On découvre une vraie guerre en Europe, impression de revenir 80 ans en arrière… mais là il ne s’agit plus, comme on en avait « l’habitude », d’un pays pauvre, désertique et montagneux, mais de grandes puissances agricoles (en particulier céréalières) et énergétiques. Et les conséquences en chaine vont être énormes pour l’agriculture et l’alimentation mondiale. Il faut entrer dans le détail pour bien comprendre les vrais enjeux, et le risque qu’au bout du compte il y ait davantage de morts de faim dans les pays du sud que d’européens morts de la guerre…
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On a du mal à produire assez de céréales dans le monde
La demande de céréales n’a cessé d’augmenter dans le monde, et s’est beaucoup accélérée dans les dernières décennies.
D’une part parce que la population ne cesse d’augmenter, à raison de 75 millions de terriens de plus chaque année. Nous approchons les 8 milliards de terriens, contre 1,8 en 1900 et 6,3 en 2000, et nous allons rapidement atteindre les 10 milliards !
D’autre part parce que l’élevage mondial s’est énormément développé, pour répondre à la demande des classes moyennes de plus en plus nombreuses qui veulent manger de la viande et boire du lait, deux produits qui sont en quelque sorte des « concentrés de végétaux ». Un végétarien correctement alimenté consomme environ 200 kilos de céréales par an, un carnivore consomme en plus toutes les céréales consommées par les animaux qu’il mange, et quadruple sa ponction sur les ressources, passant à 800 kilos de céréales, plus les protéines végétales afférentes, comme le soja, le colza et le tournesol. Actuellement plus de la moitié du blé mondial et 80 % du maïs sont mangés par nos poulets, cochons, canards, lapins et veaux ! Songeons par exemple que depuis les années 60 la consommation de viande des chinois est passée de 17 à 60 kilos annuels, alors que la population doublait. Bref la Chine a multiplié par 8 sa consommation de viande, ce qui représente une énorme ponction supplémentaire sur les ressources mondiales.
Or les terres propices à la production céréalières dans le monde sont fort limitées ; on tente sans arrêt d’en rajouter, en particulier en défrichant les forets tropicales de façon totalement irresponsable… mais dans le même temps, on en urbanise, bétonne, pollue, érode autant, ce qui fait que les surfaces consacrées aux blé, maïs, riz, etc. n’augmentent plus depuis 70 ans : on sème toujours environ 200 millions d’hectares de blé et autant de maïs, et 100 de riz !
On se rattrape donc sur la productivité à l’hectare ; ça a été le miracle de l’agriculture intensive, de la « révolution verte » des années 50-80. On a réussi à multiplier par 3,5 les productions mondiales de blé et de riz et 5,5 celle de maïs, alors que la population n’était multipliée, elle que par 2,4. Les presque 8 milliards de terriens d’aujourd’hui ont beaucoup plus de chance de manger du blé ou du riz que lorsque nous n’étions que 3 milliards !
Le problème vient du fait que la croissance n’est jamais éternelle : l’agriculture dite « moderne » shootée au pétrole, aux engrais et aux pesticides produit sa propre perte et ses inconvénients ont vite fait de rattraper ses avantages : baisse de la fertilité et de la biodiversité, pollutions, résistances aux pesticides, érosion, etc. ont amené à un plafond et, dans nos pays très « modernes », la productivité n’augmente plus depuis 25 ans, et varie de plus en plus avec les incidents climatiques. On est passé de 20 à 70 quintaux à l’hectare entre 1960 et 1985, et on y est toujours en 2020 ! Certains voient le salut dans le passage à la bio. Or, si cette dernière respecte davantage la planète, elle produit… deux fois moins, autour de 30 quintaux à l’hectare, et malheureusement avec une remarquable stabilité là aussi depuis 25 ans !
Peu de pays sont exportateurs de céréales, dont la Russie et l’Ukraine
Il y a un qu’un petit nombre de pays du monde qui sont favorables à l’agriculture intensive, et en particulier à la production de céréales, riz, blé et maïs.
