scandinaves (Finlande, Suède, Danemark et Norvège réunis ).

De l’énergie à gogo, du labour au micro-ondes

Si on compte absolument tout (y compris l’énergie dépensée dans nos plaques chauffantes, fours, réfrigérateurs, congélateurs, lave-vaisselle et autres équipements électro-ménager), on peut donc estimer que c’est environ le tiers des émissions de gaz à effet de serre de notre pays qui est lié à notre alimentation. Au sens propre, nous avalons du gaz et du pétrole, et nous recrachons du gaz à effet de serre.

Imaginons un monde où le consommateur serait vraiment informé sur l’impact de chaque produit (emballage compris) sur sa propre santé et celle de la planète, ce serait une vraie avancée démocratique…

Cela constituerait une base pour conduire une vraie politique non hypocrite de baisse de baisse « démocratique et citoyenne » des émissions de gaz à effet de serre de chaque citoyen, telle que préconisée par les tenants du « Compte carbone ».

Mais il y a mieux dans cet univers jusque-là assez déprimant : non seulement on peut se faire à manger en réchauffant moins la planète, mais encore l’agriculture activement contribué à refroidir la planète en fixant beaucoup de carbone de l’atmosphère dans le sol. Ce sera l’objet du dossier suivant : L’agriculture solution au réchauffement de la planète.

Pour aller plus loin

  • Une vidéo de l’auteur, qui détaille et illustre ce dossier :
  • Les deux dossiers précédents sur Futura et sur le blog nourrir-manger, sur le thème de L’agriculture Victime du réchauffement, dans les pays tropicaux, et en France. Chacun d’eux également munis de leurs vidéos pédagogiques et illustratives, ici et .
  • Le dossier et là vidéo sur L’agriculture, Solution au réchauffement (à paraître en janvier 2021)
  • Un livre de synthèse, présentant tous ces aspects : Agriculture, alimentation et réchauffement climatique, téléchargeable gratuitement ici
Vidéos disponibles sur ma chaîne You Tube : http://nourrir-manger.com/video

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
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2 réponses à L’agriculture CAUSE du réchauffement climatique

  1. Jacques-Olivier Garda dit :

    Ce serait bien de mentionner les différentes sources que vous utilisez : cela permettrait de poursuivre et approfondirbien cordialement,

    • BrunoParmentier dit :

      Oui bien sûr ; mais d’un côté ça alourdit beaucoup la lecture et je ne prétend faire que de la vulgarisation, pas une oeuvre scientifique.
      Mais je vais faire un effort dorénavant !

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