Quand on achète du lait d’amandes, on achète le capitalisme sauvage qui va avec

Ce texte existe aussi en version vidéo abondamment illustrée (12 mn) : https://youtu.be/nzD8fUevVI8

La consommation de lait de vache baisse, celle du lait d’amande augmente beaucoup, partout ! Cet aliment est devenu très « mode » et on le pare de multiples qualités. Et on rajoute des amandes à toutes occasions, de l’apéritif aux plats cuisinés, aux pâtisseries, chocolats, nougats et même cosmétiques. Mais toutes ces amandes viennent… de Californie, où elles sont produites de façon extrêmement intensives, avec des dégâts environnementaux considérables !

Si les ventes de lait bio ont augmenté (seulement jusqu’en 2020), celles de laits « ordinaires » ont baissé de 27 % entre 2006 et 2021.

Les « laits » végétaux remplacent de plus en plus le lait de vache

Les consommateurs se méfient de plus en plus du lactose contenu dans le lait de vache liquide : ses ventes ont chuté de 27 % entre 2006 et 2021. (Données IRI).

Du coup, le marché mondial des laits végétaux a véritablement explosé dans la dernière décennie, passant de 7,4 à 16,3 milliards de dollars entre 2010 et 2018, et cette croissance ne s’essouffle pas. Les ventes ont dépassé les 6 milliards d’euros aux USA et approchent les 4 milliards d’euros en Europe. Principalement en Allemagne et au Royaume-Uni, et dans une moindre mesure en Espagne en Italie et en France, où l’on pourrait quand même dépasser les 400 millions d’euros en 2022. (Données Xerfi).

Laits végétaux : 16 milliards de dollars dans le monde, 400 millions en France
Déforestation en Amazonie

Le lait de vache est moins à la mode pour de multiples raisons : de santé, en particulier à cause de l’intolérance au lactose, ou de la difficulté à digérer le bol de lait du matin, ou encore par goût. Mais aussi chez certains à cause d’une image dégradée de l’élevage, pour des raisons de bien être animal, environnementales, ou climatiques.

Les consommateurs n’aiment pas l’idée des « usines à vaches »

Ou de sentiment d’industrialisation de cette activité, avec des troupeaux jugés trop grands, trop enfermés, nourris avec du soja et du maïs latino américain, parfois OGM et gagné sur la forêt amazonienne, et un produit final qui peut contenir divers résidus de pesticides, d’antibiotiques ou d’hormones, etc. Ceci fait monter le désir de manger de façon davantage où totalement végétarienne.

Le lait d’amande, qui a gagné la course, n’est pas du lait, mais on tolère qu’il usurpe ce nom

Ceux qui voulaient changer en douceur leur alimentation ont commencé par passer au lait de soja, de riz et d’avoine, puis au lait de coco, pour se diriger finalement vers les fruits à coque, principalement le lait d’amande, dont le goût est agréable et se rapproche le plus de celui du lait de vache, et qui représente dorénavant les 2/3 de la consommation de laits végétaux. Il bénéficie en plus d’une image de super-aliment, source de protéines, de fibres et de magnésium, et d’antioxydant (la vitamine E), alors que le nom « soja » est maintenant trop associé aux OGM, et aux isoflavones.

… Et à la fin, ce sont les amandes qui ont gagné ; elles représentent les 2/3 de la consommation de laits végétaux.
Les producteurs restent discrets sur le fait que certains laits d’amandes contiennent davantage de sucre que d’amande !

En fait le terme « lait » est très impropre : il s’agit de quelques amandes (à peine 2 à 8 % !) broyées et mélangées à beaucoup d’eau… et de sucre (souvent plus de sucre que d’amande !), et vendu deux à trois fois plus cher que le « vrai » lait. L’industrie laitière a d’ailleurs tenté d’empêcher l’emploi du mot lait pour ces concurrents de plus en plus dangereux pour elle, mais n’a pas réussi : c’était trop tard et la Cour de justice de l’Union européenne a décidé d’accepter le mot lait pour le lait d’amande et le lait de coco. Heureusement il lui reste les laitages et fromages, dans lesquels ces produits végétaux n’ont pas (encore) réussi à percer.

Pas de lait d’amandes pour les bébés !