Parmi ceux-là, certains se contentent de nourrir leur propre population, très nombreuse, et donc n’exportent pratiquement rien. C’est le cas de la Chine, premier producteur mondial de riz et de blé, et deuxième producteur de maïs, mais qui s’en sert intégralement pour nourrir ses 1,4 milliards d’habitants,
Le pays le plus peuplé du monde, dont la consommation annuelle de viande par personne est passée en 40 ans de 15 à 60 kilos, et dont l’agriculture était extrêmement inefficace du temps de Mao-Tsé-Toung, arrive maintenant à nourrir 1/5 de la population mondiale sur seulement 1/10 des terres agricoles, et avec énormément de problèmes hydrauliques. Pas sans travail, si l’on songe que la moitié des 60 000 barrages du monde sont chinois ! La Chine arriverait désormais à se nourrir correctement si jamais toutes les frontières mondiales se fermaient (au prix néanmoins d’une forte diminution de sa consommation de viande).
Cela étant, pas de chance, justement cette année la Chine a fait une très mauvaise récolte de blé, à cause de pluies diluviennes. Elle s’apprête donc justement à en importer de grandes quantités, ce qu’elle ne faisait plus depuis des années…
Le commerce international de céréales ne représente qu’une petite part de la production ; car la grande majorité des grains sont en fait consommés dans las pays que les produisent. Par exemple en 2020 pour le blé, il n’y a que 119 millions de tonnes qui ont franchi une frontière sur les 761 millions qui ont été produits.
Les pays qui produisent de façon significative, c’est-à-dire davantage que ce qu’ils ne consomment eux-mêmes, et sont donc capables d’exporter, sont fort peu nombreux ; pour le blé ce sont la Russie (qui a produit 76 millions de tonnes en 2021 et souhaite en exporter 35), les USA, le Canada, l’Ukraine, la France et quelques autres pays européens, et quelques autres comme l’Australie et l’Argentine… les bonnes années, car il arrive peu souvent que la récolte soit au top dans chacune de ces zones, et de plus en plus fréquemment pour des raisons climatiques.
Pour le riz, il s’agit de l’Inde, du Pakistan, du Vietnam, de la Thaïlande et des USA.
Pour le maïs, on trouve les Etats-Unis, le Brésil, l’Argentine et de nouveau l’Ukraine.
L’Ukraine, qui dispose de grandes étendues de terres parmi les plus fertiles de la planète, a beaucoup amélioré son agriculture, laquelle avait malheureusement beaucoup stagné du temps du communisme. Rappelons que, dans les années 30, le cours mondial du blé se négociait à Odessa, et non pas à Chicago comme aujourd’hui. Elle exporte couramment du blé vers l’Indonésie et l’Egypte, de l’orge vers la Chine et la Turquie, du maïs vers la Chine, l’Espagne, les Pays-Bas. Elle assure à elle seule la moitié des exportations mondiales de tournesol, vers plusieurs pays européens dont la France (qui lui achète chaque année entre 4 et 600 000 tonnes de tourteaux de tournesol)…
En termes de surfaces, l’Ukraine dispose de 33 millions d’hectares de terres arables, et la France 29, mais toutes ne sont pas semées en céréales ou protéagineux (elles comptent par exemple les prairies permanentes et les vergers et vignobles pérennes). D’après la FAO, en 2020, l’Ukraine a récolté 14,9 millions d’hectares de céréales et la France 8,9. En matière d’oléagineux, la différence est plus importante : 10 millions d’hectares récoltés en Ukraine contre 2 en France… On peut parier que les surfaces situées à l’est du pays ne seront pas semées, et émettre des doutes sur la possibilité de récolter celles qui sont à l’ouest, si la guerre se prolonge…
Ce qui est d’ores et déjà acquis, c’est une augmentation quasiment sans précédent du prix mondial des céréales. Ce dernier est en effet fixé, non pas par le niveau de production globale sur la planète, mais essentiellement par la disponibilité de le petite partie qui est exportée.
On peut voir sur ce graphique de « l’indice mondial des prix des céréales » élaboré par la FAO que, fin février 2022, il avait déjà dépassé les niveaux de 2007-2008, où on avait déploré des émeutes de la faim dans 36 pays, et ceux de 2010, où il avait été une cause directe des révolutions arabes. Et il serait naïf de croire qu’il ne va pas continuer à grimper d’ici l’été, et donc très probablement provoquer à nouveau des conséquences géopolitiques spectaculaires. L’agence onusienne estime qu’il pourrait encore grimper de 8 % à 20 %…
Cette pénurie de céréales risque d’affecter fortement d’autres productions agricoles, par ricochet. Par exemple il n’est pas impossible que, compte tenu du fait que la rentabilité de l’élevage est maintenant très faible depuis des années, certains agriculteurs polyculteurs et éleveurs décident de vendre leurs céréales plutôt que les donner à manger à leurs animaux et de vendre ces animaux. Ou que certains producteurs de légumes abandonnent cette activité et décident de repasser aux céréales.
