Le siècle des bactéries et des champignons arrive

Nous avons jusqu’à présent pratiqué une médecine et une agriculture d’ignares. Il semble que nous ne connaissions qu’une toute partie des êtres vivants (à peine 10 % probablement)… Et nous allons vivre une véritable révolution, car les immenses progrès du « monde du silicium » (l’informatique, le numérique et dorénavant l’intelligence artificielle) vont enfin nous permettre de connaître l’immense diversité de ce monde de l’infiniment petit, et tout particulièrement les gènes, les neurones, les bactéries et les champignons. Nous allons enfin pouvoir passer des alliances avec eux. La vraie écologie, la vraie agriculture et la vraie médecine sont au bout du chemin. Ça tombe bien au moment où nous devrons affronter les immenses défis du réchauffement de la planète et de l’épuisement de ses ressources !

Le monde incroyablement riche des bactéries et des champignons

On ne connaît que 10 % des êtres vivants (paraît-il !)… Notre ignorance crasse concerne évidemment particulièrement la vie microscopique, à la fois du corps humain, des plantes et du sol.

On estime maintenant qu’une seule cuillère à café de sol contient plusieurs milliards de bactéries et plusieurs millions de champignons, issus de 100 000 à 1 million d’espèces différentes ! (L’incertitude qui subsiste sur ces chiffres illustre l’ampleur de ce qui nous reste à découvrir). Rien à voir avec ce qui se passe sur le sol, où poussent quelques dizaines d’espèces différentes parfois jusqu’à mille dans la forêt tropicale). Or c’est justement cette immense biodiversité qui nous permet tout simplement de vivre.

On a récemment découvert qu’une baisse d’à peine 30 % de cette biodiversité induit une baisse de 40 % de la capacité de recyclage d’éléments minéraux et de 50 % de la productivité végétale. Mais aussi de la capacité à stocker l’eau, à dépolluer, à réguler les pathogènes, à fixer du carbone, à stabiliser les sols, etc.

Jusqu’à présent, nos sols nous étaient donc complétement opaques ! L’agriculture dite « moderne » a tenté de compenser cette incompétence basique en mettant en œuvre des technologies qui peuvent maintenant apparaître comme extrêmement primitives : le labour de plus en plus profond, dont on sait maintenant à quel point il tue la vie des sols, et l’épandage de produits chimiques délétères, qui termine le job avec de multiples effets collatéraux.

Or c’est seulement maintenant que les immenses progrès du « monde du silicium » (l’informatique, le numérique et maintenant l’intelligence artificielle) vont nous permettre de faire connaissance avec toute cette vie. La « vraie » révolution va donc pouvoir démarrer, celle du monde du carbone, de la vie…

De nombreux chercheurs se sont lancés dans cette exploration minutieuse. Deux livres ont récemment fait un point d’étape sur ces recherches si importantes pour l’avenir de l’humanité. Ils présentent à la fois la diversité incroyable qu’on commence à découvrir, mais aussi la répartition géographique de ces « cocktail d’espèces » sur les différents terroirs français avec la grande variété de leurs types de sols. Coédition Biotope éditions et Muséum d’histoire naturelle.
Les bactéries (de nos champs) « pèsent » 70 giga tonnes de carbone, et les 8 milliards d’humains à peine 0,06 Gt, soit 1200 fois moins. Certes elles sont individuellement très petites, mais elles doivent bien servir à quelque chose ! Idem pour les champignons qui pèsent 200 fois plus que les humains… Source : Yinon M. Bar-On et al. PNAS 2018
Le sol n’a rien d’inerte, il fourmille d’une vie très riche, ce qui lui permet de rendre de nombreux services indispensables à la vie. Le problème est que jusqu’à présente nous le connaissions très mal et ne l’utilisions que comme un support.

Les champignons, un monde indispensable à la vie, qui va du très grand au très petit

Pour la plupart des gens, les champignons sont des organismes qui poussent très vite, se ramassent en forêt après la pluie, dont certains sont succulents (cèpes, bolets, girolles, etc.). C’est bien pourquoi beaucoup de gens vont souvent « aux champignons ». On sait aussi que d’autres sont toxiques, voire mortels, comme la célèbre amanite phalloïde ; on déplore quelques centaines à quelques milliers d’intoxications graves chaque année, qui prouvent bien, comme le dit le dicton, que « tous les champignons sont comestibles, certains une seule fois » !