Attention ! Ces boissons végétales grand public ne sont pas indiquées en remplacement exclusif du lait chez les très jeunes enfants, car elles risquent d’entraîner une malnutrition. Il vaut donc mieux les positionner comme aliments plaisir d’adultes que comme alternatives au lait… et continuer inlassablement à rappeler que, dans les six premiers mois de la vie d’un humain, absolument aucune boisson ne peut vraiment concurrencer le lait… maternel !

Les amandes sont partout !

Le lait ne constitue pas la seule manière de consommer les amandes : elles se picorent aussi grillées ou salées à l’apéritif, se tartinent sous forme de beurre ou de purée, s’intègrent à des confiseries (comme les nougats ou des chocolats fantaisie), des gâteaux (comme la galette des rois à la frangipane, ou la crème amandine), et de toutes sortes de plats cuisinés : truite aux amandes française, poulet aux amandes vietnamien, tagine aux amandes marocain, etc., ou à des cosmétiques, comme l’huile d’amande douce, etc. Toute cela ne cesse d’augmenter !

De l’apéritif au dessert, du petit déjeuner à la veillée, et même à la salle de bains, les amandes sont partout

Mais elles viennent presque toutes de Californie

Très étendus et très productifs, les vergers californiens produisent les 2/3 des amandes consommées dans la monde

Cette forte croissance de la demande mondiale a surtout bénéficié aux arboriculteurs californiens, qui consacrent dorénavant plus de 5 000 Km2 à cette monoculture, l’équivalent d’un département français comme les Alpes maritimes !

Ils produisent à eux seuls les deux tiers des amandes consommées dans le monde, soit 2,4 millions de tonnes (contre à peine plus de 1000 tonnes en France !).

Évidemment, ils font pousser ça à leur manière, pas du tout comme l’imaginent les bobos européens ! Cette culture, du coup, est devenue extrêmement intensive. Les rendements, qui ont doublé en 20 ans, atteignent 4,7 tonnes à l’hectare, 5 fois plus qu’en Provence et 10 fois plus qu’en Espagne ! Tout cela n’est pas sans conséquences évidemment, en particulier en matière de consommation d’eau, d’utilisation de pesticides et d’abeilles pollinisatrices.

Les amandiers assèchent la Californie

4 litres d’eau pour chaque amande, 5000 Km2 arrosés, les amandiers assèchent la Californie

L’amande est très gourmande en eau, six fois plus que les céréales : il faut carrément utiliser 4 litres d’eau pour produire une seule amande, contre 1,5 litres pour une fraise par exemple. Or la Californie commence à manquer sérieusement d’eau douce et, avec le réchauffement climatique, cette situation ne peut que s’aggraver. Les amandiers consomment actuellement à eux seuls 10 % de toute l’eau douce de cet état ! Les conflits locaux ne peuvent donc que se multiplier dans cette région. Entre les différents agriculteurs,par exemple les maraîchers, les cotonniers ou les céréaliers contre les arboriculteurs. Même si progressivement ces derniers passent au goutte à goutte. Et entre les agriculteurs et les urbains (les américains n’ont pas encore l’habitude de rationner l’eau d’arrosage de leurs gazons ou pour le nettoyage de leurs voitures !).

Bonjour les pesticides !

De plus, comme toute activité de monoculture, l’usage de pesticides est absolument indispensable, et encore plus s’agissant d’arbres, pour lesquels on ne peut pas faire de rotations de cultures. D’autant plus que l’opinion publique est là-bas beaucoup moins sensibilisée à ces questions que les européens. On cultive les amandiers sur un sol nu, nettoyé avec force glyphosate, et on répand énormément de fongicides et d’insecticides, encore plus que dans nos vergers de pommes, qui pourtant sont réputés pour cela ! Les conséquences environnementales sont de plus en plus désastreuses évidemment.

La moitié des ruches des États-Unis voyagent en Californie au mois de mars

La quasi-totalité des arbres fruitiers (et de plantes à fleurs) ont besoin de pollinisateurs pour que leurs fleurs produisent du fruit. Si on conjugue la quasi disparition des abeilles et autres pollinisateurs, et la création de grands vergers pour produire assez de fruits pour satisfaire la demande des urbains, les arboriculteurs passent évidemment des accords avec les apiculteurs pour qu’ils installent des ruches au milieu de leurs vergers au moment crucial de la floraison, qui ne dure que quelques semaines. C’est d’ailleurs comme ça qu’on trouve à la vente des dizaines de miels aux goûts fort différents : miels de citronniers, d’orangers, de tilleul, de châtaigner, de caféier, d’avocatier, d’amandier, de pommier, de lavande, d’eucalyptus, de thym, etc.

