Les Français ne gâchent pas 30 ou 40 Kilos de nourriture par an, comme tentent souvent le faire croire en nous culpabilisant les journaux, mais en fait autour de 240 kilos ! Et encore ils ne sont pas les recordman du monde et sont loin derrière les États-Unis ! C’est qu’en matière de gâchis, il faut voir l’ensemble de la question du champ aux arrière-cuisines des restaurants en passant par le transport, la transformation, la distribution, la préparation, la conservation etc. D’un côté, cette prise de conscience peut être une bonne nouvelle car nous découvrons que nous avons d’énormes marges de progrès, dont certains sont très simples à mettre en place.
Les paysans du monde s’échinent pour nous faire à manger ; ils produisent heureusement de plus en plus, mais… nous sommes aussi de plus en plus nombreux et nous gâchons énormément. La FAO nous dit que nous gâchons à peu près le tiers de la récolte mondiale de nourriture soit le chiffre faramineux de 1,3 milliards de tonnes de nourriture chaque année. Alors que plus de 800 millions de terriens sont radicalement sous-alimentés !
Rentrons maintenant dans les détails, qu’en est-il exactement ?
Le gâchis du Sud
Tout d’abord, il ne faut pas confondre le gâchis du Sud et le gâchis du Nord. Au Sud, on perd essentiellement à la récolte, faute d’équipements de stockage et de transport adéquats. Lorsqu’on n’a pas de silos pour stocker son grain (et a fortiori de tanks à lait réfrigérés pour stocker son lait), on est obligé de devenir partageux : une partie de la récolte pour les rats, une partie pour les maladies, une partie pour le vent, une partie pour les oiseaux, une partie pour les voleurs, etc. et, bien entendu, il en reste peu à la fin puisqu’on a perdu en moyenne un tiers de ce qui nous avait tant coûté de produire.
Notons par exemple que, jusqu’à présent, l’Afrique dans sa globalité a toujours produit assez de nourriture pour nourrir les Africains. En fait ils ne sont pas encore très nombreux, mais la nourriture qu’ils produisent n’est pas répartie de façon homogène et égalitaire. Par exemple, faute d’eau, on ne produit pas assez dans le Sahel, mais on peut produire assez dans les zones humides plus au sud, au centre du continent… enfin si on ne se fait pas la guerre ! Mais justement -la situation géopolitique ne favorise absolument pas ces échanges.
Autre différence, est-ouest : avec le réchauffement climatique, on a de plus en plus de mal à produire dans l’est de l’Afrique, du Kenya au Niger. Mais dans l’ouest, où les vents dominants continuent à venir de l’Atlantique, par exemple au Sénégal et en Côte d’Ivoire, on peut produire. Que faudrait-il pour que le surplus de la Côte d’Ivoire arrive au Tchad, ou celui de la Côte d’Ivoire au Niger ? Il faudrait des silos, des routes et des camions, mais justement il n’y en a pas ! Et, soyons réalistes, s’il y avait des silos, des routes et des camions, toute cette zone est en guerre civile plus ou moins permanente, une situation peu propice au passage pacifique de camions chargés de nourriture ! On n’est donc malheureusement pas prêt de voir les surplus de la Côte d’Ivoire arriver jusqu’au Kenya ou en Somalie !
Le gâchis du nord
Revenons en France, nous avons nos silos, nos routes et nos camions, nous gâchons donc « sophistiqué », en prenant soin de rajouter à nos matières premières pétrole, salaire, charges sociales, loyer, emballage, publicité, transport, etc. avant de les jeter ! Tentons de donner quelques chiffres approximatifs pour comprendre l’ampleur du problème.
Tout d’abord le chiffre de base : nous introduisons chacun 1 tonne d’aliments dans notre bouche chaque année, dont approximativement 600 kg de liquide et 400 kg de solide.
On pourrait gloser longtemps sur le liquide, mais ce n’est pas notre propos dans cet article, restons sur ces 400 kg de nourriture solide (un peu plus d’un kilo par jour). Si on admet qu’on jette le tiers de la nourriture, ça veut dire qu’en fait on a produit et utilisé 600 kilos de nourriture, pour en manger 400 en en jetant 200 ! Et si on admet également que dans les pays riches on gâche en moyenne davantage que dans les pays pauvres, on peut estimer qu’un français gâche de l’ordre de 240 kilos par an, bien loin des chiffres que l’on peut lire dans la presse !
C’est que le gâchis est un phénomène global, du champ aux poubelles urbaines : il faut regarder l’ensemble du processus. Cette énorme quantité de déchets se divise en gros en trois parties égales.