Cueillir des champignons à l’automne est une activité que beaucoup apprécient… au péril de leur vie ! © Allstars, Shutterstock

Notons bien que, s’ils arrivent à pousser en une seule nuit humide, c’est qu’ils ont préalablement amassé des réserves ! L’essentiel est donc souterrain et invisible. Dans ce cas précis du champignon comestible (qui ne représente en fait que 4 à 6 % de ceux qu’on connaît actuellement), au-delà de ce qui se mange, il s’agit d’abord de réseaux de galeries souterraines qui se nourrissent de carbone extrait de la matière organique (sans photosynthèse, donc majoritairement extrait du sol) et favorisent l’échange d’éléments nutritifs. On peut citer en particulier la merveilleuse « symbiose mycorhizienne » au cours de laquelle les racines des plantes nourrissent en carbone les champignons, qui en retour leur facilitent grandement l’accès à l’eau, à l’azote et au phosphore.

Citons par exemple le Termitomyces titanicus (comestible !) avec son chapeau d’un mètre de diamètre et son pied de 50 centimètres de haut qui vit en symbiose avec les termites : il décompose les matières végétales pour les nourrir et elles lui fournissent en retour chaleur, humidité et leurs matières fécales ! © Blimeo, Wikipedia

C’est ainsi qu’un seul champignon peut en fait peser quelques tonnes, voire, pour les plus grands d’entre eux, plusieurs centaines de tonnes ! Avec toutes ces réserves enfouies, on comprend mieux la vitesse d’émergence de leurs excroissances après la pluie ! Et que ce qu’on fait revenir dans sa poêle pour le déjeuner reste parfaitement anecdotique.

On a eu du mal à classer les champignons, qui ne sont en fait ni des animaux ni des végétaux ; ils forment un règne à part, qui a besoin de matière en décomposition pour se développer (comme le ver de terre par exemple).

En fait, la grande majorité des champignons sont microscopiques, raison pour laquelle on ne commence que récemment à les découvrir et en faire l’inventaire. Beaucoup ne mesurent que quelques microns (millièmes de millimètres), voire moins. On en a déjà décrit un peu plus de 150 000, mais il en existe beaucoup plus, au moins deux fois plus…

Bouquet de champignons microscopiques (Penicillium filamenteux qui provoquent des moisissures et mesurent quelques millièmes de millimètres)

Ils sont carrément indispensables pour nombre de processus naturels. A commencer par la dégradation de la matière organique : les champignons dits saprophytes dégradent le bois, les feuilles mortes, les cadavres d’animaux, les excréments, l’herbe, le charbon de bois, etc. Ils sont alors directement responsables de la fertilité des sols, dans ses trois composantes chimique (présence d’éléments nutritifs), physique (porosité et stabilité du sol, capacité à stocker de l’eau, et biologique (richesse et diversité des organismes vivants présents dans le sol).

Ils peuvent également dépolluer les sols, en particulier des pesticides résiduels (en les dégradant, absorbant, accumulant et convertissant), mais aussi les métaux et les hydrocarbures.

Malheureusement certains sont également pathogènes, responsables de nombreuses maladies des plantes ou des animaux.

Dans le sol, on assiste à de multiples interactions entre les différents genres de champignons, qui coopèrent pour se protéger mutuellement ou partager des ressources. En France, on a déjà répertorié plus de 120 000 relations entre les 1 350 genres déjà connus, et bien entendu on est encore loin d’avoir fait un inventaire complet. Tout cela reste largement un monde à découvrir.

Les bactéries, un monde encore plus mystérieux

On est là dans un monde encore plus petit, pratiquement toujours invisible est là dans l’ordre du millième de millimètre. Et on en commence à peine l’exploration. On en a décrit quelques dizaines de milliers d’espèces, mais on estime qu’il doit y en avoir des millions, voire des dizaines de millions !