Mais il y a beaucoup de pays importateurs de céréales
Les pays structurellement importateurs sont malheureusement les plus nombreux… Cette situation est le plus souvent structurelle : ils n’ont pas assez de surfaces agricoles et de ressources naturelles pour nourrir leur population, et très souvent leur situation empire d’année en année car leur population continue à augmenter alors que leurs surfaces de terres cultivables, ou leur disponibilité en eau, ne cessent de se réduire. Lorsqu’il s’agit de pays industrialisés, l’inquiétude est relative puisqu’ils ont et auront largement de quoi vendre pour acheter leur nourriture. C’est le cas par exemple de la Suisse, du Japon, de la Corée du Sud, ou de la Grande-Bretagne. Ce pays n’arriveront plus jamais à se nourrir seuls, mais ils se débrouilleront sans problème pour acheter de la nourriture produite par d’autres, quel que soit son prix.
Il y a évidemment lieu d’être nettement plus inquiets pour un pays comme l’Égypte, qui doit nourrir 102 millions d’habitants sur un désert, et où la seule vallée cultivable est celle du Nil, qui ne représente que 4 % de sa surface. Ce pays, est le plus gros importateur mondial de blé depuis des années (12 millions de tonnes en moyenne). Idem pour ses voisins Liban, Libye, Syrie et Tunisie (qui était pourtant le « grenier de Rome » du temps où elle s’appelait Carthage !). Mais aussi Yémen et les deux Soudan, eux-mêmes en guerre, etc.
On peut également évoquer le cas, particulièrement emblématique, des 165 millions d’habitants du Bangladesh, qui seront plus de 200 millions en 2050, faisant de lui le pays le plus dense au monde (1 400 habitants au KM2), alors que la montée des eaux issue du réchauffement climatique risque de l’amputer d’un tiers de sa surface actuelle ! Citons également le Rwanda qui en sera à 1 000 habitants au KM2 en 2050 (alors que le Soudan n’en aura que 49 et le Kenya 167).
Notons également qu’avec le réchauffement climatique le Sahel se transforme à toute vitesse en Sahara, au moment même ou sa population augmente fortement ; il n’y a plus rien à boire, plus rien à manger, et de plus en plus de gens à nourrir. On ne voit pas très bien comment on sortira de ce cercle vicieux en Mauritanie, au Mali, au Niger, au Tchad, aux Soudan, au Burkina Faso, ou au nord du Nigeria.
Citons pour mémoire le cas des pays qui possèdent de grands gisements de ressources minérales où pétrolières… et se sont abstenus d’investir suffisamment dans leur agriculture en pensant qu’ils auraient toujours du pétrole, du gaz, des diamants ou du cuivre pour se payer du blé ou du riz. On a vu que cette politique reste potentiellement très dangereuse car les cours de matières premières sont très fluctuants. C’est ainsi que de nombreux pays pétroliers comme le Venezuela, l’Algérie où l’Iran ont vu leur situation devenir extrêmement fragile depuis quelques années (avec en plus un terrible embargo pour l’Iran). Depuis l’indépendance de l’Algérie, la France a réussi à tripler sa production agricole pendant que là-bas la production stagnait et que c’est la population qui a triplé. Cherchez l’erreur ! Moyennant quoi, elle importe actuellement 8 millions de tonnes de blé par an…
Pour situer les enjeux et les ordres de grandeur, on estime qu’il ne reste actuellement que 3,5 millions de tonnes de blé français exportable.
La moisson se marie mal avec les bombes, même très éloignées
C’est peu de dire que la probabilité de produire beaucoup de nourriture dans un pays en guerre est très faible. Quand les hommes font soldats et les femmes réfugiées, il n’y a plus grand monde de valide pour s’occuper des champs. Et, s’il y en a, il est peu probable qu’ils aient accès aux semences sélectionnées, aux engrais, aux pesticides, aux tracteurs et moissonneuses et au gasoil pour les faire rouler, etc. Et si par miracle ils arrivent à récolter, les systèmes logistiques de stockage, transport et de vente ne seront plus efficaces. La probabilité d’embarquer tranquillement de grosses quantités de blé ukrainien dans les ports d’Odessa ou de Marioupol cet été est dorénavant… assez aléatoire ! De même que la livraison de pièces détachées de matériels agricoles à la Russie.
