Le goût amer de l’exploitation du café dans le monde

En sirotant son petit noir préféré, on est en prise directe avec le capitaliste sauvage, le néo colonialisme, la bourse de New-York… et le réchauffement climatique !

C’est que, quand on achète un produit, qu’on le veuille ou non, on achète le monde qui va avec. Voyons un peu ce que cette sage maxime implique en ce qui concerne notre petit café si chéri.

Article publié sur Futura Sciences le 16 oct 2021

Une excellente boisson, à consommer à la bonne heure et avec modération

Quelque 2,5 milliards de tasses comme celle-ci sont consommées chaque jour, un plaisir dorénavant menacé. 

Si vous aimez en déguster régulièrement, le matin, à midi ou même le soir, vous n’êtes pas seul dans votre cas : on estime que ce sont environ 2,5 milliards de tasses de café qui sont consommés chaque jour sur notre planète.

Les français ne sont pas les plus grands consommateurs de café au monde, mais ils en consomment quand même de l’ordre de 5 kg par an, c’est-à-dire en moyenne deux tasses par jour et par personne. Hormis l’eau, c’est, avec le thé, la boisson la plus consommée quotidiennement sur terre.

Maison de café à Constantinople 1905

Au-delà de son caractère social, le café, tout comme le thé, permet de maintenir son attention plus longtemps. C’est pour ça que, contrairement à l’alcool, il n’a pratiquement jamais fait l’objet d’un interdit alimentaire ; originaire de l’Éthiopie, il s’est très vite développé dans le monde arabo-musulman (d’où son nom issu de l’arabe قهوة : qahwah, boisson stimulante).

Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, il n’est pas indiqué de prendre du café au réveil ou au petit-déjeuner ; en effet c’est le moment de la journée ou le corps secrète naturellement du cortisol, un stimulant naturel qui aide à se réveiller, et il n’est pas habile d’interférer avec cette sécrétion ; au cours de la journée, le niveau de cette hormone diminue, et c’est là que la caféine peut prendre le relais ; les meilleures heures pour consommer du café sont donc lors du coup de fatigue du milieu de la matinée, après le déjeuner (avant la sieste vu l’effet retard !) et en début d’après midi. Après, cela peut perturber le sommeil naturel : il a même été démontré que les gens qui prennent du café moins de 6h avant d’aller se coucher perdent en moyenne une heure de sommeil, même s’ils ne s’en rendent pas compte.

Justement non, éviter le café le soir !

Le créneau idéal du café va donc de 10 h 30 à 17 h ; sauf, naturellement, si on veut, ou doit, travailler la nuit !

Vu comme cela, les gens qui se plaignent de ne pas « être du matin » et se réveillent systématiquement de mauvaise humeur cachent souvent une psycho dépendance à la caféine. Notons que cette dépendance devient vite héréditaire, lorsque les enfants imitent dès l’adolescence le comportement addictif de leurs parents.

Mais, au delà de nous aider à fixer notre attention, il semble que la caféine (et quelques-uns des autres 800 composants du café), puisse avoir quelques effets préventifs pour un certain nombre de maladies, principalement cardiovasculaires, mais aussi Alzheimer, Parkinson ou diabète de type 2. Elle favoriserait également la perte de graisse et l’adaptation au stress dû à l’effort physique, atténuerait certaines douleurs musculaires et faciliterait l’augmentation des endorphines…

Les meilleures marques de machine à café à grain - Dupont FiveStarIl convient néanmoins de prendre un peu de recul sur ces éléments très positifs. La puissance économique énorme des lobbies du café fait qu’ils peuvent financer de nombreuses études tendant à prouver que leur produit est bon pour la santé. Il y a bien d’autres produits qui sont aussi excellents et qui n’ont pas ce privilège : le lobby de la choucroute ou du brugnon pourraient, eux aussi, s’ils en avaient les moyens, montrer à quel point leur produit est génial pour l’avenir de l’humanité ! Et à l’inverse, il a été démontré que, contrairement à ce qu’affirme obstinément le lobby du vin, boire un verre de vin rouge par jour n’améliore pas l’espérance de vie !

