Quand on achète un avocat, on achète le Mexique qui va avec

Quand on achète un produit, qu’on le veuille ou non, on achète le monde qui va avec. Voyons un peu ce que cette sage maxime implique en ce qui concerne les avocats.

La demande mondiale a explosé ; la production aussi, qui est passée 3,7 millions de tonnes en 2010 à 7,2 millions de tonnes en 2019 ! Et le tiers est produit au Mexique, dans ses conditions sociales et écologiques d’aujourd’hui…

Qu’y a-t-il derrière l’image écolo-diététique-glamour ?

Voilà un fruit originaire du Mexique et d’Amérique centrale, et qui a toujours été fortement consommé sur place sous de nombreuses formes. Jusqu’à il y a quelques années, on en trouvait très peu en Europe vu les difficultés de conservation de ce produit éminemment tropical (tout comme la mangue, autre fruit vraiment excellent et vraiment tropical)

Une explosion de la demande mondiale

L’avocat est devenu le 6e fruit le plus consommé au monde derrière la banane, le raisin, la pomme, l’orange et l’amande.

Et puis soudain, il est devenu à la mode, en particulier aux États-Unis, ce qui est assez logique vu le nombre de personnes d’origine mexicaines qui y résident, mais aussi en Europe, et tout particulièrement en France, pays des gastronomes. Les grands cuisiniers et les diététiciens ont commencé à en dire le plus grand bien. Il est bourré de vitamines et serait bon pour le transit intestinal, le cœur, la vue, les femmes enceintes, et permettrait de lutter contre  le cholestérol, le cancer, les douleurs des règles, etc. En moyenne, un foyer français en mange dorénavant 3 kilos par an.

Le Mexique, de loin le premier producteur mondial

Regarder ce qui se cache derrière la pub…

Le Mexique a bien entendu tenté de conserver son avantage sur cette production ; il reste de très loin le plus gros pays producteur mondial et représente à lui tout seul à peu près le tiers de la production mondiale ; elle a doublé depuis 2010, passant de 1,1 à 2,3 millions de tonnes.

Les autres gros producteurs sont aussi latino-américains : République dominicaine, Pérou, Colombie, mais ils produisent beaucoup moins. En dehors de l’Amérique latine, 2 pays ont réussi à s’insérer significativement sur ce marché mondial, l’Indonésie et le Kenya, mais avec des quantités qui restent modestes par rapport à celles du Mexique. D’autres tentent le coup, mais avec des quantités pour le moment nettement moins significatives, en particulier Chili, Israël, Ethiopie, Espagne, Malawi, Afrique du Sud.

Cultiver l’avocatier dans les pays secs est une aberration

Des pays ensoleillés mais arides s’y sont donc mis pour tenter de profiter de cette manne. Cela y provoque de nombreux conflits locaux pour l’accès à l’eau, car l’avocatier est un arbre des tropiques humides qui a besoin d’énormément d’eau pour pousser, et que, quand elle ne tombe pas naturellement du ciel, il faut irriguer abondamment. On estime qu’il faut de mille à deux mille litres d’eau par kilo d’avocat (contre environ 200 pour les tomates et 150 pour la salade), et un hectare qui en produit 7 tonnes par an doit donc y recevoir de l’ordre de 10 000 tonnes d’eau par an !

De l’art de transformer le sud de l’Espagne en désert à l’aide d’arbres fruitiers tropicaux… CÉSAR DEZFULI POUR « LE MONDE 

C’est ainsi que les 10 000 hectares plantés en avocatiers et manguiers en Andalousie font carrément le risque d’un « effondrement hydrologique » de la région, malgré des techniques sophistiquées de paillage et de gestion économe de l’eau. L’idée du circuit court qui pourrait amener à préférer l’avocat d’Espagne à celui du Mexique se heurte au bons sens agronomique : c’est une hérésie de consommer des fruits issus de l’implantation d’arbres du tropique humide sur des terres arides, à la place des cultures plus naturelles d’oliviers et de vignes qui s’y trouvaient auparavant. Ce qui n‘est pas le cas lorsqu’on arrive à y acclimater des plantes moins gourmandes en eau comme le Kiwi.

Donc, au sens strict, quand on se met à consommer beaucoup plus d’avocats, c’est évidemment très bon pour le goût et le moral, et probablement notre santé physique, mais… on contribue activement à transformer le sud de l’Espagne en désert… ou bien on consolide la structure sociale du Mexique qui va avec !

Le Mexique qui va avec les avocats : violences et pesticides

C’est une grande erreur de penser que le monde est conforme à nos rêves et nos espoirs ; quand on parle de millions de tonnes d’un seul produit, on a forcément affaire à une production complètement industrielle, et conforme à la situation politique, économique et sociale du pays producteur.

C’est ce qui se passe par exemple pour l’amande, qui est un produit devenu très à la mode (notamment à cause du lait d’amande jugé par beaucoup plus sain que le lait de vache), et dont 80 % de la production mondiale est située en Californie. Cela provoque dans cette région d’énormes pénuries d’eau et une véritable hécatombe des abeilles, car on transporte environ 3 millions de ruches chaque année sur des milliers de kilomètres pour réussir à polliniser les arbres, sans compter de fort excès de pesticides, logiques dans une situation de monoculture.