Même en France, la situation est très tendus en mars, mois propice aux gros travaux agricoles. Les entrepreneurs de travaux agricoles font remarquer qu’ils travaillaient l’an dernier avec un gasoil à 70 centimes, et qu’actuellement ils ont le plus grand mal à s’approvisionner, et quand ils le font c’est à des prix qui s’approchent des 2 euros !
Mais l’influence de la guerre va s’étendre sur toute la planète, et pas seulement en raison du prix des carburants ; en particulier les engrais vont être hors de prix cette année. Rappelons que le plus essentiel, l’engrais azoté, se fabrique certes en France et en Europe, mais avec de grosses quantités de gaz… le plus souvent russe.
La Russie intervient également en direct sur ces marchés et représente 24 % des exportations mondiales d’ammoniac et 40 % des exportations mondiales de nitrate d’ammonium – substances principales des engrais de synthèse. Conséquence : les prix flambent littéralement : ceux de l’urée et du DAP (Di-Ammonique Phosphate, souvent appelé 18-46, l’engrais starter le plus utilisé) ont été multipliés par trois depuis début de l’année, alors même que les prix avaient déjà doublé en 2021.
Pour un agriculteur français, ce coup de chaud sur le prix des seuls engrais azotés représente déjà un supplément de charge de 200€/ha, et ce n’est probablement pas fini. Et ce sera pareil pour les agriculteurs canadiens ou brésiliens : le Brésil achète près de 60 % des volumes d’engrais azotés russes. On risque donc une sous-fertilisation des 20 millions d’hectares de maïs cultivés dans ce pays, ce qui occasionnerait une forte baisse de la production.
La Russie et cette fois-ci la Biélorussie sont également deux grands exportateurs d’engrais phosphore et potassium ; rien que pour la potasse, Russie et Biélorussie assurent 42 % des exportations mondiales, destinées en particulier au Brésil.
Les céréales ne seront pas les seules affectées, les probables carences risquent de pénaliser également les rendements des betteraves ou des pommes de terre, entre autres. L’utilisation d’engrais, en particulier azote, phosphore et potassium, même s’il est contesté actuellement, a bien été un facteur absolument déterminant dans l’augmentation de la productivité agricole mondiale des 50 dernières années ; s’il baisse brusquement la production baissera inéluctablement cette année.
Il faut évidemment ajouter à ces menaces sur la productivité celles qui viennent du réchauffement de la planète, et de la multiplication des incidents climatiques. Nous ne savons pas encore quel va être le temps qu’il fera dans les grandes plaines céréalières de l’hémisphère nord d’ici à la récolte des mois de juillet et août. Or on est obligé de constater que le niveau de production dépend beaucoup du temps qu’il fait, même dans un pays aussi moderne que la France. Dans les dernières années la moisson a varié entre 27 et 40 millions de tonnes suivant la météo ! Il ne nous reste plus qu’à espérer le beau temps en ce printemps 2022 marqué par la guerre…
Des conséquences quand même supportables en France
Gardons déjà notre sang froid, les conséquences pour la population française ne vont pas être impossibles à surmonter.
Tout d’abord il n’y a aucune raison de manquer dans un pays qui est structurellement un gros exportateur de blé. Quoi qu’il arrive et quels que soit le niveau de la moisson et le cours mondial du blé, nous ne manquerons ni de pain, ni de farine, ni de pâtes. Rappelons que ce qu’on avait cru être des pénuries de farine dans des supermarchés lors du premier confinement COVID n’était en fait qu’un problème provisoire d’emballage de la farine par paquets de un kilo.
De plus l’augmentation probable du prix de la baguette devrait être parfaitement supportable, car dans la réalité « il y a très peu de blé dans le prix du pain ». Quand on achète une baguette on achète d’abord du salaire et des charges sociales, ensuite des machines de l’emballage et du transport,, de l’énergie, du loyer… et en fin de compte il n’y a que 5 à 8% de blé dans le prix du pain, et donc l’augmentation du prix de l’énergie risque d’être un facteur plus inflationniste que celui du blé dans le prix de la baguette ! De façon contre-intuitive, il est possible que le pourcentage d’augmentation du prix des pâtes soit plus important, car finalement le paquet de pâtes est un produit moins industriel que la baguette, et le prix du kilo de farine de blé dur y représente un plus gros pourcentage.
