Avec l’annonce de la condamnation de Monsanto, accusé d’avoir provoqué le cancer d’un jardinier américain qui l’étendait dans les écoles, le glyphosate va probablement être interdit plus rapidement en Europe. Et la vraie question, cruciale est maintenant : Comment cultiver sans cet herbicide le plus vendu au monde ?
Je ressort à cette occasion un texte qui pose la problématique.
Publié sur le site Atlantico le 4 février 2017
Et sur le site de l’Association pour une agriculture écologiquement intensive
Le glyphosate, massivement utilisé dans le monde, est menacé en Europe
Le glyphosate est un désherbant total foliaire. Répandu sur les feuilles des plantes avec un adjuvant tensioactif qui lui permet de mieux pénétrer, il inhibe la production d’une enzyme qui produit les acides animés et la plante meurt. Monsanto a exploité seule son brevet, sous le nom Roundup, de 1974 à 2000, date à laquelle il est devenu public et d’autres firmes comme Syngenta, Bayer, BASF et Dow se sont mises à en produire (en tout 750 déclinaisons commercialisées par plus de 90 fabricants dans le monde !). Monsanto a en particulier inventé et largement vendu des OGM résistant à ce produit, ce qui a grandement contribué à sa diffusion (rappelons que 83 % du soja produit dans le monde est actuellement OGM). II en vend encore pour 5 milliards de dollars par an, et 10 000 tonnes par an en France à 3 millions de clients !
Épandage sur du soja OGM
Son succès repose sur un coût faible, une bonne efficacité et une très grande souplesse d’utilisation. Agissant sur les feuilles, et se dégradant dans le sol, il est sans effet sur la culture suivante, ce qui permet de semer juste après une application, ou encore de l’utiliser au pied des arbres fruitiers. C’est l’herbicide le plus utilisé dans le monde, à la fois pour le désherbage agricole et pour l’entretien des espaces urbains et industriels. De ce fait il est devenu un véritable symbole, voire un chiffon rouge pour les milieux écologistes. D’autant plus que certains adjuvants sont accusés de nuire à la reproduction de poissons et de grenouilles. Coup de tonnerre, il a été classé cancérogène probable par de Centre international de recherche sur le cancer en 2015, opinion contesté par l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Dans le doute, la Commission européenne n’a renouvelé son autorisation que jusqu’à la fin 2017, pour se donner le temps d’avoir les résultats d’autres analyses. Déjà en France l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a interdit en mai 2016 132 produits associant le glyphosate à certains adjuvants. Il est donc possible, voire probable que cet herbicide soit purement et simplement interdit en Europe à partir de 2018. D’où la question ; comment faire sans ?
Petite histoire des mauvaises herbes et de leurs rapports aux paysans
L’agriculture mondiale a toujours été fortement handicapée par les « mauvaises herbes », nommées par les professionnels « adventices » (en effet toutes les plantes non désirées ne sont pas mauvaises, certaines sont même utiles, et d’ailleurs comment définir qu’une plante est intrinsèquement mauvaise ?). Les contrôler, et si possible les éradiquer, est donc devenu une obsession des paysans depuis des siècles. Objectif difficile à atteindre car ce sont des plantes particulièrement résistantes qui ont su s’accommoder aux maladies, sécheresses, canicules, inondations, gels, attaques des animaux, etc., se déplacer avec le vent, les animaux, les hommes, les transports mécaniques, et même s’adapter aux évolutions des plantes cultivées par « mimétisme vavilovien ». Au total, ces plantes sauvages semblent mieux adaptées aux milieux que les plantes cultivées ! De nombreuses stratégies ont donc été mises en place au cours des âges.
On a tenté de les brûler avec les chaumes après la moisson. Cette pratique est maintenant interdite en Europe à cause de ses nombreux inconvénients : perte de carbone et d’azote utiles à la fertilité des sols, pollution, émission de gaz à effet de serre, dangers d’incendies, etc.
La méthode la plus utilisée à consister à les enfouir via le labour. Une méthode qui a largement fait ses preuves, à tel point que les agriculteurs ont longtemps appelés « laboureurs ». Cette pratique a explosé avec l’apparition du tracteur et du pétrole bon marché » après la deuxième guerre mondiale.