Le gâchis à la production : 80 kilos
Le premier tiers est jeté à la ferme. Plantons par exemple des carottes. Les carottes, vaillants petits soldats, poussent vers le bas pour se développer, et là, certaines rencontrent… un caillou, et poursuivent leur croissance en en faisant le tour. Résultat : on récolte des carottes tordues.
Et là, posons-nous la question : des carottes tordues, on en voit dans les rayons légumes des supermarchés ? Bien sûr que non, puisqu’Auchan, par exemple, a décidé que les carottes tordues resteraient au champ ! Imaginons la quantité astronomique de carottes tordues, de melons fendus, de pommes tâchées, bref de fruits et légumes dit « moches », qui ne rentrent jamais dans les statistiques car elles sont jetées à la récolte faute de débouchés ? Mais c’est bien du gâchis bien réel !
Notons au passage que suivant la maxime : « lorsqu’on achète un produit on achète le monde qui va avec » le consommateur qui, au supermarché, choisit une par une ses pommes, mais aussi ses prunes et même ses cerises ne se rend pas compte que d’une part il provoque en amont une véritable épuration de tous les fruits qui ne sont pas d’apparence parfaite, mais aussi que bien entendu il incite le producteur à multiplier ses doses d’insecticides puisque le moindre insecte qui se pose sur le fruit risque de signer son arrêt de mort…
Autre exemple, le poisson : lorsque les chalutiers industriels jettent leurs immenses chaluts pour racler le fond de la mer, pour attraper littéralement tout ce qui s’y trouve, et donc ils sont amenés à jeter une bonne partie de ce qu’ils remontent : les poissons trop petits, trop gros, ceux dont la pêche est interdite, ou qui ne trouveront pas preneur sur le marché ; et bien entendu, malheureusement, la plupart ne survivront pas à ce traitement de choc…
On peut donc estimer environ 80 kilos par français ce gâchis à la production, celui qui ne rentre dans aucune statistique mais qui est pourtant bien réel. Cela n’a rien d’une fatalité, pourquoi ne demanderions pas au rayon légumes de nos supermarchés de nous faire un casier avec des légumes moches pour faire la soupe , car ils ont certainement plus de personnalité !
Le gâchis à la transformation et la distribution : 80 kilos
Le deuxième tiers, probablement encore 80 kilos par français, est gâché au stade de l’industrialisation et de la commercialisation. Les usines agro-industrielles travaillent avec des cadences impressionnantes, et, dès qu’il apparaît le moindre problème sur les chaînes de fabrication, on est amené à jeter la production sortie entre le début du problème et le moment on s’en aperçoit ; ce sont donc des tonnes de pain de mie qui ne sont pas parfaitement carrés, de pizzas tordues ou de fish fingers arrondis qui partent à la benne !
On a même fait encore plus fort en inventant par exemple pain de mie sans croûte ; précisons pour ceux qui n’auraient pas réfléchi à la question que le pain de mie sans croûte n’existe pas à l’état natif ; il s’agit d’un pain de mie avec croûte dont jeter la croûte ! Imaginons le désastre écologique de cette invention marketing…
De même au niveau de la commercialisation : imaginons un supermarché qui fait rentrer une grosse quantité de brochettes à la veille d’un week-end du mois de juillet où il se met à pleuvoir ; le lundi, il est bien obligé de jeter les brochettes qui n’ont pas fini en barbecue ; depuis que nous sommes rassasiés, nous sommes devenus des obsédés de la date limite de consommation, et, bien entendu, chacun se protège par peur des procès et on jette une quantité impressionnante de produits laitiers ou de plats cuisinés qui n’ont pas trouvé preneur à quelques jours de la date limite de consommation, sans oublier le pain puisque personne n’achète plus de pain de la veille, ou les filets d’oranges ou d’oignons dont un des éléments est pourris ou explosé parce qu’il est tombé dans le camion de livraison… certains ont même inventé d’arroser leur poubelle d’eau de javel pour empêcher que des gens dans le besoin aillent s’y approvisionner. Heureusement, bien souvent, ces pratiques sont remplacées maintenant par des dons aux organismes humanitaires.
Notons par exemple qu’en ce qui concerne les yaourts, lorsqu’il n’y a pas rupture de la chaîne du froid, plus il est vieux, plus il est acide, et plus il est acide, moins il y a de microbes ! D’ailleurs l’industrie laitière vend en France métropolitaine des yaourt avec une date limite d’un mois après la fabrication, et carrément de deux mois dans les départements d’outre-mer, c’est dire s’il n’y a -pas de danger de manger son yaourt quatre semaines après la date inscrit dessus !
