Tous d’un coup, les médias se passionnent pour le cadmium, un métal malheureusement trop présent dans notre alimentation, alors que, jusque-là, d’autres contaminants (comme le plomb, le mercure, l’arsenic ou les pesticides) avaient largement monopolisé notre attention. Des médecins libéraux l’ont qualifié en mai 2025 de « véritable fléau de santé publique ». Tentons de prendre du recul sur ce sujet, qui, s’agissant de l’alimentation, provoque comme souvent de très nombreuses réactions… souvent affectives et excessives.

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Le cadmium est un pur poison pour l’homme
Pour rester en bonne santé, nous avons besoin d’absorber toutes sortes d’éléments minéraux, et donc d’avoir une alimentation diversifiée. Mais pour une bonne part ces éléments peuvent à la fois causer des maladies si nous n’en avons pas assez et si nous en avons trop !

Avant de parler du cadmium, faisons un détour par exemple par l’iode. Le corps d’un homme en bonne santé n’en possède qu’une quantité infime, même pas 1/10 de gramme ! Mais :
- S’il n’en a pas assez, il risque d’avoir des problèmes avec sa glande thyroïdienne : fatigue, prise de poids, intolérance au froid dépression, mais aussi déficience intellectuelle et trouble de la croissance.
- A l’inverse, s’il en a trop, il sera victime de palpitations, tremblement, brûlures buccales, douleurs abdominales, avec fort risque de cancer de la thyroïde.
En Europe, on craint davantage la carence (hypothyroïdie) que l’excès (hyperthyroïdie), d’autant plus que les populations qui vivent loin de la mer n’en trouvent pratiquement pas dans les plantes qu’elles mangent. Les pouvoirs publics tentent de juguler ce gros problème de santé publique en rajoutant artificiellement de l’iode au sel de table vendu dans le commerce, tout en recommandant les régimes sans sel à ceux qui risquent d’en avoir trop.
Revenons au cadmium : il est, lui, un pur poison pour l’homme (contrairement au fer, au magnésium, au zinc, au cuivre, au soufre, etc.) ; il n’intervient dans aucun processus métabolique et est hautement toxique ; l’idéal serait donc de s’en passer totalement dans notre corps. Mais, une fois absorbé, il peut s’accumuler dans le foie et les reins avec de multiples effets irréversibles : ostéoporose, calculs rénaux, douleurs osseuses, emphysème, hypertension, athérosclérose, risques d’infarctus, infertilité, sensibilité accrue aux infections, troubles neurodégénératifs… Il est de plus classé cancérogène avéré (poumon, prostate, rein, sein, et suspicion pour le pancréas) !
Citons l’exemple déplorable de la maladie Itaï-itaï (Aie-aie !) apparue dans la baie de Mimatama au Japon dans les années 50, lorsque la population de pêcheurs a été dévastée par la consommation de poissons contaminés au mercure et au cadmium par les rejets des entreprises minières locales. Leur intoxication massive a provoqué un ramollissement des os et une insuffisance rénale. La maladie est ainsi nommée à cause des violentes douleurs localisées à la colonne vertébrale et aux articulations.
À un moindre degré, on peut évoquer en France les pollutions issues de l’ancienne usine Metaleurop dans le nord.
Heureusement, l’organisme élimine naturellement le cadmium via les urines et les selles, mais… très lentement (demi-vie 10 à 30 ans pour les reins) ; on risque donc de l’accumuler, à force d’en absorber quotidiennement, ne serait-ce qu’un petit peu !
Il est très présent dans la croute terrestre, a de nombreuses applications industrielles et se trouve trop souvent dans les champs
Le cadmium, inaltérable à l’air et à bon comportement en milieu marin, est utilisé par les industriels pour fabriquer des accumulateurs, des écrans d’ordinateur ou de télévision, des barres de contrôle des réacteurs nucléaires, mais aussi des alliages pour les soudures ou des fusibles, des pigments pour les peintures, encres, émaux et céramiques, en galvanoplastie, comme stabilisant des matières plastiques. On en produit environ 26 000 tonnes par an, principalement en Asie (Chine, Corée du Sud, Japon). Les dangers viennent dans ce cas des rejets des entreprises industrielles… qui sont, heureusement, très contrôlées en France.
Mais malheureusement il est aussi trop souvent présent dans nos champs, particulièrement dans trois cas préoccupants pour notre alimentation :
- Certaines roches volcaniques sont extrêmement fertiles car riches en éléments nutritifs comme le potassium, le phosphore, le magnésium, le calcium et des oligo-éléments (zinc, fer, etc.) et en matière organique. La texture légère et aérée de ces sols permet un bon drainage tout en retenant l’humidité, évitant ainsi l’asphyxie des racines ou la sécheresse. Ces éléments ainsi que leur pH légèrement acide favorisent la croissance des cacaoyers et améliorent la qualité des fèves. On les y cultive donc souvent. C’est notamment le cas au Pérou, Equateur Colombie, République dominicaine, etc. Or (rien n’est parfait) malheureusement ces terres sont également riches en cadmium, qui est absorbé par le cacao, et contamine donc de chocolat. Curieusement, dans ce cas précis, le chocolat bio, souvent issu de filières provenant de ces pays, est souvent plus contaminé que le chocolat « ordinaire », qui, lui, provient en général de Ghana et Côte d’Ivoire, où on ne cultive pas sur des sols volcaniques ! Notons qu’en en trouve également dans certaines roches calcaires comme en Champagne, Charente ou dans le Jura !
- Les coquillages et crustacés, ainsi que les algues, mais aussi les poissons carnivores, ne cessent de filtrer l’eau de mer et de concentrer les éléments indésirables, nous ramenant sur notre table les déchets que nous avons rejeté dans la mer. Voir à ce sujet le dossier « Le poisson est-il bon ou mauvais pour la santé ? »
- Les plantes dont la culture fait l’objet de beaucoup d’apports d’engrais, et en particulier les céréales, mais aussi les plantes à feuilles (salades, choux, tabac), consomment beaucoup de phosphore minéral. Or, malheureusement les gisements de phosphore, particulièrement ceux du Maroc, possèdent du cadmium sous forme d’impureté (allant jusqu’à 73 mg/kilo). Or ce pays est le plus gros producteur mondial de cet engrais, et le seul pays à en posséder encore des réserves considérables, ce qui va progressivement le mettre en position de monopole. Dans ce cas, naturellement, la « bio », qui est cultivé sans engrais minéraux, présente en moyenne moitié moins de cadmium que les aliments issus de l’agriculture intensive
En France, l’apport des engrais phosphatés provoque ainsi l’épandage de 2 à 6 g de cadmium par hectare et par an, soit, 82 tonnes/an. Or l’utilisation d’engrais ne cesse d’augmenter dans l’agriculture mondiale, et française. Voir à ce sujet l’article : « Pour ou contre les engrais minéraux pour nourrir l’humanité ? ».

