La faim dans le monde progresse… Pourquoi ?

Les Nations-Unies nous informent que la faim a fortement progressé en 2024 sur Terre. Elles estiment que 14 millions de personnes de plus sont confrontées à la faim aigue, pour atteindre le chiffre de 295 millions en fin d’année, et tout porte à croire que cette funeste progression s’est fortement amplifiée début 2025.

Un rapport publié en juin 2025 identifie 13 points chauds où il faudrait déployer des solutions urgentes. Parmi ceux-ci figurent huit pays africains que sont : le Soudan, le Soudan du Sud, le Mali, la République démocratique du Congo (RDC), le Nigeria, le Burkina Faso, le Tchad et la Somalie.

Tentons de comprendre le phénomène et ses causes. Car si la faim est dorénavant un pur produit de l’homme, ce dernier pourrait aussi, s’il le voulait vraiment, défaire ce qu’il a fait !

Les indicateurs de la faim progressent à nouveau

L’insécurité alimentaire aiguë et la malnutrition infantile ont augmenté pour la sixième année consécutive en 2024, poussant des millions de personnes au bord du gouffre, dans certaines des régions les plus vulnérables du monde, selon le Rapport mondial sur les crises alimentaires (GRFC), publié par les Nations-Unies.

En fait tous les indicateurs de la faim progressent en même temps. Pour mieux comprendre les apparents chiffres contradictoires, il convient de bien cerner de quoi on parle.

Les Nations Unies ont élaboré un « Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire » (IPC) qui permet de classifier la sévérité de l’insécurité alimentaire suivant des normes scientifiques. Ils distinguent alors 5 phases, allant de la sécurité alimentaire à la famine, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous.

La faim concerne directement plus d’un milliard de terriens actuellement (stades 3, 4 et 5), soit encore un peu plus de 12 % de la population mondiale. Et deux fois plus sont en insécurité alimentaire (stade 2), leur bonne alimentation pouvant être menacée à tout moment par une crise. Synthèse et graphique de l’auteur à partir de compilations de chiffres ONU et ONG

On estime ainsi que la pleine sécurité alimentaire ne concerne qu’un peu moins de 60 % de la population mondiale (4,8 milliards sur 8,2). Et que, malheureusement, les chiffres cumulés de la faim dépassent à nouveau le milliard de terriens.

En fait, le nombre de personnes concernées par la faim est étrangement stable depuis le début du XXe siècle. Il évolue entre 800 millions et 1 milliard suivant les années. Or depuis l’an 1900, la population du monde a été multipliée par 4,5 ! Les remarquables progrès de l’agriculture et du transport et du commerce de la nourriture ont permis de nourrir plus de 6 milliards de terriens de plus sur les mêmes terres, dont acte ! Mais on n’a pas « terminé le job » et elles n’ont malheureusement pas permis de résorber significativement la faim. Graphique de l’auteur.

Tout comme il y a un siècle, un enfant meurt de faim toutes les 10 secondes ! Dans l’indifférence générale. Le fait que les populations concernées soient passées de 50 % à 12 % de la population mondiale ne peut en aucun cas suffire à nous réjouir !

Les Nations-Unies sont radicalement impuissantes face à ce phénomène. On peut rappeler qu’en l’an 2000 elles avaient élaboré les « Objectifs du millénaire » en se fixant en particulier de diviser par deux les chiffres de la faim à horizon 2015. Echec total ! Elles ont alors élaboré 17 nouveaux objectifs pour 2030, appelés « Programme de développement durable 2030 » ; le deuxième se fixait le but d’éliminer purement et simplement la faim d’ici 2030 (« Objectif Faim zéro »)…

Mais, malheureusement, depuis quelques années, loin de progresser comme on l’avait imaginé, l’humanité régresse ! Non seulement le nombre d’affamés ne diminue pas, mais il ne cesse d’augmenter ! En 2030, mais aussi en 2025, on sera donc très loin du compte… et on peut aussi craindre le pire !