Ajoutons que dans notre pays On ne peut pas acheter un yaourt, mais obligatoirement par multiple de 4 : au choix 4 ,8, 12, 16 ou 400 yaourts d’un seul coup… Au total, en conjuguant date limite très proche et obligation d’achat en nombre, certains ont estimé que le quart des yaourts vendus en France est jeté plutôt que consommé ! Sans compter ceux qui ne sont pas vendus, car les consommateurs s’acharnent à se mettre sur la pointe des pieds pour prendre les yaourts qui sont tout au fond du rayon pour gagner 2 ou 3 jours de date inscrite dessus, condamnant souvent ceux de devant à partir à la benne !
C’est dire si on a des marges de progrès dans le gâchis. Tout cela représente de nouveau autour de 80 kg par personne et par an.
Le gâchis à la consommation : 80 kilos
Le troisième tiers est celui qui est le plus proche du consommateur : le gâchis dans les restaurants, puisqu’il est dorénavant hors de question d’y accommoder les restes. On jette ainsi de façon totalement déraisonnable dans les hôpitaux, les restaurants d’entreprise, les cantines scolaires, etc. ; rappelons que par exemple les producteurs de cochon n’ont plus le droit depuis bien longtemps d’aller faire la sortie des cantines des collèges et lycées pour récupérer les restes de salsifis ou de choux de Bruxelles que nos adolescents refusent de manger (alors que c’est encore ce qui se passe en plein centre de Pékin ou de Shanghai…).
Notons aussi par exemple que dans la plupart des restaurant self-service, la panière de pain est en début de chaîne donc on doit prendre son pain sans savoir si l’on va manger des radis ou du melon. le simple fait de déplacer cette panière de pain en bout de chaîne diminue très notablement la consommation de pain et le gâchis ! Autres habitudes funestes : celle de servir dans des assiettes de plus en plus grandes, ce qui oblige à les remplir de façon déraisonnable, ou celle de ne pas adapter la quantité servie aux besoins de la personne ; dans une cantine de collège pourquoi servir la même part à la gamine de 6e et au malabar de 3e, ou dans un restaurant au travailleur de force ou à la petite grand-mère ?
Ce gâchis à la restauration représente au moins 40 kg par personne et par an.
Et puis on jette également à domicile, autour de 40 kg également, ce qui représente, mine de rien, près de 500 € par personne et par an. Déjà 7 kg d’aliments non déballés, jetés dans leurs emballages d’origine. Chacun peut d’ailleurs faire pour lui-même à tout moment l’inventaire de son réfrigérateur, la machine dans laquelle on met beaucoup d’énergie pour stocker toute la semaine ce qu’on jettera le dimanche soir ou la veille du départ en vacances…
Ensuite on jette une dizaine de kilos de fruits et légumes passés, à peu près autant de restes de produits animaux, viandes et laitages qui atteignent la date de péremption, beaucoup de pain rassis (qui mange encore le célèbre « pain perdu » de notre enfance ?), etc. Sur ces 40 kg jetés par personne et par an, une dizaine sont peu visibles car ils finissent dans les égouts ou les composts qui se multiplient, mais il en reste encore une trentaine dans les vraies poubelles municipales.
On va dire pudiquement que nous avons en France… de larges marges de progrès ; le fait qu’il y ait des pays encore pire (genre les USA) ne doit pas nous dédouaner. Mais il faudra une véritable révolution dans les têtes, et les efforts considérables à tous les niveaux que nous puissions réellement progresser ! Rappelons-nous encore que lorsqu’on achète un produit, on achète le monde qui va avec. Aujourd’hui, nous achetons du gâchis, et donc de la surexploitation des ressources et du réchauffement de la planète ! Demain, que choisirons-nous d’acheter, individuellement et collectivement ; ferons-nous nôtre le slogan du Ministère : « Manger c’est bien, jeter ça craint » ?
NB. Cet article existe sous forme de vidéo dans ma chaîne You tube : https://youtu.be/dn5gsAMW2uI
Bonjour M. Parmentier. Vous donnez beaucoup de chiffres mais on ne sait d’où ça viens. Je n’ai aucune confiance dans ces chiffres.
Bonjour Madame Gibalen,
Par nature les chiffres sur le gâchis sont estimés évidemment ; personne ne pèse ce qu’il jette avant de le faire ! Il s’agit donc d’ordre de grandeur, qui ont le mérite de faire réfléchir à l’ampleur du problème et à l’urgence de solutions hardies pour y faire face. Mais pour écrire cela j’ai compilé de nombreuses études, qui se recoupent assez largement…
Tous ceux qui avancent vers le « zéro déchet » sont impressionnés des résultats qu’ils arrivent à obtenir. Simple exemple personnel : depuis que je composte mes déchets organiques, je sort nettement moins souvent ma poubelle…
Cela étant, votre liberté reste entière de ne pas me faire confiance !
Bien cordialement
Bruno Parmentier