Préserver les océans, la clé pour nourrir la planète ?

Du fait de l’augmentation du nombre de personnes en sous-alimentation, et des limites auxquelles les terres arables sont confrontées, les océans peuvent apparaître comme la réserve principale d’aliments… A condition d’en gérer les ressources correctement.

Article paru dans le site Atlantico le 19 octobre 2014 (site malheureusement payant dorénavant…)

Préserver les océans

Atlantico : Lors d’une conférence TED dont l’objectif est d’émettre des solutions innovantes pour solutionner des problématiques planétaires, Jackie Savitz, vice-présidente d’Oceana et biologiste a souhaité s’attaquer à l’accroissement sur les ressources alimentaires dans le monde. Démontrant l’aspect limité des terres arables pour subvenir aux besoins alimentaires, elle avance qu’avec une bonne gestion des ressources halieutiques, c’est à dire en prenant en compte la capacité de reproduction des poissons, et une diminution des captures accessoires, près d’un milliard de personnes supplémentaires pourraient être nourries. Dans quelle mesure peut-on dire que les océans forment la plus importante réserve alimentaire d’aujourd’hui et de demain ?

Bruno Parmentier : D’ici à 2050, il va falloir augmenter de 70 % la production alimentaire mondiale pour faire face à l’accroissement de la population et à l’augmentation de la consommation de produits animaux dans le monde. Face à de ce gigantesque défi, toutes les idées sont bonnes à prendre ! L’essentiel de l’effort doit évidemment concerner l’augmentation de la productivité de l’agriculture dans toutes les régions du monde où elle est restée faible, et ce par des méthodes agro écologiques qui ponctionnent moins les ressources non renouvelables de la planète. L’objectif est de produire autant de nourriture avec beaucoup moins (d’engrais, de pesticides, d’eau, de tracteurs, de pétrole, etc.) dans nos pays déjà très productifs, de tripler la production agricole en Afrique et de la doubler en Asie !

Dans ce cadre, tout que pourra amener le poisson sera évidemment le bienvenu. Animal à sang froid, sa capacité de transformation de végétaux en protéines animales d’excellente qualité est nettement supérieure à celle des animaux terrestres à sang chaud, qui consacre bêtement une bonne partie de ce qu’ils mangent à se chauffer !

On en a mangé dans le monde 158 millions de tonnes de poisson en 2012, contre 18 millions en 1950 ! Soit maintenant 21 kilos par terrien et par an, dont plus de 35 par français. Pour cela on a pêché 80 millions de tonnes et élevé 90 millions de tonnes. Croire qu’on peut prélever une telle quantité sans s’occuper sérieusement du renouvellement, et sans dépeupler la mer, est une opinion bien naïve ! Le poisson de mer est en fait tellement menacé qu’il est en fait proche d’être condamné ![1]

La situation est particulièrement grave : d’un côté, 40 à 60 millions de pêcheurs artisanaux qui survivent de plus en plus difficilement et approvisionnent pour la plupart le milliard de personnes pour lesquelles le poisson est l’unique source de protéines animales. En face sont apparus des « pêcheurs industriels », largement subventionnés, équipés de bateaux énormes munis de sonars, de radars et de chaluts ou de filets dérivants qui vont de plus en plus profond. Ils ne représentent que 1 % de la flotte mondiale, mais ramènent la moitié des prises et l’essentiel des 20 à 40 millions de tonnes gaspillées (espèces non ciblées, mammifères marins, tortues, oiseaux de mer, poissons trop petits, etc., qui sont rejetés morts, sans être commercialisés ni consommé).

Si on ajoute à cela le réchauffement et la pollution des eaux, on estime que d’ores et déjà, 29 % des espèces de poissons et crustacés sont en passe de disparaître purement et simplement, et leur pêche a déjà chuté de près de 90 %.

Jackie Savitz nous redonne un peu d’espoir en expliquant que le problème concerne pour l’essentiel les côtes qui sont proches d’une vingtaine de pays, et que dans ces zones somme toute pas si nombreuses il reste encore envisageable de faire la police en réglementant la pêche pour s’assurer d’un bon renouvellement de la ressource. Il s’agirait cependant d’un saut qualitatif gigantesque dans la gestion commune de la planète, qui nécessitera la mise en œuvre d’efforts considérables et donc une volonté politique implacable pendant de nombreuses années…

Atlantico : En quoi le potentiel des ressources alimentaires marines n’est-elle pas correctement exploitée aujourd’hui ?