Au XVe siècle, on pratiquait couramment le labour en France si l’on en juge par les « Très riches heures du Duc de Berry ». Au siècle suivant Sully le considérait comme une des « deux mamelles de la France »
Mais cette activité pose de plus en plus de problème, y compris pour l’élimination des adventices, car la majorité ne meurent pas en une année, et sont donc remontées à la surface, fraiches et disposes, par le labour de l’année suivante. Agaçant quand on a consommé 15 à 40 litres de fuel par hectare pour remuer la terre ! Mais de plus ces labours de plus en plus profonds font remonter les cailloux, détruisent les vers de terre, les filaments des champignons, les bactéries, ils tassent la terre, provoquent de l’érosion et de la battance (les gouttes de pluie forment une couche imperméable sur le sol) et diminuent la portance des sols (les engins s’enlisent dans les champs). Ils exposent les reliquats d’engrais azotés aux vents de l’automne et les transforment en pentoxyde d’azote, au pouvoir réchauffant de la planète 298 fois plus important que le gaz carbonique. Last but not least, les champs labourés n’utilisent l’énergie solaire que 6 mois par an, le reste du temps, pas de photosynthèse !
C’est dire si l’apparition des herbicides chimiques a été vécue comme une bénédiction, on pouvait enfin empoisonner les adventices, à faible coût ! La profession s’est massivement engouffrée dans cette voie. Surtout au début, lorsque ces végétaux n’avaient pas encore développé de résistances, ce qui n’est plus le cas (brome, ray-grass, coquelicot, matricaire, folle-avoine, chénopode, etc. posent de plus en plus de problèmes). Sans oublier les défenseurs de l’environnement et de la santé, qui sont progressivement devenus nombreux et… bruyants !
Affronter la complexité pour cultiver sans herbicides
Lors du Grenelle de l’environnement, il a été convenu de tenter de diminuer par deux la consommation de pesticides en France entre 2008 et 2018… or à mi-parcours, on avait augmenté de 5 %, et cet objectif a été repoussé à 2025. Beaucoup d’agriculteurs protestent en disant « qu’ils n’ont pas d’autres solutions », et les écologistes s’énervent ! Avec les interdictions à venir, il faut impérativement mettre en place un ensemble de solutions complémentaires (s’il y en avait une seule, ça se saurait !), et acquérir une nouvelle culture sur le sujet. Tentons de citer quelques agressions qu’on peut inventer envers les adventices, dans le cadre d’une agriculture écologiquement intensive :
- Les dérouter, en allongeant les rotations, et en faisant se succéder plantes à cycle de vie différents (céréales d’hiver et de printemps, légumineuses, etc.) et en particulier des plantes qui se récoltent avant la montée des graines des adventices, ou des plantes qui se développent précocement et étouffent les adventices. On peut également décaler les semis.
- Les étouffer en couvrant le sol en permanence pour ne pas leur laisser la possibilité d’accéder aux ressources (eau, soleil, etc.) : via des plantes de couverture, des cultures dérobées, des faux semis, mais aussi du mulch, du bois raméal fragmenté, ou du paillage, végétal (écorces de pin, de peuplier, coques de cacao, lin, chanvre, etc.) ou minéral (pouzzolane, schiste, ardoise, tuiles concassées, etc.).
Semis direct dans des plantes de couverture simplement rabattues
- Les empoisonner autrement, via des produits naturels utilisés par les agriculteurs bio, par exemple à base de géranium, vinaigre blanc, divers acides gras, huiles de pin, ou les nouveaux bio produits d’imitation de la nature qui vont maintenant arriver rapidement, sur la base de l’allélopathie (mécanismes inhibiteurs de proximité inspirés de certaines plantes qui ont historiquement pu résister à la concurrence en produisant des molécules toxiques contre les adventices). Cette bioinspiration garantit que les molécules sont métabolisables dans la biosphère et qu’elles peuvent donc avoir une fin ultime.
- Les brûler ou les ébouillanter sélectivement (une solution coûteuse en énergie…). Des techniques de destruction laser arrivent également sur le marché, éventuellement couplées à des drones…
- Les faire manger par certains animaux : citons par exemple les canards (qui n’aiment pas le riz !) lâchés dans les rizières qui les désherbent impeccablement.
- Les enfouir durablement (jusqu’à ce que mort s’ensuive). Des expérimentations sont actuellement menées sur l’introduction de plages de 5 années de prairies dans les zones céréalières, après labour. Des éleveurs de ruminants itinérants louent ces terres, qui dans cette période se fertilisent et se débarrassent des graines d’adventices, les rendant ensuite prêtes à une agriculture sans labour.
- Les arracher sélectivement, à la main, par binage ponctuel (éventuellement guidé électroniquement) ou via des outils comme la herse étrille, la houe rotative, et les robots désherbeurs qui commencent à arriver.
RobotOZ, développé par Naiö pour le maraîchage
La mise en œuvre combinée de ces solutions réclame un raisonnement anticipateur et complexe, et peut être vu comme « un investissement » patient, nécessitant de savoir gérer les risques mais avec un réel espoir d’être de plus en plus efficace avec le temps. Rien ne sera simple dans l’agriculture du futur, mais elle sera passionnante !
