Le site « The Atlantic » USA a publié un article instructif sur le poids écologique des différentes viandes que nous mangeons, que je recommande aux anglophones : Viandes, une hiérarchie pour la santé. Le site Atlantico français m’a interviewé pour connaître ma réaction à ce texte. Voici l’interview, qu’on peut consulter directement ici, dans une version maintenant payante. Je retranscris cette interview ci-dessous.
Le monde occidental et de plus en plus de pays émergents sont de gros consommateurs de viande, ce qui impacte directement l’environnement. Pourtant, le coût écologique diffère – parfois nettement – selon la nature de la viande produite.
Atlantico : La viande est souvent mise à l’index comme étant peu écologique, sa production nécessitant une énergie importante impactant l’environnement. Pourtant toutes les viandes ne nécessitent pas le même effort de production. Pouvez-vous nous faire une classification des viandes les plus « rentables » parmi les plus courantes ?
Bruno Parmentier : Les animaux mangent comme nous… des végétaux ! Et comme nous mangeons en général des animaux à sang chaud, leur taux de transformation (la quantité de végétaux pour « produire » un kilo de viande animale, ndlr) est pitoyable, car ils utilisent une bonne part de ce qu’ils mangent pour se… chauffer. Encore faut-il distinguer entre les animaux qui mangent « comme nous » des céréales et des légumineuses (les poulets, cochons, canards, lapins, etc., à qui d’ailleurs on donne souvent nos restes dans les basse-cours) et ceux qui mangent de l’herbe ou des feuilles, que nous ne digérons pas, les ruminants (vaches, zébus, chèvres, moutons, etc.).
Mais il faut se rendre compte que l’élevage mondial a augmenté considérablement dans les dernières décennies, et donc sa ponction sur la planète. Et nous avons fini par transformer une bonne part de nos ruminants en granivores, en les nourrissant avec du maïs et du soja, ce qui les a transformé en nouveaux concurrents alimentaires. Au total près de la moitié de la production mondiale de blé et 80 % de celle de maïs et soja ne servent plus à faire du pain, des pâtes, du couscous, ou bien du corn-flakes ou du popcorn, mais est transformé en viande, lait ou œuf. Vu sous un autre aspect, les animaux ont triplé leur consommation de céréales dans les 50 dernières années… Peut-on imaginer aller beaucoup plus loin sur une planète aux ressources maintenant fort limitées ?
Il faut ainsi de 3 à 5 kilos de végétaux pour faire un kilo de poulet, 4 à 7 pour un kilo de porc et 10 à 13 pour un kilo de bœuf, ou de mouton ! Un français mange dans sa vie 7 bœufs, 33 cochons, 9 chèvres et moutons, 1 300 volailles, 60 lapins, 20 000 œufs et 32 000 litres de lait, soit 85 kilos de viande et 90 kilos de lait par an, deux fois plus que dans les années 50 et trois fois plus que dans les années 30 ! On imagine la ponction sur la planète que cela représente, en surface mobilisée, mais aussi en énergie, pesticides, engrais, eau, etc. et comme émission de gaz à effet de serre. D’autant plus que les classes moyennes du monde prolifèrent, comme les Chinois, par exemple, et s’y mettent de plus en plus : ces derniers consommaient 14 kilos de viande par personne en 1980, quand ils n’étaient « que » 700 millions, ils en consomment 60 kilos, maintenant qu’ils sont 1,3 milliards !
Atlantico : Le poulet apporte donc le meilleur taux de transformation. Pourtant, le mode de production, quand il est intensif, reste énergivore et produit une viande à la qualité discutable pour la santé. Est-ce donc une bonne initiative de substituer une partie de la production bovine au poulet, si cela doit entraîner l’intensification de la production ?
On peut espérer que le milliard de pauvres qui ne mangent pas de viande actuellement et qui vont commencer à pouvoir s’en payer de temps en temps se mettront au poulet(comme le recommandait Henry IV en son temps…) plutôt qu’au bœuf, sinon, on ira vers un véritable désastre écologique ! Et, bien évidemment, ce sera majoritairement du poulet élevé en batterie, le moins cher possible, et donc une offense à la gastronomie ! Dans les pays riches comme la France, au contraire, ce sera probablement moins de viande, mais davantage de qualité, exactement comme ce qui s’est passé depuis les années 50 dans le vin. Plus de poulet label de Loué, de Bresse, des Landes, etc., et moins de surgelé incolore inodore et sans saveur… Ce n’est pas par hasard que c’est ce dernier qui fait faillite actuellement !
A (court) terme, on n’élèvera plus en Europe que les animaux qu’on pourra intégralement nourrir avec des végétaux européens, et il faut réaliser que les 20 millions d’hectares occupés en Amérique et en Asie pour produire le soja qu’on importe actuellement sur notre continent ne seront pas éternels (pour donner un ordre de grandeur, c’est l’équivalent de la surface agricole française…).
Atlantico : Alors que son taux de transformation est plus raisonnable, le mouton est pourtant l’animal qui produit le plus de gaz à effet de serre comparativement à son poids. Pourquoi ? La production ovine est-elle finalement pire pour l’environnement que celle, très décriée pourtant, du bœuf ?
Là aussi, ça dépend quel mouton : celui qui entretient nos alpages, bravo (on ne va pas y faire de blé ou de légumes) à part les gaz à effet de serre émis lors de la fermentation ruminante… Mais pour le mouton « intensif », pitié !
De même, dans les zones de arides de la planète, le Sahel, la Mongolie, l’Australie, etc., il est urgent d’arrêter de multiplier moutons et chèvres qui font littéralement avancer les déserts, via le surpâturage et la déforestation. D’une manière générale, on arrive probablement au maximum de ruminants que peut supporter la planète.
Atlantico : Si les animaux « à sang chaud » sont si impactant pour l’environnement, quels seraient les animaux « à sang froid » pour les remplacer ? Et en quoi sont-ils plus avantageux ?
Le taux de transformation des animaux à sang froid – c’est à dire les poissons et les insectes – est bien meilleur, de l’ordre de 2 kilos de céréales pour 1 kilo de protéines ! Mais d’une part, question poisson, il faudra développer l’élevage de poissons herbivores et non carnivores. Pas comme le saumon de Norvège par exemple, qui dévore allègrement les anchois et sardines écumés dans le Pacifique sud ; de la carpe, du tilapia, etc., auxquels nous ne sommes guère habitués. Resteront les crevettes tropicales, que l’on peut élever dans des bâtiments à énergie positive (une première unité va bientôt voir le jour en Bretagne), et qui jouissent d’une bonne acceptabilité dans notre pays… Et les vers de farine, grillons et autres sauterelles, qu’il sera culturellement beaucoup plus compliqué d’insérer dans nos menus, mais que nous mangerons « indirectement » sous forme de farines protéinés ajoutés à nos barres chocolatés ou nos raviolis, ou… sous forme de poulets nourris avec ces farines. !