Bruno Parmentier : Les pêcheurs ont 3 000 ans de retards sur les éleveurs ! Il y a bien longtemps que, sur terre, les chasseurs ont fini par dire « ça me fatigue de courir derrière les sangliers, si j’élevais des cochons ! ». Et la ressource n’a pas manqué : il n’y a jamais eu autant d’animaux à manger sur terre.

Mais les pêcheurs, eux, a continué à prendre les embruns en courant derrière le poisson ;  sauf que 3 000 ans ont passé et qu’ils le font aujourd’hui avec les technologies de l’armée américaine. Imaginons ce qui se passerait si on mettait l’armée américaine à chasser le sanglier dans nos forêts… Observons la plus grosse « usine à poisson » du monde, le Lafayette, qui a 228 mètres de long, jauge 50 000 tonnes et peut traiter à l’aide de ses 320 hommes d’équipage et de ses 50 chalutiers associés, jusqu’à 1 500 tonnes de poisson par jour ! [2]

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Comme la ressource a commencé, on a été toujours plus loin, toujours plus profond, toujours plus gros. Ce comportement de prédateur est en train de ruiner une activité millénaire et de la compromettre gravement.

Pour un certain nombre d’espèces, c’est trop tard, mais pour un grand nombre d’autres, le sursaut peut payer. Il faut passer résolument de la mentalité de la chasse à celui de l’élevage. En haute mer directement, mais aussi évidemment faire de la pisciculture. Élever le poisson intensivement, dans des espaces bien délimités et bien protégés, en mer, dans les rivières et lacs, et dans des fermes aquatiques sur terre. Depuis 2013, on mange plus de tonnage de poissons d’élevage sur terre que de bœuf ! C’est encore très difficile de voir ça en France puisqu’il n’y a pratiquement pas de pisciculture dans notre pays (la moitié de cette activité se déroulant dans un seul pays, la Chine). Mais encore faudra-t-il réfléchir sérieusement pour savoir ce qu’on va élever, en donnant la priorité aux poissons herbivores ou qui se nourrissent de plancton plutôt qu’aux poissons carnivores, pourtant les plus appréciés !

Mais si l’on s’y met, les mers et océans sont immenses, plein de ressources, et bien évidemment on peut y produire beaucoup plus si on le fait de façon scientifique et raisonnable.

Atlantico : A quels problèmes principaux serions-nous confrontés si les pouvoirs publics décidaient de mettre en place le dispositif proposé par Jackie Savitz ?

Bruno Parmentier : On voit déjà les problèmes en Europe actuellement ! Nous essayons de nous organiser de façon plus rationnelle et plus durable depuis des années, et les succès restent, il faut le dire, très limités. Les conflits entre la communauté européenne et les pêcheurs sont permanents. Les mesures à court terme viennent sans arrêt interférer sur l’intérêt général à long terme. Et on a le plus grand mal à faire respecter les décisions qu’on a prises, même dans une mer fermée comme la Méditerranée. Le thon rouge, par exemple, fait l’objet d’une attention particulière ; on ne devrait pas en pêcher plus de 15 000 tonnes par an, ce qui n’a pas empêché pas de fixer des quotas internationaux tout à fait excessifs (par exemple 32 000 tonnes en 2005, et 22 000 en 2009). On est revenu à des décisions plus sages : pour l’année 2014, 13 400 tonnes dans l’Atlantique Est et la Méditerranée, et 1 750 dans l’Atlantique Ouest, mais on est incapables d’empêcher que, dans la vraie réalité, il s’en pêche de l’ordre de 57 % de plus !

Alors, ce qu’on arrive que très imparfaitement à obtenir dans la zone probablement la plus organisée et la plus légaliste du monde, l’Europe de l’Ouest, prévoir malheureusement un délai pour qu’on arrive à le réglementer sur toutes les côtes du globe, et a fortiori en haute mer là où l’impunité totale continue de régner.

[1] Voir Article du 24 juillet 2014 : « Idées de menus pour océans en danger : la liste des poissons que vous pouvez manger sans contribuer à leur disparition » dans ce blog

[2] Voir Article du 1er juin 2012 « Pêcher moins de poisson » dans ce blog

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
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1 réponse à Préserver les océans, la clé pour nourrir la planète ?

  1. 1011 dit :

    En écho à votre article, une contribution artistique : plasticienne engagée, j’ai réalisé une oeuvre sur la responsabilité des grands groupes industriels dans la pollution atmosphérique et aquatique que je viens d’exposer en Pologne. Cette installation est complétée par un cercle de poissons séchés qui rappel la mort en nombre des poissons dans nos océans.
    A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/poisons.html

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