De plus, il faut se souvenir que la caféine reste une drogue addictive ; il est fortement recommandé aux adultes de ne pas en ingérer plus de 400 mg par jour (soit 4 tasses par jour, ou 2 grands americano), 200 mg pour une femme enceinte et 100 mg pour un adolescent ! Sous peine d’augmentation indue du rythme cardiaque, de douleurs d’estomac, de déshydratation, de diarrhée, d’agitation et d’irritabilité, de frissons et d’anxiété. Compte tenu de son effet hypertenseur, il est également déconseillé aux patients atteints de troubles cardiovasculaires graves ou chroniques. Attention aussi aux mélanges avec les autres boissons contenant des drogues similaires comme le thé ou le maté.

Ce qui est vraiment mauvais pour la santé dans le café, c’est aussi et surtout ce que l’on prend avec ! 

Ce qui est vraiment mauvais pour la santé dans le café, c’est aussi et surtout ce qu’on prend autour : le sucre, la crème, le chocolat, le petit gâteau, sans parler de la cigarette bien sûr ! Notons que, maintenant, le café a fini par se libérer de son image d’associé à la cigarette, ce qui n’était plus aussi valorisant qu’après guerre. Depuis qu’en France il est interdit de fumer dans les lieux publics, il a au contraire élargi son marché avec les non fumeurs, qui sont retournés dans les cafés quand ils ont retrouvé un air respirable ! Sans compter les femmes, qui auparavant s’abstenaient de fréquenter ces lieux trop machistes, et qui, depuis qu’elles travaillent à égalité avec des hommes, sont massivement passées de la consommation de thé à celle de café…

Rappelons également que le café n’hydrate absolument pas, puisqu’il consomme plus d’eau pour être digéré qu’il n’en amène lui-même. Il est donc parfaitement légitime et utile de boire un verre d’eau en même temps que son café, comme de plus en plus de bistrots le proposent dorénavant.

Une bonne partie des 800 composés du café, en particulier ceux qui lui donne du goût, des arômes et des propriétés de santé, se dégradent à l’air et à la lumière. D’où l’intérêt de conserver son café dans un récipient hermétique, au frais et à l’abri de la chaleur et de la lumière. Et de ne le moudre qu’au fur et à mesure de la consommation, car, bien sûr, le café moulu est davantage en contact avec l’air que le café en grains !

Notons que certains consommateurs sont réticents à consommer du café décaféiné, à cause des produits chimiques utilisés pour extraire la caféine, ou du café en capsules, à cause de l’aluminium, du furane, et du gâchis pour la planète. Mais il n’a pas été prouvé que ces produits présentent un quelconque risque pour la santé.

Le paradis des multinationales et du capitalisme

C’est en Europe du Nord qu’on boit le plus de café : Finlande, Suède, Danemark Norvège et Pays-Bas. D’une manière générale, 70 % du café consommé dans le monde l’est dans les pays du Nord, dont aucun n’est producteur de cette plante tropicale ! À l’inverse, sauf exception, les pays producteurs de café en consomment peu et le considèrent avant tout comme un produit d’exportation, apte à leur amener des devises. Un cas de figure très différent de celui du thé, où les plus grands producteurs, comme la Chine et l’Inde, sont aussi les plus gros consommateurs !

Lorsque je vivais au Mexique par exemple, un pays producteur de café, j’étais toujours étonné de constater qu’il n’y avait presque jamais d’expresso, et que les bistrots et restaurants disposaient systématiquement un flacon de Nescafé sur chaque table, les consommateurs n’ayant plus qu’à demander : « agua para Nescafé ». Il fallait donc payer son tribut à Nestlé pour pouvoir consommer le produit local, une situation quasiment coloniale.

On estime que le café est le 2e produit le plus exporté au monde après le pétrole. Pas en poids bien sûr puisque le blé, le riz, le maïs, et le sucre, qui voyagent également beaucoup sur la planète, sont beaucoup plus pondéreux, mais en dollars. On parle là d’un marché de l’ordre de 15 milliards de dollars par an (dont la moitié à destination de l’Europe). Pour les seuls achats de grains de café au producteurs.