Un arbre magnifique… qui a attiré l’attention des narcotrafiquants

Dans ce cas de l’avocat, que se passe-t-il au Mexique ? Ce pays est littéralement gangrené par la violence et la mise à sac imposée par les cartels de la drogue… et en particulier dans ses états de Michoacan et de Jalisco, où se concentre la production. Il y a des milliards de dollars à gagner et bien évidemment ça ne peut pas laisser indifférents les dit cartels, qui ont besoin de diversifier leurs revenus et de blanchir leur argent sale. De plus leurs revenus baissent en raison de la dégringolade du cours du pavot due à la hausse de la production d’opioïdes de synthèse. Dans le même temps, le prix de l’avocat a explosé, à tel point que beaucoup de mexicains ne peuvent plus en consommer ! Cet or vert occupe maintenant une place centrale dans les économies du crime organisé.

La production d’avocats mexicaine est gangrénée par les narcotrafiquants

Les « narcos » se sont donc lancés dans l’accaparement violent des terres, au détriment des paysans qui habitaient sur place, et de la biodiversité de la foret tropicale (on estime à au moins 15 000 hectares la superficie des plantations illégales).

La violence devient omniprésente : devant la carence des autorités les paysans s’arment à leur tour pour se protéger et les grandes exploitations se dotent de gardes armés. On ne compte plus les extorsions mensuelles en fonction des surfaces cultivées et dont les manquements sont parfois punis de mort, les vols de camions, les règlements de compte et même les tueries de masse…

Avocatiers bien arrosés, sans contrôle ; reste à espérer qu’il n’en reste pas trop dans nos assiettes !

De plus, inutile de dire que le respect des prescriptions sanitaires n’est pas leur premier souci. Or, dans cette atmosphère de tropique humide, la monoculture arboricole attire fortement les insectes prédateurs et les maladies ; donc ces arbres sont abondamment arrosés de pesticides, qui ne sont évidemment pas tous homologués ! Les problèmes d’empoisonnement concernent essentiellement les populations locales (ce qui est aussi une manière de les faire dégager), mais, malgré la barrière très importante due à la peau épaisse de l’avocat, il est difficile de garantir qu’il n’y a jamais de traces de ces pesticides dans la chair des avocats que nous mangeons…

Des transports fort polluants

De plus, il s’agit de produits fragiles et périssables, récoltés encore durs, que l’on veut maintenant faire voyager en camion sur des centaines de kilomètres via des pistes approximatives, puis en bateau sur des milliers de kilomètres, et encore en camions en Europe. C’est déjà ça, vu les quantités concernées, on a largement abandonné l’avion. Mais il faut maintenir une température de 6° pendant les 26 jours de transport en bateau, et consommer beaucoup d’emballages, car ce fruit est relativement fragile. A l’arrivée en Europe, il passe une à deux semaines en « mûrisserie » où l’on augmente progressivement la température et on les met dans une atmosphère chargée en éthylène pour accélérer le processus. Tout cela a un coût environnemental non négligeable : on est très loin du fruit cueilli mûr sur l’arbre et mangé frais !

Une fois que l’on a compris cela, il devient plus délicat de se souhaiter « buen provecho » et de se régaler… en consommateur éclairé et solidaire, si c’est encore possible !

Rappelons que les fruits et légumes locaux et de saison restent toujours une option valable, encore plus s’ils sont responsables, voire bios…

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
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5 réponses à Quand on achète un avocat, on achète le Mexique qui va avec

  1. keiko YAMAKAWA dit :

    bonjourDans le cadre de mon mémoire de fin d\’étude en Supply chain, j\’aurais besoin de plus de précision sur le transport des avocats: les chiffres du bilan carbone en bateau, la mûrisserie.Auriez-vous une carte des flux de transport pour ce fruit?Est-ce la même chose pour les avocats dits bio (genre les avocats du Pérou ou du Chili)?Cordialement keiko YAMAKAWA

    • BrunoParmentier dit :

      Le transport transatlantique offre les mêmes contraintes pour les avocats bio que pour les autres.
      Je n’ai malheureusement- pas de « carte des flux de transport  » ; je ne suis qu’un généraliste, pas spécialisé dans l’avocat !
      Bien cordialement

  2. Paul Bru dit :

    Bonjour Professeur, ceci est un message de remerciement global pour toutes vos interventions/conférences/livres, dans lesquels j’ai puisé à la fois connaissance, compréhension et volonté d’agir.

    J’aimerai avoir l’honneur de vous rencontrer un jour, d’ici là, sachez que vos mots sont des graines qui germent en moi, et sans nul doute, en chacun de nous.

    Prenez soin de vous ! J’en ferai de même.

    Cordialement, un néophyte reconnaissant.

    • BrunoParmentier dit :

      Bonjour Monsieur,
      Votre message me touche beaucoup et m’encourage à poursuivre, merci !
      Bien cordialement
      Bruno Parmentier

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