La faim tue ! Elle tue plus que la guerre et la violence sociale réunis ! Elle tue silencieusement, loin des caméras, au fin fond des villages reculés du Sud !

Comme je l’exposais dans le livre « Faim zéro » : « Un enfant atteint de malnutrition a neuf fois plus de risques de mourir qu’un autre qui mange à sa faim. Et quand elle ne tue pas, la faim les laisse handicapés à vie, incapables de subvenir efficacement à leurs besoins, affectant fortement le développement de régions entières du monde. En moyenne, la malnutrition fait perdre 13,5 points de quotient intellectuel par personne, puis 20 % de revenus tout au long de sa vie et, au total, 2 % à 3 % de produit intérieur brut à l’échelon mondial. Elle provoque insécurité, émigration sauvage, épidémies, guerres, piraterie, extrémismes de tous bords, terrorisme. C’est peu dire que l’humanité, toute l’humanité, la paye au prix fort… »

Loin de toute fatalité, la faim est une pure construction humaine

On n’a jamais su, ou pu, ou simplement voulu, éradiquer la faim dans le monde…, comme je l’écrivais dans l’introduction de mon livre « Faim zéro ».

« Sur notre belle planète bleue, plus d’un milliard de Terriens se couchent tous les soirs avec une faim qui leur donne mal au ventre, en se demandant comment ils pourront se nourrir suffisamment le lendemain. Ils sont deux fois plus à manger suffisamment en quantité, mais tous les jours la même chose, manquant de protéines et de vitamines et compromettant gravement leur santé à cause de ces carences. Sans compter ceux qui consacrent l’essentiel de leurs revenus à se nourrir, et qui aimeraient pouvoir économiser sur ce poste de dépenses pour pouvoir se payer autre chose. Sur cette même belle planète bleue, vivent aussi 1,89 milliard de personnes en surpoids (dont 888 millions d’obèses), vivant parfois aux mêmes endroits que ceux où règne la pénurie. Rendons-nous à l’évidence : l’accès à l’alimentation n’a jamais été aussi injuste et déséquilibré.

La faim n’est ni une malédiction ni un accident. Elle est bel et bien pour l’essentiel une construction humaine : on peut mourir de faim dans un pays qui regorge de nourriture et qui en exporte à la terre entière. À l’inverse, on peut arriver à manger partout, même dans les zones surpeuplées ou semi-désertiques. En pratique, les victimes de la faim sont aussi quasiment toutes victimes de la cupidité ou de l’indifférence de certains de leurs contemporains. Même si des catastrophes naturelles – séismes, cyclones, raz-de-marée, éruptions volcaniques… – peuvent la faire resurgir, quand elle se prolonge, c’est parce qu’elle devient de nouveau le fruit d’une « planification » de facto de l’incurie.

La faim est d’abord politique. Elle a toujours été la conséquence de l’ignorance, de la guerre, de l’absence d’État, des conflits pour s’accaparer les ressources naturelles. Et, dorénavant, elle est également un sous-produit de la mondialisation et de l’absence de contrôle public des multinationales. « On » a bel et bien mené (sans le dire, par action ou par omission) des politiques sophistiquées de propagation de la faim. Autrefois, quand les fruits de l’agriculture restaient aléatoires et les transports lents et hasardeux, la faim était souvent le prix à payer pour faire face aux aléas climatiques. Désormais, alors que l’on a beaucoup progressé sur ces deux plans, elle est avant tout une manifestation de la misère et donc, en quelque sorte, une création humaine.

C’est à la fois une mauvaise nouvelle et une bonne. Car ce que l’homme a fait, l’homme peut le défaire. Si la faim est d’abord politique, son éradication l’est aussi. On peut en finir avec la faim dans le monde, si on le veut vraiment. »

Cette constatation peut s’étayer par des considérations géopolitiques. On a eu faim en Europe pendant des siècles voire des millénaires, à tel point que, dans nos religions majoritaires, on ne cessait de dire quotidiennement à notre Dieu : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Si on insistait autant, c’est bien parce que le pain manquait souvent !