Le chiffre d’affaires payé par le consommateur est beaucoup plus important. Rien qu’en France il est de l’ordre de 3 milliards d’euros annuels pour les seules ventes en supermarché et il faut probablement doubler ce chiffre si on inclut les cafés consommés dans les bars, hôtels, restaurants, gares, hôpitaux, collectivités ou entreprises.

Ces sacs de café achetés à bas prix en Amérique centrale doivent être cotés à New York avant d’être bus en Europe. Un commerce qui pèse des dizaines de milliards de dollars ! 

À l’échelle mondiale, on parle de 70 milliards de dollars mais ce chiffre est très probablement sous estimé. Si en plus on ajoute le commerce induit (filtres, cafetières de toutes sortes, etc.) le secteur pèse certainement plus de 100 milliards de dollars annuels. Le poids économique de l’économie du café est donc considérable, et a favorisé l’apparition de très grandes entreprises qui se sont progressivement taillé des empires quasi monopolistes.Il est donc tout à fait logique que le cours mondial du café arabica se négocie à la Bourse de New York, où l’unité de compte reste les 250 sacs de 60 kg avec des cotations en cents / livre ! Celui du café robusta (celui qui sert à la fabrication de cafés solubles) se fixe, lui, à Londres par lots de 5 tonnes, avec des cotations en dollars / tonne. Il n’est pas vraiment évident que les intérêts des petits producteurs y soient un jour bien défendus !

Vingt-cinq millions de personnes récoltent à la main le café

Au départ on estime que 25 millions de personnes vivent directement de la culture du caféier, essentiellement des petits producteurs, puisque 70 % des exploitations font moins de 10 hectares. Avec le séchage, le transport et la commercialisation, plus de 100 millions de personnes sont impliquées dans cette filière.

L’Europe « occupe » ainsi à elle seule 7 millions d’hectares dans les pays tropicaux pour la production de son thé, café et cacao, dans des régions où se conjuguent en général injustice, faim, malnutrition, pauvreté et faible espérance de vie…

À l’arrivée, les acteurs sont infiniment moins nombreux ! Quelques grandes firmes transnationales de l’alimentation contrôlent plus de 80 % du café brut : Nestlé (Suisse), Mondelez International (anciennement Kraft Foods), Starbucks et Cargill (Etats-Unis), Tchibo (Allemagne), Lavazza (en Italie), DEMB 1753 (aux Pays-Bas)… et elles sont encore en phase de regroupement ; par exemple Nestlé vient d’acheter les droits de commercialisation de Starbucks. Ces groupes dirigent à leur profit l’ensemble du marché et prélèvent une bonne part de la valeur ajoutée : de l’ordre de 1,20 $ par kilo vendu 3,60 $ au consommateur, sur lequel ils enregistrent 20 à 25 % de marge bénéficiaire. Ils affichent un chiffre d’affaires de plus de 60 milliards de dollars. Nestlé par exemple décline à l’infini ses marques Nescafé, Ricoré, Nespresso, Bonjour, plus une douzaine d’autres. Il produit à lui seul plus de la moitié du café soluble mondial.

Ces marques de café sont souvent plus puissantes que les États producteurs eux-mêmes !

À la suite, une trentaine de grossistes engrangent eux aussi de fructueux bénéfices. Des marques comme Lavazza, Illy, Carte noire, Jacques Vabre, Leroux, Maison du café, Malongo, Maxwell House, Legal sont devenues extrêmement puissantes.

Sans oublier que ces firmes dépendent elles-mêmes de plus en plus des achats massifs effectués par les principales chaînes de commercialisation mondialisées comme Carrefour, Wal Mart, Ahold ou Tesco…

Voici 2 exemples chiffrés pour illustrer l’économie du café : pour faire une tasse de café, il faut environ 7,5 grammes de café moulu ; un kilo de café permet donc de réaliser environ 140 cafés. Le cafetier consacre de l’ordre de 0,10 € à acheter le café qu’il vend autour de 2 € la tasse ! Dans un paquet de café moulu de 250 g commercialisé en grande surface autour de 2 à 3 €, il y a environ 0,15€ pour le petit producteur.

Quand on constate que le même café insipide servi dans une machine automatique peut coûter de 0,30 à 1,20 €, on se doute qu’il y a de la marge à faire en installant de telles machines !

