Texte publié dans Economie matin : http://www.economiematin.fr/les-experts/item/3701-chevalgate-lasagnes-findus-spanghero/?utm_source=newsletter&utm_medium=Email&utm_campaign=NL-2013-02-19
Quel bruit ce « scandale » de la viande de vieux chevaux de traits roumains rendus inutiles par le passage de la traction hippomobile à la traction automobile qui se retrouve sous lappellation « pur buf » dans nos lasagnes, hachis Parmentier et autres moussakas surgelés ! Quelques réflexions de bon sens pour prendre du recul.
Il semble bien que des milliers de chevaux roumains ont fini clandestinement dans nos assiettes !
Quand on achète une lasagne surgelée, on achète le monde qui va avec !
On veut travailler mari et femme, et se faire à manger le soir en rentrant du boulot en moins de 10 minutes, alors on achète Findus-Carrefour, qui travaillent à notre place. Si on veut de « bonnes lasagnes », rien ne nous empêche daller chez notre boucher lui faire hacher un bon morceau de beefsteak bien tracé en provenance du paysan du coin, puis au magasin bio acheter de la farine, du lait, du beurre et du fromage, et de puiser dans les conserves de sauce tomate que lon a confectionnées avec amour en août dernier, afin de les cuisiner soi-même (préparation 45 mn cuisson 30 mn) !
On veut manger au diner un plat à base de viande (alors quon en a déjà mangé à la cantine à midi !) et on veut que ça nous coûte moins de 3 par personne, soit ! Mais alors il ne faut pas se plaindre si lusine qui confectionne des centaines de tonnes de produits congelés fait des appels doffre européens, voire mondiaux pour serrer les prix de ses ingrédients, et rafle les bas morceaux dun peu partout ! Ce quon a choisi dacheter, ça sappelle de la mondialisation.
Dans le même temps, lélevage européen est pris entre trois feux. Dune part le renchérissement, maintenant quasi permanent, du prix des céréales et du soja, alors même quil a largement cessé de produire ses aliments lui-même ; Dautre part ses coûts salariaux, dans ce qui est devenu une industrie de transformation, sont largement au-dessus de ceux des pays producteurs des matières premières (en particulier le Brésil), et même en France bien au-dessus de ceux de lAllemagne, qui nhésite pas à faire travailler des bulgares au prix de la Bulgarie. Et enfin la grande distribution continue à exercer des pressions énormes pour maintenir des prix dachat au plus bas. Toute la chaine éleveurs-transformateurs est donc « limite », ce qui évidemment induit certains acteurs moins scrupuleux à franchir les limites éthiques et légales.
Les étiquettes ne nous protègent pas contre les escrocs
A loccasion de ce scandale, comme après les précédents, on réclame plus de traçabilité, et des étiquettes qui détaillent par le menu la provenance des différents ingrédients (étiquettes que nous ne lirons jamais bien sûr !). Pourquoi pas naturellement, mais déjà ça coûtera au final un peu plus cher, il faut savoir ce quon veut. Et surtout ça ne nous protégera pas des escrocs. Il y avait bien une étiquette qui disait « pur viande de buf » sur ces lasagnes. Aucun escroc nimprimera son forfait sur létiquette bien entendu. Les espagnols qui avaient rallongé des huiles alimentaires avec des huiles de vidange ne lavaient pas plus écrit sur létiquette que les chinois qui avaient mis de la mélamine dans les laits maternisés !
Pour nous protéger contre les fraudeurs, ce nest donc pas seulement détiquettes dont on a besoin, mais de policiers. Alors regonflons notre corps de « policiers alimentaires » qui avait été dégonflé sous la présidence Sarkozy, et demandons leur de faire un gros effort dimagination pour contrôler les escrocs à la mode dhier, mais aussi ceux de la mode de demain. Ceux qui ont contrôlé quil ny avait pas de bactéries pathogènes dans les lasagnes navaient pas anticipé quil pouvait aussi y avoir de la viande de cheval à la place de la viande de buf, et navaient pas fait de tests génétiques. Bientôt il faudra encore dautres tests, limagination des escrocs nayant pas de limite.