Mais on sait que ces organismes, s’ils sont très petits (mais très nombreux), rendent des services absolument inestimables : fixer l’azote atmosphérique et produire des nitrates, dégrader des substances végétales, réduire les sulfates, oxyder le soufre, etc. Souvent en association avec les plantes bien sûr (comme les légumineuses pour la fixation d’azote).

Les bactéries interviennent directement dans le cycle de l’azote, indispensable à la croissance des plantes. Source : Wikipedia

Le fait que certaines bactéries soient pathogènes et provoquent d’énormes dégâts donne une idée de la puissance de ces organismes. Elles ont provoqué des millions de morts au cours de l’histoire, par exemple via la peste (Yersinia pestis), la tuberculose (Bacille de Koch), le choléra (Vibrio cholerae), la méningite (Neisseria meningitidis), ou de nombreuses intoxications alimentaires (Staphylocoque doré).

La recherche a longtemps consisté à isoler ces pathogènes pour trouver comment les éradiquer. Et c’est seulement récemment qu’on entreprend des recherches positives, pour comprendre à quoi servent les bactéries bénéfiques (l’immense majorité) et tenter de les aider à faire leur travail.

Passer de vraies alliances avec la nature, l’an 1 de l’écologie

On est en train d’assister aux débuts de la plus grande révolution agricole (et écologique) de l’histoire de l’humanité. Les immenses progrès du « monde du silicium » (l’informatique, le numérique et maintenant l’intelligence artificielle) vont pouvoir enfin permettre de connaître le « monde du carbone », en particulier les bactéries et les champignons, et de passer des alliances avec lui.

Cela va remettre radicalement en cause trois des pratiques les plus importantes et les plus répandues sur la planète agricole, qui sont le labour, l’épandage d’engrais minéraux et la diffusion de pesticides. On s’aperçoit maintenant que ce n’étaient que des pis-aller, pour cultiver quand même malgré notre ignorance crasse de la structure même du vivant.

Le labour est certes relativement efficace contre les « mauvaises herbes », mais au prix d’une atteinte grave à la biodiversité. Bien entendu la comparaison n’est pas aussi idyllique que sur cette illustration, et le secret du passage d’une technique à l’autre réside d’abord dans la connaissance fine du sol et de ses très nombreux habitants.

Le labour en particulier remettait tout à zéro chaque année, en détruisant certes nombre d’éléments indésirables, en particulier les « mauvaises herbes » (adventices), mais au prix d’une destruction systématique de la vie du sol. En fait, en prenant du recul, on peut estimer que ce qu’on a longtemps appeler le « travail du sol » consiste en fait à tuer la vie qui s’y trouve ! On n’aère pas le sol, on le tasse et le compacte, provoquant ensuite ruissellement et érosion. On crée ainsi une « semelle de labour » bien compacte qui rend difficile le perçage du sol par les racines qui restent en surface sans pouvoir atteindre les ressources des couches plus profondes. On assèche le sol et on détruit la vie qui s’y trouve, on fait remonter les cailloux à la surface. On n’utilise plus le rayonnement solaire sur une période longue chaque année, etc. Sans oublier de remonter en année 2 les graines de mauvaises herbes qu’on a enfouies en année 1, alors qu’elles peuvent séjourner plusieurs années dans le sol sans pourrir.

Au jardin potager, fini le mal de dos en bêchant le sol, mais bonjour la prise de tête en permaculture, en couvrant le sol en permanence avec des mélanges de plantes qui s’aident mutuellement à pousser et à produire, avec une productivité très nettement supérieure due à la multiplication de la vie du sol.

L’épandage d’engrais minéraux a certes permis d’augmenter massivement la productivité des céréales au cours du XXe siècle, et a permis de consacrer à cette activité essentielle 600 millions d’hectares des meilleures terres du mode en éliminant les jachères et rotations de cultures autrefois indispensables pour laisser la fertilité se reconstituer… Mais le prix à payer a été très fort en termes de baisse de biodiversité et de fertilité… et de résilience face aux effets du réchauffement climatique.