Les apiculteurs sont donc de grands déménageurs. Une ruche peut ainsi être installée successivement dans 5 ou 6 emplacements au cours d’une année. On les transporte évidemment de nuit, issues fermées, et on laisse un moment de repos avant de rouvrir la ruche. Des ouvrières partent immédiatement en exploration, reviennent illico expliquer à leurs collègues où sont les sources de pollen les plus proches, et le travail commence. Une abeille peut visiter 250 fleurs par heure, quand elles sont proches l’une de l’autre. Avec des dizaines de milliers d’abeilles, une ruche peut « traiter » 30 millions de fleurs en une journée !

Dans le cas spécifique de l’amandier, la floraison est très précoce, en même temps que les dernières gelées (il a toujours annoncé le printemps et fait rêver les poètes), mais elle peut donc être très brève en cas d’intempéries. Donc il faut absolument intensifier au maximum cette pollinisation. En Californie, on estime que, pour être efficace, il faut implanter six à dix ruches –soit quelque 300.000 abeilles–pour polliniser un hectare ; ils en sont à 500 000 hectares et ils ont donc besoin de 1 à 2 millions de ruches en même temps sur une période très brève.  Inutile de dire qu’ils vont les chercher de plus en plus loin, sur tout le territoire des USA et même au Canada ! C’est une véritable noria de camions qui sillonnent les autoroutes pour transporter carrément entre la moitié et les deux tiers des ruches de cet immense pays, louées 220 $ chacune.

La moitié des ruches américaines se retrouvent en Californie au mois de mars.

La concurrence est telle que la plupart des apiculteurs américains tirent maintenant davantage de revenus de la location de leurs ruches que de la vente de leur miel. Il s’agit donc dorénavant d’élevage hyper intensif : chacun se doute que transporter les ruches sur des milliers de kilomètres pour les mettre à travailler un à deux mois plus tôt dans l’année que ce à quoi elles sont accoutumées, dans des champs en monoculture arrosés de pesticides, sans aucune biodiversité, sans champs en jachère autour qui fassent barrière naturelle avec les autres productions de la région (comme le coton ou le raisin), elles-mêmes arrosées d’autres pesticides, et transport retour juste après, au mieux fragilisent considérablement ces pauvres insectes hyménoptères !

Arboriculture hyper intensive, effondrement intensif des abeilles !

Les parasites comme les acariens, et en particulier le tristement célèbre Varroa destructor, se servent sans compter, mais aussi les abeilles tueuses et les frelons. Les maladies profitent de l’hyper concentration des ruches pour passer facilement de l’une à l’autre. Au total, on déplore donc une mortalité annuelle épouvantable, soit sur place, soit, plus fréquemment, au cours de l’hiver suivant. Elle est passé de 5 % des ruches à 35 à 50 % en quelques années !

On se scandalise avec raison des conditions d’élevage cruelles de nombre d’animaux que nous mangeons, veaux, cochons, poules, lapins, canards, etc. On se trouve exactement dans la même situation, cette fois-ci avec l’élevage des abeilles ! Il s’agit bien de travaux forcés et de maltraitance !

Le monde qui va avec

Ce n’est pas parce qu’un aliment se retrouve soudain à la mode, et paré de plein de vertus diététiques, qu’il n’est pas produit avec les méthodes du monde d’aujourd’hui ! Tant que la consommation est faible, la production peut rester artisanale, même si le transport de produits tropicaux sur de longues distances, souvent en avion, reste un désastre pour le climat.

Mais quand la consommation devient très importante, on passe évidemment à l’agriculture industrielle, avec tous ses travers. C’est pareil pour l’avocat, le quinoa, ou le goji par exemple, ou la rose. Et on voit ici que le cas de l’amande est particulièrement emblématique. Mais que faire ?

Le monde californien qui va avec !

Les Français consomment deux fois plus d’amandes qu’il y a dix ans, mais seulement 4 % d’entre elles proviennent de France. La Provence n’arrivera jamais à produire suffisamment, même si ses amandes haut de gamme, peuvent parfois coûter jusqu’à deux fois le prix de celles importées des États-Unis.

Notons quand même qu’une part non négligeable du lait d’amandes bio vendu en France provient d’Espagne ou d’Italie…

Faut-il revenir vers la seule consommation de productions locales, artisanales et de saison ? C’est une vraie question de société !

                                     

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
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