Et bientôt le Maroc (et le Sahara occidental) seront les derniers et seuls producteurs de cet élément décisif pour la productivité de l’agriculture… mais avec le cadmium qui y est fortement associé !
Bon, il semble que depuis 2022, les marocains se soient conformés aux exigences de l Europe et ne livrent plus que du Cadmium inférieur à 50mg et ce sera 25mg à compter de 2027. Dont acte, mais dans de nombreux champs « le mal est fait » depuis des années…

Car les engrais phosphatés diffusent du cadmium sur nos terres agricoles depuis des décennies, alors qu’il ne se dégrade pas et a du mal à être lessivé par la pluie, d’autant plus avec les sécheresses récurrentes. Nos terres en ont donc pour des décennies à en être contaminées, même si on arrête d’en répandre, ou si on utilise dorénavant du phosphate à faible taux de cadmium. !
l’Inrae vient d’ailleurs de publier une étude très précise qui fait en particulier le point de la contamination de nos sols, région par région : « Pourquoi y a-t-il du cadmium dans les sols et comment le retrouve-t-on dans l’alimentation ? »
Pourquoi un nouveau scandale, maintenant ?
C’est un paradoxe bien connu que, plus notre nourriture est saine, moins on meurt après souper, mais plus l’opinion publique devient sensible aux derniers problèmes qui subsistent, et scandalisée qu’ils existent encore. De plus nos méthodes de détection ne cessent de faire des progrès, et nos machines isolent des quantités de plus en plus infimes. Or il y a « de tout dans tout ». La spectrométrie de masse arrive maintenant à détecter des concentrations de l’ordre du centième de millionième de gramme par kilo (0,01 μg). A ce niveau on a tous du cadmium dans le corps !
En matière de cadmium, la dose hebdomadaire tolérable d’absorption (DHT) fixée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments EFSA (2011) est de 2,5 millionièmes de gramme par kilo de poids corporel (µg/kg). Par exemple, une personne de 70 kg ne devrait pas dépasser 175 µg/semaine. Dans la plupart des cas on a encore beaucoup de marge !
Convaincue qu’il présente « un risque inacceptable pour l’homme et l’environnement », la Commission européenne a récemment décidé de durcir sa réglementation en introduisant une limite pour la teneur en cadmium des engrais phosphatés – après une farouche bataille avec les lobbys des fertilisants ! Fixée à 60 mg/kg depuis juillet 2022, la limite doit être abaissée à 20 mg/kg d’ici à 2034. Mais le gouvernement français ne l’a pas suivi, alors que certains pays, comme la Finlande, la Hongrie, la Slovaquie ou la Roumanie, appliquent déjà ce seuil.
La France serait-elle donc « malade du cadmium » comme l’estiment dorénavant plusieurs médias et lanceurs d’alerte ?
Selon des données de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) publiées en 2011, si « seulement » 0,6 % des adultes ont des expositions alimentaires dépassant la dose journalière de cadmium tolérable pour l’organisme ce chiffre monterait à 14 % chez les enfants de 3 à 17 ans et même à 36 % chez les moins de 3 ans. Le journal Libération estime ainsi « qu’il faut maintenant sensibiliser la population à ce danger ».
L’imprégnation moyenne des Français serait ainsi trois fois supérieure à celles des Américains et plus de deux fois supérieure à celle des Italiens. Chez les enfants, la différence serait encore plus marquée : les jeunes Français (6-10 ans) seraient cinq fois plus contaminés que les jeunes Américains (0,06 µg/g), six fois plus que les Allemands du même âge (0,05 µg/g) et quinze fois que les petits Danois (0,02 µg/g) !
Ces chiffres sont bien sûr à re confirmer mais ils indiquent l’urgence de se saisir sérieusement de la question en France !
Quels sont les aliments les plus contaminés, pourquoi ? Comment s’en prémunir ?
