Récemment, deux grands pays d’élevage, la Hollande et la Nouvelle-Zélande ont décidé de réduire drastiquement leur cheptel, pour des raisons environnementales, ce qui provoque évidemment de grandes manifestations de protestation de la part des éleveurs. Dans le même temps, la Chine a inauguré une nouvelle porcherie urbaine de 26 étages, pouvant contenir jusqu’à 660 000 cochons. C’est une excellente occasion de faire le point sur l’élevage dans le monde et de se demander : élève-t-on déjà trop d’animaux par rapport à ce que la planète peut supporter ? Ou sont-ils « seulement » mal répartis ?
Texte publié sur Futura le 10 nov 22
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La population mondiale a été multipliée par 8 en 220 ans
La population du monde va bientôt franchir le cap des 8 milliards d’habitants, très probablement avant la fin de l’année 2022.
L’humanité a franchi le cap du 1er milliard autour de 1800, après des millénaires de croissance lente ; le deuxième milliard a mis seulement 130 ans à arriver (en 1930). Le 3e n’a mis que 30 ans (en 1960), le 4e, 15 ans (en 1974), le 5e, 13 ans (en 1987), les 6e et 7e, seulement 12 ans (en 1999 et 2011) et le 8e aura mis à peine 11 ans (en 2022). Il faut se rendre compte que, à chaque jour « normal » sur terre, 360 000 bébés viennent au monde, alors que « seulement » 160 000 personnes meurent (toutes causes confondues) ; l’humanité s’accroit donc quotidiennement de 200 000 personnes, l’équivalent de la population de villes comme Rennes ou Reims ; tous les 10 jours l’équivalent de la population de Paris !
Heureusement, les démographes nous disent que ça ne va pas continuer indéfiniment ; il est maintenant très probable qu’on dépassera avant la fin du siècle les 10, puis les 11 milliards, mais qu’on atteindra jamais les 12 milliards.
Les humains ne sont pas les seuls frappés par la surpopulation, les animaux également.
Chacun sait que malheureusement, l’action de l’homme diminue de façon très rapide et absolument dramatique la biodiversité sur la planète. La déforestation, l’urbanisation, l’épandage de pesticides, la chasse etc. font de tels dégâts qu’on prévoit maintenant une nouvelle extension globale des espèces.
Mais ceci est en partie compensé par l’augmentation très importante de la population des animaux élevés pour leur viande, leur lait, leurs œufs, leur laine, etc. Par exemple, l’on compte actuellement sur terre 1,7 milliards de bovins, lesquels consomment énormément de ressources, puisqu’à eux seuls ils pèsent plus que l’humanité entière ! On compte actuellement une vache ou un buffle pour 5 humains sur terre. Mais la répartition n’est pas du tout homogène, puisqu’en Amérique, on en est déjà à une vache pour 2 humains.Certains pays ont été beaucoup plus loin que d’autres dans la surpopulation bovine, qu’on la mesure par densité de bovins au kilomètre carré ou par nombre de bovins par habitant.
Mais ce n’est pas tout ! Par exemple en Europe, on observe que ce sont dans les mêmes régions qu’il y a à la fois la plus forte densité de vaches, de porcs et de poulets. Cela pose d’énormes problèmes d’approvisionnement, puisqu’on ne peut pas les nourrir avec les végétaux locaux et que, pour ce faire on importe massivement du maïs et du soja. Le soja mangé par les animaux d’élevage européen couvre environ 20 millions d’hectares en Amérique latine, soit l’équivalent de la surface agricole utile de la France…
En France, la région Bretagne, qui compte 3,3 millions d’habitants, élève également 750 000 vaches, 7,3 millions de cochons, 34 millions de poules pondeuses, 125 millions de poulets et 70 millions de dindes ! Elle est évidemment incapable de les nourrir tous avec ses propres végétaux et en importe massivement ; en particulier 95 % de ses protéines végétales viennent d’Amérique latine.
Cette forte concentration provoque des problèmes de pollution de tous ordres, en particulier à cause des déjections qui entrainent des pollutions des sols, des nappes phréatiques et des bords de mers.
Mais aussi il convient de mentionner que la contribution des émissions de gaz à effet de serre des bovins est absolument considérable, car ils émettent énormément de méthane lors de leur rumination, un gaz malheureusement 23 fois plus réchauffant que le gaz carbonique, ce qui fait qu’en gros une vache réchauffe autant la planète qu’une voiture. On peut toujours argumenter que la prairie sur laquelle elle broute, fixe, elle, du gaz carbonique, contrairement à l’autoroute sur laquelle circule la voiture. Mais c’est un argument relativement faible puisqu’on peut faire remarquer que, s’il n’y a pas de vache sur la prairie, ou s’il n’y a pas de prairie, il y aura à cet endroit d’autres plantes qui fixeront le gaz carbonique ; la fixation de ce gaz n’est donc pas intrinsèquement liée à la présence de vaches.