Alors, mettons davantage détiquettes bien entendu, cest « dans le sens de lhistoire » et ça nous rassurera, mais formons et embauchons des policiers également pour nous protéger ! Et payons-nous tout cela dans le caddie du supermarché, ou via nos impôts
Servir les demandes daujourdhui, mais sans ignorer les « valeurs montantes » culturelles
Nous sommes quand même un peu inconsistants : par oral, cest assez simple, nous voulons de la « bonne » nourriture, triplement labellisée bio, locale et équitable (en en plus goûteuse, sûre, traçable, hallal, casher, naturelle, énergétique, belle, abordable, simple, pratique, rapide, diététique, équilibrée, variée, traditionnelle, moderne, exotique, etc.) ! Mais, rendus au supermarché, nous voulons dabord du pas cher et du vite fait ; vive le surgelé, les plats tous faits et les barres chocolatées, et bravo aux quatre barquettes pour le prix de trois !
Du coup lagro-industrie et la grande distribution nous servent évidemment du « pas cher vite fait », et ça marche, ils en vivent assez bien, et en rajoutent avec force publicités agressives. Mais ils gagneraient également à faire attention aux valeurs montantes ; daccord en matière de bio, nous sommes, comme dans dautres domaines, « croyants mais pas pratiquants » et, malgré une croissance notable de ces produits, nous ne mangeons actuellement que 3 % de bio ! De même le local, ça nous fait plaisir de temps en temps, mais ne représente en fait quune toute petite partie de notre assiette. Et ne parlons pas du commerce «équitable, qui, lui, narrive même pas à 1 % de nos dépenses alimentaires, malgré notre sympathie affichée pour le bon Max Havelaar.
Mais on aurait tort de mépriser ces formes de consommation actuellement économiquement marginales, car si elles représentent peu du point de vue économique, elles ont gagné la bataille culturelle, et alimentent en fait 70 % de nos conversations. Le bio, le local et léquitable (plus le hallal), ça sert surtout à nous faire réfléchir sur le sens de notre alimentation, dans une société à la dérive. Alors, quand à trop vouloir faire « pas cher vite fait » on oublie ce puissant mouvement culturel, on se « ramasse » à la première crise car les citoyens ne nous la pardonnent pas. Il est fort à parier que les salariés de Spanghero auront beaucoup de mal à trouver des solidarités pour sauver leurs emplois
Depuis que le cheval a « changé de sexe », on ne le mange plus
À la fin du xxe siècle, en quelques années, le cheval est passé de la représentation danimal « pour homme accompli », viril et associé aux valeurs aristocratiques, militaires, machistes et misogynes, à un animal « pour jeunes filles bourgeoises ». Actuellement près de 80 % des licenciés déquitation sont des femmes et les deux tiers ont moins de 25 ans. On a donc abandonné les anciens dogmes de dressage par domination et de soumission au profit de la persuasion et de la communication, car les femmes nentretiennent pas les mêmes rapports avec les chevaux. Les hommes qui montaient les chevaux sen occupaient peu (il y avait des palefreniers pour cela) ; les femmes cavalières, elles, vivent avec le cheval et prennent plaisir à cette sorte de maternage qui consiste à préparer leur monture et à la panser longuement après le travail.
Avant, on mangeait donc du cheval pour sapproprier symboliquement sa force et sa capacité à franchir les obstacles, maintenant les boucheries chevalines ont fermé (à peine 300 grammes de consommation de viande de cheval par français et par an). On ne mange plus de cheval, animal de compagnie, notre ami, et bientôt on ne le montera presque plus : les nombreux vieux chevaux en retraite, on se contentera de les caresser et de leur parler.
Doù ce tabou que lon redécouvre à loccasion de cette crise : pas de cheval dans mon assiette ; pas de chien ni de chat non plus, et bientôt plus de lapin ! On ne mange pas ses amis, cest presque de lanthropophagie. Si on avait découvert du mouton dans nos lasagnes, lémotion naurait pas été aussi forte, mais du cheval, cest une vraie faute de goût, et quauraient dit les musulmans si ça avait été du porc !
petite faute de frappe : ce n’est pas de la mélanine que les Chinois ont ajouté au lait en 2008 mais de la mélamine. Ce que d’ailleurs les Etats-Uniens avaient ajouté aux aliments pour chats-chiens en 2007. Source : wikipedia
Autant pour moi, la correction est faite, et merci pour ces précisions !