Et ne nous leurrons pas, il est bien possible que le prix du riz flambe également, même si aucun des protagonistes de cette guerre européenne n’en produit. Car il y aura des substitutions de céréales, à la fois chez les particuliers (je ne trouve plus de pâtes, je mange du riz !), et surtout chez les éleveurs.
Finalement l’effet essentiel risque d’être la mise en grande difficulté économique de la plupart des éleveurs. Car, pour eux, le prix de l’alimentation et en particulier celui des céréales et des protéines végétales (comme par exemple le tournesol que l’on achète massivement en Ukraine) peut représenter les 2/3 de leur coûts. Un porc charcutier mange un kilo de nourriture par jour, dont 600 g de céréales et 350 g d’oléo protéagineux. Un poulet de chair a consommé au total de l’ordre de 5,5 kilos d’aliments avant d’aller à l’abattoir ; une poule pondeuse doit manger de l’ordre de 150 grammes tous les jours pour pondre un œuf de 50 à 70 grammes. Les ruminants qui sont à l’herbe vont effectivement être moins affectés, même si la quasi totalité mange également des compléments alimentaires. Comme on ne voit pas très bien les hypermarchés, et encore moins les consommateurs, accepter une hausse importante du prix de la viande et des œufs, soit le gouvernement subventionne les éleveurs (dans une politique qui prolonge l’ancien « quoi qu’il en coûte »), soit on assistera à des faillites en chaîne dans cette profession…
Mais si l’on prend en compte qu’en moyenne le poste de nourriture ne représente plus que 14 % des revenus des français, l’idée qu’ils puissent avoir faim à cause des hausses à venir des produits alimentaires reste un peu simpliste. Actuellement il ne faut plus que 5 minutes de travail à un salarié au salaire minimum pour se payer une baguette, il y a quand même peu de chances qu’il ne puisse plus retourner à la boulangerie. Mais évidemment, compte tenu de la très grande sensibilité des français aux prix alimentaires, les augmentations à venir, inévitables, vont provoquer beaucoup d’émotion. D’autant plus que les Français, et les médias, sont très sensibles aux dépenses dites « contraintes » comme le loyer, dont certaines risquent d’augmenter fortement, en particulier les postes transport et chauffage (enfin, pour ce dernier, surtout l’hiver prochain). Du coup, la part des revenus qui reste, et qui compte pour apprécier la baisse de niveau de vie, est beaucoup plus réduite, et à l’intérieur, la nourriture représente un poste important qui sert de variable d’ajustement, surtout quand on ne veut pas rogner sur le téléphone portable !
Donc il est à prévoir que la guerre en Ukraine provoquera des changements de comportements non négligeables chez les Français, comme réduire sa vitesse en voiture, chauffer moins son logement, prendre plus souvent son vélo ou les transports en commun, diminuer les budgets habillement, loisirs et vacances, etc. Mais aussi certaines modifications d’habitudes alimentaires.
On peut également imaginer que les systèmes de secours de dernière instance, comme les restaurants du cœur ou les banques alimentaires, vont devoir faire face à une demande fortement croissante, comme on l’a vu lors du premier confinement Covid.
Mais de véritables désastres à venir dans certains pays du sud
En revanche la menace est entièrement différente chez les « vrais » pauvres de la planète, par exemple chez le milliard de terriens dont l’alimentation se réduit à sa plus simple expression : manger chaque jour une ration de céréales, toujours la même ; par exemple ne manger que du riz, ou que du maïs, ou que du manioc. Ceux-là sont évidemment extrêmement sensibles au cours mondial des céréales, car pour eux c’est la différence entre mal manger ou avoir vraiment et durablement faim.
Car « ventre affamé n’a plus d’oreilles ». Rappelons une grande loi historique qui perdure à travers les siècles : quand les gens ont faim dans la capitale, le gouvernement a du souci à se faire. Les pénuries de pain ont déclenché la Révolution française de 1789, tout comme les révolutions arabes de 2010-2011.
Sans compter le fait que ceux qui ont faim trouvent toujours un prétexte pour faire la guerre à leur voisin, dans un monde ou même le pauvre peut se payer une kalachnikov. Et ensuite logiquement le cercle vicieux est enclenché : on se fait la guerre parce qu’on a faim et ensuite et on a faim parce qu’on s’est fait la guerre.