La France a connu 11 disettes au 17e siècle, 16 au 18e, et 10 encore au 19e. Même au 20e siècle, les deux guerres mondiales ont provoqué pénuries et rationnements. Le pain faisait l’objet de tickets de rationnement jusqu’en 1948, 3 ans après la Libération, et son prix était fixé à Paris par le préfet de police jusqu’en 1978 ! Aujourd’hui, malgré les tensions internationales, plus personne n’aurait l’idée de stocker de la farine et des pâtes dans son garde-manger… La Politique agricole commune a parfaitement sécurisé l’alimentation des 440 millions d’européens, même dans des pays comme la Norvège, l’Autriche ou l’Angleterre et la Suisse, qui ne peuvent pas nourrir eux-mêmes leur population.

Autre exemple très spectaculaire, la Chine qui était dans les années 50 et 60 la véritable patrie de la faim dans le monde. On pouvait y déplorer un million de morts de faim en une seule année, et dans la plupart des bonnes familles françaises on élevait les enfants en leur enjoignant de « finir leur pain avec tous ces chinois qui ont faim » ! A ce moment-là, ils n’étaient que 700 millions de chinois ; aujourd’hui ils sont 1,4 milliards, la Chine est devenue le plus grand producteur agricole au monde et on arrive à dire sans avoir peur de se tromper cette phrase qui était totalement improbable il y a 40 ans : « Les Chinois mangent » !

De même au Vietnam, pays le plus bombardé au monde, on arrive maintenant à exporter beaucoup de riz. Et en Amérique Latine, sauf exceptions (Haïti, Vénézuéla) on est en train de résoudre enfin le problème.

A l’inverse, en Inde, le nombre de personnes qui ont faim stagne depuis des décennies, et les enfants continuent à mourir de faim en grand nombre.

En Afrique, la sous-alimentation touchait 20,4% de la population en 2024, et ne cesse d’augmenter. Mais aussi en Corée du nord, Afghanistan ou d’autres pays du Moyen-Orient !

Ce qui explique qu’au total, sur l’ensemble de la planète, la faim progresse.

Cantine scolaire d’une école de l’association Eau de Coco à Madagascar. 1000 enfants y mangent leur seul repas de la journée. Il n’est absolument pas sûr qu’elle puisse continuer à être approvisionnée. Photo A. Parmentier

On voit monter dangereusement de nombreux facteurs aggravants

Pourquoi cette aggravation ; il y a bien des responsables non ? Tentons de parler franchement et d’en nommer quelques-uns.

Selon le rapport des deux agences spécialisées des Nations unies, cette situation résulte principalement de l’intensification ou de la persistance des conflits, des chocs économiques répétés et des catastrophes naturelles. Ces crises sont amplifiées par des restrictions croissantes d’accès à l’aide humanitaire et un déficit critique de financements

A tout seigneur tout honneur, citons en premier lieu des affameurs Donald Trump, président des Etats-Unis. Il a purement et simplement supprimé l’agence USAID, qui était et de loin le plus gros financeur de l’aide humanitaire internationale. Une bonne partie de ces crédits passait par des ONG européennes, qui se trouvent de ce fait en grande difficulté pour continuer à assurer leurs missions.

Principaux pays finançant l’aide publique au développement en 2023. Avec plus de 60 milliards de dollars d’aides distribués en 2023, les Etats-Unis étaient de loin le premier donateur, représentant près de la moitié de l’aide humanitaire internationale. D’où la catastrophe planétaire provoquée par son retrait. Chiffres OCDE

Parmi les ONG les plus connues en France, on peut citer par exemple Action contre la faim dont 30 % du budget dépendait des fonds américains ; elle a dû annuler 50 projets dans 20 pays, et abandonner à un risque vital 800 000 enfants. De même Solidarités international et Médecins du Monde ont dû arrêter de nombreux programmes humanitaires.