La Nouvelle Zélande envisage de diminuer fortement sa production laitière, qui est pourtant sa principale source de revenus !
On peut observer que 11 pays du monde élèvent plus de bovins qu’ils ne comptent d’habitants ! Parmi ceux-là, la Nouvelle Zélande, petit pays de moins de 5 millions d’habitants (l’équivalent d’une région française) mais énorme éleveur, puisqu’il en est à 15 millions de vaches, plus 30 millions de moutons, soit 3 vaches et 6 moutons par habitant !
Le gouvernement de Nouvelle-Zélande, qui veut tenir ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, s’est aperçu que la moitié des émissions du pays viennent des pets et autres rots de ses vaches et ses moutons… qu’il a donc décidé de taxer !
Le projet consiste à inciter financièrement les propriétaires d’élevages bovins et ovins à transformer leurs exploitations en forêts. Le gouvernement prévoit en effet de réduire d’environ 20 % d’ici à 2030 les surfaces consacrées à l’élevage de bœufs et de moutons. Les fonds récoltés serviront à financer la transition et à faire des recherches pour réussir à élever des ruminants qui produisent moins de gaz à effet de serre.
Un projet qui pourrait bien mettre le pays en crise quand on songe qu’il est actuellement le premier exportateur mondial de produits laitiers et que les produits agricoles et agroalimentaire représentent 57 % des exportations du pays. Affaire à suivre assurément !
Les Pays-Bas croulent sous les déchets de leurs élevages
Les Pays-Bas, petit pays densément peuplé de 17 millions d’habitants, élève aujourd’hui 3,7 millions de bovins, mais aussi 11 millions de cochons et 100 millions de poulets. Son agriculture est très intensive et très polluante… et là aussi très exportatrice. Dans ce cas, ils se sont fixés sur la production gigantesques de déchets azotés issus des déjections animales, beaucoup trop importante pour être absorbée par les sols agricoles. Rappelons que le protoxyde d’azote largement émis par la décomposition de ces déjections (fumiers de vaches, fientes de poulets, lisiers de porcs) est, lui, 298 fois plus réchauffant que le gaz carbonique !
Le gouvernement dit que, pour lutter efficacement contre l’azote, il faut qu’un tiers des exploitations agricoles arrêtent leurs activités, et qu’un autre tiers se reconvertissent, ce qui fait quand même 60 % des fermes. Cela veut dire que 30 000 et 50 000 entreprises agricoles du pays sont dorénavant en danger. Ils ont débloqué 7 milliards d’euros pour aider à la transition, et comptent en particulier sur le départ à la retraite des 60 % d’agriculteurs qui ont plus de 50 ans.
On voit bien sur cet exemple les contradictions de plus en plus difficiles à gérer en Europe entre l’indépendance alimentaire, le commerce international de ces produits (qui rapporte beaucoup de devises et contribue à lutter contre la faim dans le monde) et les exigences de l’écologie et de la limitation du réchauffement…
A l’inverse la Chine investit dans des élevages méga intensifs.
Du temps de Mao, quand les Chinois n’étaient que 700 millions, ils ne consommaient en moyenne que environ 15 kilos de viande par an et par personne. Aujourd’hui ils sont 1,4 milliards, et il consomme plus de 60 kilos de viande par personne (contre 80 en France !). Autrement dit, la Chine a multiplié par 8 sa consommation de viande en quelques décennies seulement. Cela ne s’est évidemment pas fait sans investissements énormes. Heureusement pour la survie de l’humanité, ils sont encore très largement intolérants au lait et en consomment peu. Ils n’ont donc « que » 88 millions de bovins (à peine plus de 0,6 par habitant). Mais ils se rattrapent largement sur le porc, le poulet et le canard.
Songeons qu’il y a environ un milliard de cochons sur terre, dont la moitié est en Chine, soit environ 500 millions de têtes. Dans la période récente, ils ont été massivement touchés par l’épidémie de fièvre porcine africaine, qui les a obligés à abattre 40 % de leur cheptel. Maintenant qu’ils ont à peu près vaincu cette maladie, ils veulent reconstituer leur potentiel de production, et diminuer drastiquement leurs importations, lesquelles avaient flambé au plus fort de la crise. On parle bien là de centaines de millions de cochons, et ils ne vont pas les produire dans des petites exploitations de 50 porcs ! D’autant plus que les petits paysans qui avaient de petits élevages ont souvent fait faillite au moment de l’épidémie et n’avaient plus les moyens d’investir.