Notons que le même phénomène de captage mondial de valeur intervient sur le cacao, où le producteur ne reçoit qu’à peine 2 à 4 % de la valeur finale de son produit, la banane ou le coton… et d’une manière générale la plupart des produits tropicaux qui ont la malchance de provenir de pays qui comptent peu dans la géopolitique mondiale.

Il n’est donc pas étonnant que ce produit ait été le symbole de la recherche de commerce équitable ; des firmes maintenant bien connues comme Max Havelaar arrivent à payer 3 à 4 fois plus aux petits producteurs sans que cela se ressente beaucoup sur le prix au consommateur… en fait ils travaillent essentiellement sur la marche des différents intermédiaires. On est donc vraiment dans un secteur ou le citoyen peut, s’il le souhaite, choisir sans se ruiner de mieux rémunérer le petit producteur !

Un des problèmes pour les petit producteurs qui veulent bénéficier de meilleurs prix est que les normes du café équitable ne sont pas les mêmes que celles du café bio, et les contrôleurs différents, or ce sont souvent les mêmes consommateurs qui sont sensibles à l’équitable et au bio…

On peut noter que les fluctuations du marché international du café sont énormes et peuvent aller du simple au triple d’une année à l’autre, sans que cela provoque beaucoup de changement de prix du paquet de 250 g vendu en supermarché ou du petit noir sur les Champs Élysées. En fait, économiquement, dans un café, il y a finalement très peu de café !

Un petit air de géopolitique

D’après les statistiques de la FAO, il se produit de l’ordre de 10 millions de tonnes de grains café chaque année (contre 4 dans les années 70).

L’Ethiopie, pays d’origine de cette plante, fournit toujours un peu plus de 4 % du marché mondial mais n’a pas vraiment réussi à profité de son grand développement.

Champs de caféiers au Brésil, un pays qui fournit à lui seul un tiers de la production mondiale, avec des plantations industrielles souvent installées au détriment de la forêt vierge.

Les 2 pays qui en ont le plus profité n’avaient absolument pas de culture caféière : Le Brésil qui est de loin le plus grand producteur mondial actuellement, est passé de 20 à 30 % de parts de marché ; il est le leader mondial de l’arabica. Et le Vietnam, qui n’en produisait pas du tout pendant qu’il était en guerre, s’y est mis très fortement depuis, puisqu’il représente dorénavant à lui seul 17 % du marché mondial, et surtout la majorité du café robusta (un caféier de plaine qui sert à faire du café soluble). Ces 2 pays maitrisent très bien cette production et arrivent à obtenir d’excellents rendements (respectivement 1,7 et 2,7 tonnes à l’hectares) nettement supérieur à la moyenne mondiale, qui n’est que de 900 kilos à l’hectare.

Le café est produit au sud, et il est consommé au nord. Les deux plus gros pays producteurs, Brésil et Vietnam, s’y sont mis récemment. Graphique de l’auteur à partir de chiffres FAO

La Colombie et l’Indonésie suivent derrière avec 8 % de parts de marché chacun, et des rendements moyens (1 000 et 600 kilos à l’hectare). Ces 4 pays pèsent les 2/3 du marché mondial. Malgré cela, ils n’arrivent pas à s’organiser comme le font les pays producteurs de pétrole pour imposer des conditions de marché qui soient plus conformes à leurs intérêts. Les multinationales restent plus puissantes. On observe cependant en 2021 qu’il a gelé dans les plantations de café brésilienne, ce qui a beaucoup diminué la récolte de ce pays et a fait flamber les cours à la bourse de New-York ; donc, en théorie, une entente des pays producteurs sur les quantités mises sur le marché afin de mieux le contrôler serait possible…

Le reste de la production est éparpillé entre une cinquantaine de pays, essentiellement latino américains (Honduras, Pérou, Guatemala, Nicaragua, Mexique, etc.), mais aussi africains (Ouganda, Cote d’Ivoire) et asiatiques (Inde, Laos, Chine).

Un plaisir fortement menacé par le réchauffement climatique

Le café arabica a été sélectionné pour la richesse de son goût, sa teneur en caféine, et sa robustesse aux maladies, mais il est très sensible aux variations climatiques. 