Gardons notre sang-froid, on ne va pas mourir du cadmium demain matin, mais activons donc notre vigilance !
Faut-il bannir le chocolat et les produits chocolatés comme le suggère l’UFC-Que choisir ? Non bien sûr, mais réduire peut-être !
Voici quelques conseils de bon sens pour survivre malgré les dangers (relatifs) du cadmium dont les médias se sont brusquement emparés.
- Les fumeurs sont particulièrement exposés. Rappelons que le tabac provoque 75 000 morts par an en France… et nous prenons conscience maintenant qu’en particulier les feuilles de tabac concentrent le cadmium présent dans les engrais qui ont accéléré sa pousse ! Car bien évidemment, s’agissant de la production de cette drogue, on est fort loin d’une agriculture bio !
- Les travailleurs et voisins de certaines industries (métallurgie, recyclage des batteries au cadmium, engrais phosphorés) sont malheureusement exposés aux fumées et les poussières émises. En tous les cas éviter les jardins potagers et les écoles à proximité de ces usines, et ne pas y recueillir les eaux de pluie !
- Certains aliments comme les crustacés, les gros poissons, les algues, mais aussi les champignons ou les abats animaux ont fortement concentré les polluants, comme le cadmium. Il convient naturellement de les consommer avec modération, et pas du tout s’agissant des femmes enceintes !
- Les céréales et pommes de terre présentent en général moins de teneur en cadmium, mais, comme on en mange beaucoup, cela finit par compter. Or elles sont la plupart du temps cultivées avec beaucoup d’engrais minéraux. Surtout en France, championne mondiale de la productivité, mais au prix d’une utilisation d’engrais beaucoup plus importante que celle de nos voisins. Malheureusement on ne voit pas très bien comment s’en passer dans notre alimentation… On peut éventuellement privilégier le bio, cultivé sans engrais minéral, et dans tous les cas ne pas abuser des farines complètes non bio, et aussi se méfier des blés d’Europe de l’Est, parfois cultivés sur d’anciennes zones industrielles. Et peler les pommes de terre (non bio), car les contaminants sont davantage présents dans la peau.

- Pour les enfants, ne pas abuser des biscuits et des céréales du petit déjeuner, parfois fabriquées à partir de blé bon marché… Attention aux mueslis aux noix/amandes/chocolat et préférer ceux à base de blé ou maïs. Et d’une manière générale éviter une trop grande consommation de cacao… malgré les multiples pressions de ces chères têtes blondes !
- Le riz est une plante particulièrement concernée car cultivée sur des sols inondés, alors que la forme soluble du cadmium est mieux absorbée par la plante. Eviter de ce point de vue le riz complet, car les polluants s’accumulent dans le son (enveloppe du grain). Or une partie du riz est malheureusement irrigué avec une eau contaminée, alors que cette plante absorbe 2 à 5 fois plus de cadmium que le blé…On peut également varier les provenances du riz pour partager les risques… Limiter le riz Thaïlandais, réputé plus exposé, ainsi que le riz espagnol du delta de l’Ebre et italien de la plaine du Pô. Cuire le riz dans beaucoup d’eau, pour mieux diluer, et jeter l’eau de cuisson.
- Les végétariens sont davantage exposés, car ils consomment beaucoup de céréales accompagnées de noix et légumineuses.
Mais procéder avec modération, car parfois le remède peut être pire que le mal et un régime strict par peur du cadmium peut mener à de réelles carences, par exemple en fer, magnésium ou antioxydants !
Au total, il y a donc vraisemblablement un vrai problème cadmium spécifique à la France, et donc une certaine urgence à motiver les pouvoirs publics pour qu’ils s’en saisissent… mais on n’est vraisemblablement pas (encore ?) au niveau d’un véritable scandale sanitaire.
Bon appétit quand même !