D’après les données recueillies par Coordination SUD auprès de 10 de ses organisations membres les plus concernées, les suspensions de financements américains affectent des activités dans 38 pays en Afrique, Asie, Amérique latine et Europe. Rien que pour ces 10 organisations, ce sont plus de 6 millions de personnes bénéficiaires qui sont directement impactées et ne verrons pas leurs besoins vitaux satisfaits. 

Dans ces populations vulnérables qui vont arrêter d’être soutenus, la mortalité infantile va augmenter considérablement dans un premier temps, et ensuite la mortalité des adultes. Difficile de réduire la faim dans ces conditions !

Un autre dirigeant s’illustre actuellement, Benjamin Netanyahou, qui organise le blocus de l’aide humanitaire (mais aussi l’eau et l’électricité) dans la bande de Gaza, un peu comme au Moyen-Age on affamait les villes qu’on assiégeait (ou comme les nazis avaient fait à Stalingrad), tout en bombardant et en déplaçant sans cesse la population. Dans ce petit pays qui compte quand même 2,2 millions de personnes, au-delà des conséquences directes des bombardements, qui ont tué 50 à 60 000 personnes, le blocus est en train d’en tuer encore plus, et laissera de nombreuses séquelles chez les survivants.

L’indifférence des pays occidentaux tue aussi directement. Si on y est prompt à dénoncer les mesures égoïstes des États-Unis de Donald Trump, en y fait un peu la même chose à bas bruit : prétextant la crise économique et la nécessité de se réarmer, la plupart des dirigeants coupent eux aussi fortement dans leurs budgets de soutien aux actions humanitaires. La France, par exemple, a baissé son budget d’aide au développement de 2 milliards d’euros ; son aide publique au développement devait passer à 0,7 % du budget en 2025 (il était de 0,55 % en 2024) ; et cet objectif maintenant reporté à 2030.

L’Allemagne et l’Angleterre on fait de même. Le résultat de ces politiques se compte en dizaines de milliers de morts supplémentaires…

D’autant plus que les citoyens informés, loin de tenter de combler un peu ce vide criminel en augmentant leurs donations aux dites ONG, les diminuent également.

Ecrivons-le ici, il est urgentissime de donner davantage aux ONG humanitaires, pour tenter au moins de sauver quelques vies ! Et en France, rappelons que les 2/3 de ce qu’on leur donne est remboursé par l’Etat !

Les principaux pays de la faim en 2025. Source : rapport  sur la faim des Nations-Unies juin 2025

Le renouveau de la guerre est également une cause directe de l’augmentation de la faim… Historiquement les deux sont largement liés : souvent on finit par faire la guerre (ou une révolution) parce qu’on a faim, et ensuite on a faim parce que la guerre détruit la production et l’acheminement de la nourriture ! La situation est particulièrement critique au Soudan, Mali, Ethiopie, Somalie, Yémen, République démocratique du Congo, Afghanistan, Birmanie, Haïti, etc.

On a aussi vu que la guerre en Ukraine, grand pays producteur et exportateur de céréales, a fortement affecté l’approvisionnement en nourriture de nombreux pays africains qui en ont besoin de façon vitale…

Etat de la faim dans le monde extrait du rapport (en anglais) « Hunger hotspot » de la FAO juin 2025
Phases 3, 4 et 5 de la faim, explications des phases ci-dessus

Et enfin on ne peut pas ne pas citer le réchauffement climatique. Ce sont les pays du nord, qui mangent à leur faim, qui émettent les gaz à effet de serre, mais les conséquences climatiques touchent d’abord les pays du sud, qui en émettent peu. Sécheresses, inondations, ouragans, maladies, épidémies y sont de plus en plus sévères et menacent de plus en plus leur propre production agricole. Particulièrement en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’est. Pas étonnant qu’on s’y fasse aussi fréquemment le guerre…

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
Ce contenu a été publié dans Actu FAIM, Actualités, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *