
Un nouveau « scandale » alimentaire fait la une des journaux : certains fromages issus de la fromagerie Chavegrand semblent avoir contaminé 21 personnes, dont deux sont décédés, toute la production a été rappelée et la chaine de production (relativement ancienne) arrêtée.
Les commentateurs crient au scandale ; incontestable : il n’est absolument pas admissible que dans la France de 2025 on puisse encore « mourir après souper ». Et, bien entendu : A quel âge vais-je finir obèse !
Il convient néanmoins de relativiser : si on parle autant de ces scandales, c’est bien parce qu’il n’y en a (presque) plus !!! La France est l’un des pays les plus sûrs au monde, et il reste beaucoup plus dangereux de manger dans un restaurant Thaïlandais ou Péruvien, voire allemand ou espagnol que dans un boui-boui de plage dans l’hexagone !
C’est ce que j’explique dans cette interview de la radio France Info :
Dans les années 50, on déplorait encore de l’ordre de 15 000 morts par an par intoxication alimentaire. Aujourd’hui, on les évalue autour de 300, dont la majorité par auto-intoxication, car ils ont mangé des produits qu’ils ont laissés se dégrader dans leur placard ou leur réfrigérateur, ou des champignons imprudemment cueillis. Les morts par ingestion de produits contaminés ne se comptent plus que par dizaines… Toujours trop certes, car on veut absolument arriver au zéro défaut. La vraie question, celle qui fait scandale, c’est aujourd’hui : vais-je avoir la diarrhée après souper !
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Plus de scandales… car plus de sécurité alimentaire !
C’est paradoxalement parce que nous avons fait immenses progrès en matière de sécurité alimentaire sur ce terrain, que les scandales se multiplient, car l’opinion publique est devenue extrêmement exigeante. Nous assistons à une déconnexion entre le risque perçu et le risque réel. Les diarrhées de quelques dizaines de nourrissons ou de personnes âgées, évidemment fort regrettables, apparaissent dorénavant beaucoup plus scandaleuses que les 75 000 morts annuels dus au tabac ou les 49 000 morts à l’alcool ! Car, malheureusement, ces derniers restent quasiment intouchables !
À chaque fois, on se plaint de l’inefficacité des systèmes de contrôle. À juste titre, car on devrait tendre en permanence vers le zéro défaut. Pourtant, à bien y regarder, c’est peut-être parfois l’inverse qui se passe, et la fréquence des scandales provient en partie de la progression de l’efficacité des outils de la police de l’alimentation. Mais on ne peut pas mettre un policier derrière chaque aliment, chaque supermarché, chaque restaurant, chaque usine agro-industrielle !
Les scandales et les sanctions encourues (pénales, économiques et culturelles) sont de plus en plus forts et dissuasifs, ce qui dope quand même pas mal l’autocontrôle. Rendez-vous dans quelques mois pour savoir si cette « petite » fromagerie aura survécu à ce désastre…
Il reste néanmoins au moins deux problèmes. Les effectifs et les moyens de la « police de l’alimentation » ont beaucoup diminué sous le quinquennat Sarkozy ; ils ont un peu remonté depuis, mais visiblement ce n’est pas assez par rapport aux exigences croissantes (et légitimes) de la société ; qu’attend-on pour accorder davantage d’attention à cette question ?
Le deuxième problème est psychologique et politique. Quelle ligne de conduite doivent adopter les fonctionnaires qui se trouvent en face d’une suspicion de problèmes sanitaires ? Immédiatement crier au loup et faire retirer une très grande quantité de produits, au risque de causer d’énormes pertes économiques et d’image à des entreprises qui se révèlent innocentes ? Tenter de régler directement et rapidement le problème ? Ou attendre qu’on soit vraiment sûrs qu’il y a un problème et qu’on en connaisse précisément la nature et l’ampleur ?
Rappelons qu’avant de s’apercevoir que, lors du plus gros scandale alimentaire récent en Europe, celui des graines germées bio allemandes (48 morts et plusieurs milliers d’handicapés en 2011), on avait commencé par accuser à tort le concombre espagnol et même le cochon mexicain ! Le-dit concombre a mis des années à s’en remettre, et personne ne l’a indemnisé.
Dans ce cas précis, l’incertitude est forte, car il s’agit de fromage à base de lait pasteurisé en non de lait cru. Est-ce la pasteurisation qui n’a pas marché, ou bien la contamination est venue après, peut-être lors du passage dans un équipement contaminé préalablement…?
Pourquoi la Listeria peut sévir plus facilement qu’avant ?
La Listéria n’est pas une bactérie très compétitive dans un cortège microbien. Si elle se développe, c’est par le vide laissé par les autres microorganismes. Ainsi, plus on lutte contre les germes, plus une contamination à la Listéria va avoir des chances de se développer. Du coup, paradoxalement, il pourrait y avoir moins de risques avec le lait cru qu’avec le lait pasteurisé !
De plus, notre alimentation de plus en plus aseptisée nous prépare de moins en moins à résister à ces agresseurs. De même que les enfants qui grandissent à la campagne au milieu des animaux ont souvent moins de maladies infantiles que ceux des appartements aseptisés de centre-ville ! C’est comparable à l’hôpital, où on lutte énormément contre la prolifération de germes. Du coup, en cas de pépin, les infections sont rapides, car sans concurrence. Paradoxalement, le développement des maladies neusocomiales est aussi en quelque sorte une conséquence des progrès de l’aseptie.
De plus, la Listeria aime le froid à l’inverse de la plupart de ses consœurs. À l’heure de l’omniprésence la chaine du froid, c’est pour elle un atout considérable.
Restons vigilants, mais pas trop inquiets
Le Zéro défaut reste impossible à atteindre ! Évidemment dans les usines et les restaurants, même si on a le devoir de lutter pour s’en approcher. Mais aussi chez nous ! Sommes-nous si sûrs de ne jamais prendre de risques ?
Qui sait, par exemple, que, chez soi, dans sa cuisine, on devrait utiliser plusieurs planches à découper distinctes pour les aliments crus et cuits ? Est-ce que nous nous nous lavons toujours les mains avant de faire la cuisine ou de passer à table, et est-ce que nous lavons systématiquement les fruits avant de les consommer ? Est-ce que nous gérons correctement notre réfrigérateur (et notre congélateur) ?
Donc, restons vigilants, en particulier sur les fromages de marques distributeurs en ce moment, mais ne cédons pas à la panique et continuons à faire de bons repas en famille ou entre amis au cours de ce mois d’août !
« C’est paradoxalement parce que nous avons fait immenses progrès en matière de sécurité alimentaire sur ce terrain, que les scandales se multiplient, car l’opinion publique est devenue extrêmement exigeante. »
Je pense que l’ « opinion publique » est forgée par des médias qui, faute d’éthique, de déontologie, de hauteur intellectuelle et de courage, se sont fait les écumeurs de tous les caniveaux susceptibles de leur fournir de la matière première.
Je suis sûr que la très grande majorité des citoyens comprendront aisément que le risque zéro n’existe pas, qu’un accident dans la production alimentaire (à supposer que ce soit le cas) n’est pas forcément dû à un comportement coupable du producteur, etc.
Mais vous faites bien de remettre les pendules à l’heure.