La France est un des pays du monde les plus efficaces au monde en matière de rendement du blé. Mais les progrès se sont brusquement arrêtés au tournant du siècle. La « magie » du dopage des plantes via les engrais azotés (dont nous sommes les plus grands consommateurs européens) a cessé. Nos champs déstockent leur carbone et, faute du bon cocktail de bactéries, les plantes deviennent plus sensibles aux sécheresses, inondations et maladies… Statistiques FAO illustrées par l’auteur.
L’épandage d’engrais a représenté une solution de facilité… Mais aussi de dépendance : les engrais azotés sont fabriqués à partir de gaz russe (et nous importons également les potasse de Biélorussie et les phosphates du Maroc).

On s’aperçoit que le « vrai » engrais de l’avenir consistera peut-être à prendre un seau de terre du champ, isoler les cocktails de bactéries qui s’y trouvent, les multiplier et les épandre à nouveau pour les aider à mieux faire leur travail de fertilisation. Attention ! Chaque champ a son propre cocktail de bactéries, il s’agit bien de multiplier les bactéries extraites du même champ, car si on introduit des bactéries exogènes, elles seront vite éliminées par la flore locale. Certaines entreprises (comme de Sangosse) commencent à s’y mettre, et à constituer des « bactérietothéques » relatives à chaque champ.

On peut aussi commencer par remettre des élevages dans les zones céréalières pour repasser de l’engrais minéral à l’engrais animal, nettement mieux assimilable par les sols et les plantes (ce qui allègera d’autant les excès délétères d’épandage de lisiers et fumiers dans les régions spécialisées dans l’élevage comme la Bretagne).

Sans oublier que, lorsqu’on ne laboure plus, on couvre le sol en permanence, cultivant en quelque sorte ses propres engrais entre deux récoltes de céréales ou légumineuses. Le véritable engrais se cultive ou s’élève, il ne s’achète pas !

La diffusion de pesticides pourra également être fortement diminuée par le replantage de haies qui favoriseront la multiplication des « animaux auxiliaires de culture », ceux qui mangent les prédateurs qui attaquent nos récoltes, et la production de « plantes de service », comme les plantes herbicides qui cumulent 3 qualités : elles poussent plus rapidement que les adventices, ont une forte capacité de couverture du sol (pour leur « faire de l’ombre » et les dissuader de pousser, et gèlent l’hiver, se transformant à leur tour en engrais.

Il va falloir changer complétement de culture dans l’agriculture : demain on cultivera les herbicides et on élèvera les insecticides !

L’idée de base consiste à identifier les pratiques vertueuses à l’échelle d’un bassin de production (réduire le labour, les phytos, couvrir les sols, etc.)  et aussi celles qui sont possibles en fonction des objectifs de production, et de les combiner dans un itinéraire plus respectueux des équilibres naturels. Puis faire confiance à Mère Nature dans sa capacité de réhabilitation des sols, et singulièrement des bactéries et des champignons, qui rapidement reprennent la main sur la fertilité. Car ce qui modèle les communautés microbiennes d’un sol, c’est globalement le gite et le couvert soit la physico-chimie du sol en termes d’habitat (agrégation, porosité, structure du sol, pH, etc.) et de ressources nutritives (teneur, qualité et accessibilité de la matière organique).

De même que, quand on cesse de labourer et qu’on couvre le sol en permanence avec des mélanges de plantes dûment sélectionnées, il faut compter 5 à 7 ans pour reconstituer son « cheptel de vers de terre » et qu’ils se mettent eux-mêmes à rendre les services d’aération et de fertilisation du sol, de perméabilité aux eaux de pluies et de facilitation de la poussée des racines plus profondément. C’est donc en soignant l’environnement par de bonnes pratiques que ce dernier nous le rendra !

On a l’habitude de gérer l’agriculture « au champ » et on se prend à dire qu’il faut arroser le champ, ou bien y remettre une dose de fertilisant. Mais tout cela est très approximatif, dorénavant le champ va se gérer au M2 ! Voire à la plante ! Et on va intégrer au premier plan du raisonnement la vie des champignons et des bactéries qui vont devenir de vrais auxiliaires de culture. Car en fait chaque plante résulte à la fois d’un organisme propre et de toutes ses interactions avec les micro-organismes en interaction avec elle. L’agriculture et l’écologie vont en être très fortement transformés. Et on ne peut pas imaginer que ce ne soit pas beaucoup plus efficace !

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
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