Nourrir lhumanité, toute lhumanité, un défi presque impossible à tenir au XXIe siècle. De toute lhistoire de lhumanité, il ny a jamais eu autant de gens qui ont faim quactuellement ; si la situation sest (un peu) améliorée en 2010, on a bien franchi en 2009 le chiffre fatidique et honteux du milliard daffamés sur la planète et on attend un peu plus de 2,5 milliards de bouches nouvelles dans les 30 ans à venir, essentiellement là où se concentre déjà la faim : la péninsule indo-pakistanaise et lAfrique noire.
Or les « solutions » qui ont marché au XXe siècle ne « marchent plus » : cétait toujours plus de terres cultivées, on en cultive chaque année moins ; toujours plus dirrigation, on atteint dorénavant presque le maximum de surfaces irrigables sur la planète ; toujours plus dénergies fossiles, et elles se feront dorénavant de plus en plus rares, et la tentation sera forte de consacrer une part des terres agricoles à des cultures énergétiques et non alimentaires ; et toujours plus de chimie, et ce sera forcement moins : il faut considérer que les quatre principaux apports de la chimie à lagriculture sont derrière nous : nourrir les plantes (lengrais), les soigner (le fongicide), éloigner les mauvaises herbes (lherbicide) et les insectes nuisibles (linsecticide) ; il na a pas de grande et nouvelle révolution à attendre en la matière Alors même que nous allons devoir affronter les conséquences de nos imprévoyances : baisse de la biodiversité et réchauffement de la planète.
Nous devrons donc mettre en uvre un ensemble de solutions techniques (en particulier celles de lagriculture écologiquement intensive) et de solutions sociales et organisationnelles, pour que lagriculture daujourdhui ne compromette pas celle de demain, que lexpansion de lagriculture des uns ne détruise pas celle des autres, que lon gâche moins et que tous les paysans du monde puissent se nourrir eux-mêmes.
Jai publié un livre sur ce sujet, gravissime, en 2007 (remis à jour en 2009) : Nourrir lhumanité, les grands problèmes de lagriculture mondiale au XXIe siècle (Editions La Découverte). Depuis jai eu loccasion de faire 270 conférences, et à peu près autant dinterventions dans la presse écrite et audiovisuelle, vérifiant jour après jour lacuité du problème. Doù lidée de ce blog pour prolonger et partager les réflexions.
Manger, tous et bien, durablement, reste un autre problème fort actuel. Jusquau début du XXe siècle, la vie alimentaire était simple : on se nourrissait peu et mal, de façon monotone, et une question essentielle demeurait, lancinante : mangerons-nous demain ? Depuis que lon est absolument sûr (au moins en France) que la réponse est « oui », tout se complique. Puisque nous avons le choix, nous voulons en même temps du goûteux, sûr, traçable, biologique, naturel, local, équitable, énergétique, beau, abordable, simple, pratique, rapide, diététique, équilibré, varié, traditionnel, moderne, issu du terroir et exotique. Et en plus, nous voulons maigrir ! Bref, tout et son contraire : entretenir notre corps, mais pas grossir ; du plaisir, mais sans risque ; du « sain », mais vite acheté, vite préparé et pas cher. Et nous avons du mal à comprendre pourquoi nous n’y arrivons pas.
De plus, nous avons voulu nous libérer du temps pour travailler ou prendre des loisirs. Du coup, des professionnels soccupent de notre nourriture à notre place, les chaines sallongent démesurément et la méfiance sinstalle : « on ne sait plus ce quon avale ». Choisir devient un casse-tête, se restreindre savère bien pire.
En France, nous ne savons plus si nous sommes encore au cur du temple de la gastronomie mondiale, ou dans les bas-fonds sordides de la malbouffe ; nous navons plus faim, mais nous navons jamais autant parlé de nourriture, diététique, cuisine, recettes, menus, régimes, etc. Nous avons des avis sur tout, passionnés, fragmentaires, mais toujours définitifs (cest normal, paraît-il, nous serions les spécialistes planétaires de la question). Mais en même temps, le doute nous mine : tout devient si compliqué. Et lorsque nous voyageons, nous nous apercevons que nos goûts et nos avis sont très relatifs, culturels et pas si avisés, libres et objectifs que ça.
Quest ce que manger, dans toutes ses dimensions ? Quest ce que « bien » manger ? Que risquons-nous exactement ? Comment faire, individuellement et surtout collectivement, pour bien manger, durablement ?
Ces questions font lobjet dun second livre, « Manger tous et bien », à paraître le 3 novembre 2011 aux Editions du Seuil.
Je souhaite à travers ce blog démarrer un dialogue sur ces sujets.