D’une part, le caféier arabica craint fortement le gel, et il est donc périlleux de le faire pousser en altitude. Mais d’autre part il craint aussi la chaleur ; en fait il s’épanouit entre 19 et 26°, et dans une semi ombre (c’est à l’origine une espèce de sous-bois). Quand le thermomètre grimpe davantage, la photosynthèse s’en voit affectée et, dans certains cas, l’arbre s’assèche. De plus il a besoin de beaucoup d’eau pour pousser, mais pas trop : il craint à la fois les fortes précipitations et les sécheresses prolongées.

Le café est un des aliments les plus gourmands en eau ! En moyenne 16 000 litres d’eau pour produire un kilo de grains.

De plus il a besoin de beaucoup d’eau pour pousser, mais pas trop : il craint à la fois les fortes précipitations et les sécheresses prolongées.

Nutrition : Thé ou café ? La théine et la caféine - SportyNotons par exemple que, contrairement à ce que l’on perçoit à la terrasse d’un café, il faut beaucoup plus d’eau pour produire une tasse de café que pour produire une tasse de thé. Car avant de percoler son café il a fallu faire pousser un arbre dont on ne consomme que les graines, alors qu’en ce qui concerne le thé on infuse les feuilles, et le camellia produit beaucoup plus de feuilles que le caféier ne produit de graines ! On compte qu’il faut environ 16 000 litres d’eau pour récolter un kilo de grains de café, et donc 140 litres d’eau par tasse de café… L’eau du robinet consommée en final et la taille de la tasse deviennent très anecdotiques dans cette opération.

Au fur et à mesure que le réchauffement climatique produit ses effets, on a donc tendance à faire grimper les plantations plus haut en altitude pour éviter les canicules, et cultiver davantage à l’ombre, en l’association avec de grands arbres relativement touffus. Les territoires qui présentent ce nécessaire équilibre entre l’absence de gel, l’absence de canicule et la régularité des pluies vont se raréfier de plus en plus. Au Guatemala, au Panama ou au Honduras, il n’est déjà plus possible de monter en altitude. La chaleur trop intense perturbe la floraison, et les variations de production vont s’accentuer.

L’arabica, pourrait éventuellement gagner les climats méditerranéens, mais irrigué, voire sous serre.

Corey Watts et son équipe du Climate institute ont par exemple mesuré l’effet de la température sur la production de Coffea arabica en Tanzanie : 137 kg de moins par hectare et par an pour 1°C de hausse de la température minimale. La productivité, dans ce pays, aurait chuté de 50 % depuis les années 1960.

Le caféier est fortement menacé par le réchauffement climatique, particulièrement la canicule et la sécheresse.

Notons également que l’agroforesterie, qui peut sembler représenter une vraie solution, peut aussi déboucher sur de la déforestation lorsqu’elle est mal maîtrisée. Il s’agit bien de remettre des arbres dans les champs et pas de débroussailler une forêt pour y installer des caféiers, puis de progressivement vendre le bois en cas de coup dur. La Côte-d’Ivoire, qui a perdu 90 % de sa forêt en cinquante ans, en a fait les frais, tout comme le Pérou. Sans compter le fait que cette déforestation redonne un coup de fouet au paludisme, laissant le champ libre aux moustiques mortifères… Et, bien sûr, elle accélère le réchauffement de la planète, car les champs de caféier fixent beaucoup moins de carbone que la forêt naturelle qu’ils remplacent.

Il a été prouvé par exemple que les forêts artificielles, qui ne sont pas soutenues par une végétation très dense à leurs pieds, restent beaucoup moins efficaces que les forêts naturelles pour stocker le gaz carbonique, et a fortiori les plantations d’arbres fruitiers. Lorsqu’on brûle la forêt d’origine pour faire place nette avant la plantation, c’est un véritable désastre.

Bien évidemment, on fait de nombreuses recherches génétiques pour trouver des parades. Dans le cadre du programme Breedcafs, financé par l’Union européenne, le Cirad crée des hybrides destinés à l’agroforesterie, surtout pour fournir les petits agriculteurs en semences. Il a par exemple marié une espèce éthiopienne d’ombrage à une américaine, plus vigoureuse et cultivée en plein soleil. Le bébé est à la fois plus résistant et plus productif.