Merci et bravo pour cet article, intitulé \\ »Demain, cultiver sans glyphosate (Roundup)\\ »! J\\’ai enfin compris pourquoi l\\’on en était venu, dans les siècles passés, à cultiver la terre – \\ »Labourage et pâturage…etc…\\ », j\\’appartiens à une génération qui apprenait disons…ce slogan, associé de façon indélébile au nom de Sully, à l\\’école primaire du temps où l\\’on y enseignait encore l\\’Histoire de France, et chronologiquement s\\’il vous plaît! 🙂 – . Oui, j\\’ai enfin compris quelque chose sur la finalité supposée du labour donc, puisque depuis un paquet d\\’années désormais ,voire de décennies, l\\’on entend dire régulièrement sur les ondes où et autres médias qu\\’il vaut mieux laisser la terre reposer. Ceci m\\’a laissé longtemps perplexe, je l\\’avoue. Mais puisque – et c\\’est mille fois mieux, en effet – les lombrics font le boulot, alors laissons les travailler gratuitement pour nous, en silence et sans gaspiller de pétrole ! Ah, mais:-)Merci aussi pour l\\’interview que vous avez donnée ce matin (25 février 2017) sur France-Culture, et qui m\\’a mis sur la piste de votre blog (via l\\’aide d\\’un moteur de recherche tout de même). Votre discours, porteur d\\’une grande compréhension des mécanismes politico-économicaux-sociaux dans le domaine de l\\’agro-alimentaire, et d\\’une très grande clarté d\\’exposé, le tout non dénué d\\’humour (la tranche de jambon carré! Au moins, c\\’est clair!), votre discours donc permet au simple citoyen (pourtant d\\’origine rurale à deux générations, i.e sensibilisé à la question) d\\’y voir enfin plus clair dans les décisions à la serpe prise par Bruxelles. Du coup, je recommence à espérer un peu dans le futur de cette humanité, dont une petite partie – les grands-prêtres idolâtres du pourvoir et de l\\’argent, qui sont aux manettes justement – se fout bien d\\’empoisonner les autres, pourvu que ce poison du/des pesticide(s) soit déversé sur l\\’autel du fric!Or, il est vital – c\\’est exactement le mot qui convient – de bien et sainement manger. \\ »Mens sana in corpore sano\\ ». Une âme saine dans un corps sain, me disait ma mère (de la génération 1925), bretonnante et latiniste, quand j\\’étais enfant. C\\’était alors celà la sagesse héritée du monde paysan, et mâtinée de culture scolaire.Bien cordialement à vousJean-Luc Le Floch
Bonjour Monsieur,Si comme vous l\’écrivez le glyphosate se dégrade dans le sol pourquoi en retrouve-t-on dans l\’eau ?Il manque à votre approche plus scientifique que technique une approche économique. Le marché de l\’agriculture bio qui permet de mieux valoriser les produits agricoles, est souvent économiquement viable parce qu\’ils trouvent des acheteurs à des prix plus élevés que ceux de l\’agriculture classique. Mais il ne représente que quelques pour cents de la production agricole totale et du marché bio.Il est très vraisemblable, au dire des agriculteurs bio que les coûts de revient soient supérieurs à ceux de l\’agriculture classique. L\’agriculture que vous décrivez est très consommatrice de main d\’oeuvre. Hors vous savez sans doute que déjà dans l\’agriculture conventionnelle, ce travail est très très mal rémunéré. Très peu d\’agriculteurs conventionnels se payent le SMIC.Il est beaucoup trop tôt pour se passer du glyphosate malheureusement. L’agriculture alternative n\’est pas au point techniquement et encore moins économiquement. Les agriculteurs ne sont pas près techniquement. Et financièrement ils n\’ont pas les moyens de s\’engager dans une agriculture expérimentale. Heureusement d\’ailleurs que eux ils en sont conscients !Actuellement les agriculteurs qui se convertissent au bio reçoivent une aide à la conversion pour compenser la perte de rendement alors que leur production est encore valorisée au prix de l\’agriculture conventionnelle. Alors que les Etats Généraux de l\’alimentation sont en train de raboter les aides au bio, il est hors de question bien sûr d\’accorder une aide à la conversion à l\’ensemble des agriculteurs nationaux.Votre article est complètement irresponsable surtout de la part de quelqu\’un qui se reconnait une expertise dans le domaine agricole, alors que vous êtes seulement un grand communiquant.A quand un article sur les schistes bitumineux proposés par un agoéconomiste d\’Agro-Paristech ou d\’ailleurs ?
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Il y a aussi la solution de traitement vapeur et le desherbage électrique.