Bref il n’est malheureusement pas impossible que la faim issue des pénuries alimentaires dans des pays dits « du Sud » finisse par tuer plus de gens que ceux qui vont mourir directement des effets dévastateurs de la guerre en Ukraine… ce qui pourrait engendrer des effets géopolitiques dévastateurs à des milliers de kilomètres de Kiev.
C’est ce qu’estime la FAO dans son dernier communiqué : « Vingt-six pays, principalement en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, dépendent à plus de 50 % de la Russie et de l’Ukraine pour leurs importations de blé. De 8 millions à 13 millions de personnes supplémentaires pourraient souffrir de la faim dans le monde, en raison des conséquences de la guerre en Ukraine, particulièrement en Asie-Pacifique, en Afrique subsaharienne, au Proche-Orient et en Afrique du Nord ».
Notons en plus que les ONG elles-mêmes vont avoir de grandes difficultés pour faire face à cette situation. L’Ukraine représente actuellement 13 % des sources d’approvisionnement du Programme alimentaire mondial… De plus les principaux pays donateurs risquent de se focaliser sur la situation en Ukraine au détriment de celle des autres pays. Rappelons par exemple que début mars 22, seuls 10% des sommes promises pour l’Afghanistan ont été effectivement versées.
Merci pour cette analyse très complète et pertinente, que ja partage totalement. À vulgariser et à diffuser pour perla chacun de prendre la mesure des enjeux des mois à venir. La France a de bons atouts sur le plan économique et agroalimentaire et des faiblesses sur le plan énergétique mais avec des solutions (Biométhane et autres productions électriques.
Merci pour vos encouragements !
Bonsoir Professeur, depuis le début des événements, j’attendais votre article car je savais que vous écrirez à propos des conséquences de la guerre sur l’agriculture et le marché des céréales.
Article long mais très lisible et pertinent comme toujours.
Prions pour que la météo soit clémente et propice à une bonne récolte cette année.
Prenez soin de vous.
Cordialement
Merci Paul !
Dans son discours de l’Etat de l’Union, le président Biden consacre la première partie à l’Ukraine en mentionnant qu’il ne peut oublier son expérience personnelle du temps où l’augmentation des prix de la nourriture avait comme conséquence la faim.
Dans le Grand Est les méthaniseurs se construisent partout .
Sur le dernier où nous avons eu à nous prononcer c’est 8000t de maïs qui sont engloutit chaque année.
Une intensification de l’agriculture qui nuit à la biodiversité et détourne des terres agricoles de l’alimentation.
Oui, les céréales doivent être réservées à l’alimentation (et déjà il faut définir une répartition adéquate entre alimentation humaine et animale), mais pas pour faire circuler les voitures !
Et il faut arrêter de conseiller aux automobilistes de faire installer dans leur moteur le gadget pour tourner à l’éthanol ; il n’y en aura pas assez pour toutes les voitures, et ce qu’on met dans son réservoir finit un jour par manquer aux hommes. Ne propageons de nouveaux conflits entre l’assiette des pauvres et le réservoir d’essence des riches.
Bonsoir, je suis tombé par hasard sur votre site, par le biais d un graphique qui m avait plu ; je suis consterné de l avenir qui attend l Afrique, étant producteur-tranformateur de riz dans le nord de la cote d ivoire (Korhogo) , j aide des coopératives au financement des intrants (semences, engrais, phyto) et aussi de la mécanisation agricole (comme je le peux avec un faibel parc de 10 tracteurs de 75cv pour un périmètre potentiel de … 102.000 Ha); le rendement moyen est de 1,3 T/ha pour des unités de parcelles de 1,75 Ha/producteur. le chemin sera tres long, mais une simple progression à 3,4 T/ha permettrait à la région de prétendre à l autonomie vivrière, géniel, quand aujourdhui la dépendance du pays au riz importé est de 50%. Mais je suis en conflit permanent avec l approche et les techniques à déployer : j aimerais pouvoir appliquer le semis direct, les intrants bio, etc … mais le chrono tourne et les moyens sont minimes. De plus, le changement climatique se font sentir dans des régions qui sont déja déficitaire en eau et qui plus est seront dans la zone rouge d ici 2100; en clair je suis en train de bosser sur une région qui sera déja problèmatique d ici 2050 et problablement inhabitable en 2100. Gilles , ingé Arts & Métiers, reconverti en agronome-comme-il-peut.
Merci pour votre article éveillant.