Feuilles de caféiers Coffea Stenophylla, celui qui pourrait peut-être sauver l’arabica du réchauffement climatique.

D’autres chercheurs viennent de redécouvrir le café Stenophylla qui a un goût très proche à celui l’arabica. Ces deux espèces ne sont pas étroitement liées, elles sont originaires de côtés opposés du continent africain et les climats dans lesquels elles poussent sont très différents. Elles ne se ressemblent pas non plus : le stenophylla a des fruits noirs et des fleurs plus complexes que les cerises de l’arabica, qui sont rouges. Le croisement de la stenophylla avec l’arabica ou le robusta pourrait rendre ces deux variétés plus résistantes au changement climatique et même améliorer leur goût, dans le cas du robusta.

Il y a urgence à accentuer les efforts de recherche, car les réservoirs d’espèces sauvage de caféier s’épuisent rapidement, compte tenu de l’ampleur de la déforestation dans les forêts tropicales, du réchauffement climatique, de la propagation de maladies et d’insectes nuisibles. En Afrique, les experts estiment que sur 124 espèces de café sauvage, 75 sont déjà menacées, et on aura beaucoup de mal a compter dessus pour trouver les parades au réchauffement climatique.

En fait, les prévisions actuelles sont carrément pessimistes : dans des délais relativement courts on risque de manquer de plus en plus fortement de café arabica… transformant ce produit actuellement très populaire en un produit de luxe ! En fait les spécialistes estiment que les rendements pourraient baisser de 38 à 90 % d’ici la fin du siècle.

Heureusement le Coffea canephora (robusta), comme son nom l’indique, semble plus robuste ; il s’accommode de terrains de plaine et de chaleurs plus intenses, et offre des rendements plus élevés ; il a donc plus de chance de survie.

Il faut donc raisonnablement prévoir de passer dans quelques années de l’expresso au café soluble… ou à la chicoré !

Ce grain a aussi ses propres problèmes sanitaires

La plupart des buveurs de café n’ont probablement jamais entendu parler de l’ochratoxine A (ou OTA). C’est un poison naturel fortement toxique pour les reins et pouvant être cancérogène, qui est produit par une moisissure que l’on trouve parfois sur les fèves de café brutes ou « vertes », et qui n’est pas complètement éliminé lors de la torréfaction.

Les experts de la FAO/OMS ont fixé un seuil maximum de tolérance pour l’homme de 100 milliardièmes de gramme par kilo de poids corporel et par semaine. En 2004, l’UE a établi des limites maximales acceptables de 5 parties par milliard (PPB) pour le café torréfié et moulu, et de 10 PPB pour le café instantané.

Pour éviter au maximum l’apparition de ce poison, il faut absolument améliorer les conditions de séchage et de stockage dans les pays producteurs, ce qui est difficile à garantir compte tenu de la grande multiplicité des acteurs. Il faut aussi mieux surveiller les transports internationaux de conteneurs, qui passent couramment d’une zone climatique à une autre à toute période de l’année, ce qui peut donner lieu à de multiples condensations.

Mais le marché du café, largement régi par les forces marketing du secteur international, ne fait pas systématiquement la distinction entre le café qui est manipulé selon de bonnes pratiques d’hygiène et celui qui ne l’est pas… on est donc pas à l’abri d’un scandale !

La rouille du caféier, Hemileia vastatrix, un danger majeur qu’on ne sait pas encore bien maîtriser

De plus il apparaît que la rouille du café, causée par le champignon Hemileia vastatrix a une fâcheuse tendance à se développer à nouveau, menaçant des régions productrices entières… Elle donne une coloration caractéristique aux feuilles et empêche la photosynthèse ; la plante dépérit et meurt.

… En conclusion, dégustons bien notre petit café si addictif… tant qu’il est encore temps ! Mais sans oublier les petits producteurs pauvres qui mènent une vie si dure pour livrer les multinationales qui s’enrichissent exagérément sur notre petit vice, et que le petit noir réchauffe lui aussi beaucoup la planète.

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
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