D’où leur fierté d’avoir ouvert en pleine ville un immeuble de 26 étages pouvant élever 600 000 porcs chaque année. On vend les porcs à l’âge de 6 mois, donc il y en aura 300 000 en permanence. Ils mangent chacun en moyenne 1 kilo de nourriture par jour, il faut dont acheminer 300 tonnes de céréales et oléagineux quotidiennement. Il doivent aussi stocker, puis traiter (par méthanisation) les 500 litres de lisier que chaque porc produit dans sa vie, et trouver les espaces pour épandre les reliquats de cette méthanisation…
Cela paraît évidemment totalement déraisonnable aux yeux de français, pour qui un élevage « industriel » commence à une centaine de de truies… Mais qui sommes-nous pour dire à 1,4 milliards de Chinois comment ils doivent produire leur nourriture, alors que nous mangeons encore plus de viande qu’eux, plus plein de laitages ? Et d’ailleurs, cet élevage est très spectaculaire parce qu’il est en ville et en hauteur, mais ils ont déjà au moins un élevage à la campagne et à plat qui produit plus de 2 millions de cochons à l’année !
Dans les 2 cas, il y a très peu d’hommes qui rentrent dans ces bâtiments, pour les maintenir en confinement strict et tenter de juguler l’épidémie « à la chinoise ». L’essentiel du travail est effectué par des robots télécommandés et la surveillance via de très nombreuses caméras, y compris à infrarouge pour détecter les fièvres, des technologies que les chinois maîtrisent parfaitement !
Un autre monde décidément : un élevage de porc moyen en France produit 3 400 porcs par an !
Tout ceci doit nous encourager à consommer beaucoup moins de viande en Europe
Ces exemples montrent à quel point notre consommation effrénée de viande, de lait et d’œufs représente un désastre pour la planète. Songeons qu’un Français moyen carnivore consomme à lui tout seul dans sa vie 7 bœufs, 33 cochons et 1 300 poulets, plus 20 000 œufs et 32 000 litres de lait.
Si toute l’humanité adoptait la gastronomie française lorsque nous serons 10 milliards, cela voudrait dire qu’il faudrait élever 70 milliards de bœufs, 330 milliards de cochons et 13 000 milliards de poulets… pas sûr ce que les ressources de la planète suffisent !
Bravo donc les agriculteurs et les éleveurs ! Mais on ne pourra pas continuer cette croissance. Pour vivre en paix, avec la planète et surtout entre nous, il importe que ceux qui consomment beaucoup trop de viande diminuent fortement leur consommation, pour que ceux qui n’en mangeaient jamais puissent y accéder de temps en temps. Au nom de quoi refuserions nous la « poule pour le dimanche » aux Africains ? Cela suppose donc de ne pas trop augmenter la taille du cheptel mondial, et de le répartir autrement sur la planète. Nettement moins en Nouvelle Zélande, aux Pays-Bas… et en Bretagne, davantage en Asie et en Afrique en particulier.
De fait, en Europe, nous avons pratiquement atteint notre quota de ruminants, compte tenu des prairies disponibles, et les conséquences du réchauffement de la planète font qu’elles produiront moins d’herbe et de foin à l’avenir, comme nous avons pu le constater avec les sécheresses de l’été 2022. Toute nouvelle vache qui est ajoutée au troupe est donc rapidement, ou au moins partiellement, transformée en granivore et mange du maïs et du soja d’Amérique latine. Ceci, entre autres, provoque plus de déforestation en Amazonie.
Dans de nombreux pays du Sud, l’introduction de nouvelles chèvres accentue le surpâturage et transforme progressivement les savanes en désert ; à titre d’exemple, le Sahara ne cesse de gagner sur le Sahel, le désert de Gobi envahit la Mongolie et la Chine, et l’Australie se désertifie entièrement. Dans toutes ces régions il convient donc de ne trop pas augmenter la taille des troupeaux… sans même parler des émissions de méthane qui réchauffent la planète.
On peut probablement aussi avancer que la planète ne peut pas supporter beaucoup plus qu’un milliard de cochons. Heureusement, il reste quelques marges de manœuvre pour les animaux qui ont le meilleur taux de rendement dans la transformation de protéines végétales en protéines animales : les volailles et les poissons d’élevage, eux-mêmes en partie nourris avec des insectes.