Le prix mondial du riz à très fortement augmenté en 2023 et particulièrement au mois d’août. Il est maintenant à son niveau de prix d’il y a 15 ans, lorsqu’il y a eu des émeutes de la faim dans 36 pays du monde. Tout cela alors que l’Ukraine ne produit pas 1 g de riz, que la production mondiale 2023 est plutôt bonne et que les stocks mondiaux sont abondants. C’est du côté de la politique intérieure de l’Inde qu’il faut en chercher la cause. Et ceux qui vont en pâtir sont fort nombreux, en Afrique et en Asie. Malheureusement la faim dans le monde va encore augmenter…
Voir aussi l’interview sur le même sujet à la télévision suisse.
On l’avait écrit dès octobre 2022 : « Le riz sera plus rare et plus cher en 2023 »… et on est vraiment désolé de voir cette dure réalité : le prix mondial du riz a augmenté de 30 % depuis le début de l’année, avec une brusque accélération pendant l’été (+9,8% en aout 2023, d’après la dernière actualisation de l’Indice FAO des prix des produits alimentaires). Ce prix est dorénavant au plus haut depuis 15 ans, depuis l’année 2007 et ses émeutes de la faim dans 35 pays du monde !
On y lisait : « selon USDA (United States Department of Agriculture), la production de riz devrait baisser en moyenne de 2 % par an, en raison de l’évolution climatique… En fait, sur les 142 millions d’hectares de rizières en Asie, on estime que 16 millions sont menacés par la salinité, 22 millions par les inondations, et 23 millions par la sécheresse, et certaines parfois par les 3 successivement ! Par exemple, plus de la moitié du delta du Mékong au Vietnam, où vivent 17 millions de personnes qui assurent 50 % de la production agricole du pays, devrait être inondée en 2050… ».
Le paragraphe suivant n’a malheureusement pas pris une ride : « Chez nous, l’enjeu est relativement faible, puisque nous n’en mangeons qu’un peu plus de 5 kilos par personne et par an, bien loin de la moyenne mondiale qui est à 60 kilos. Dans certains pays, le défaut d’approvisionnement peut être carrément vital. Songeons que les Birmans, les Thaïlandais et les Vietnamiens en mangent plus de 180 kg/habitant/an, les Bengalis 160, les Malgaches 140, les Chinois 90 et les Indiens 65… et ils sont très nombreux ! »
Bien sûr on a eu de nombreux incidents climatiques : canicules, sécheresses et inondations successives, qui ont durement touché nombre de rizières en 2022/2023). Mais aussi des conséquences directes de la guerre en Ukraine : fort renchérissement du prix des engrais qui a freiné leur utilisation, entrainant des pertes de rendement, et relative substitution du blé au riz là où les défauts d’exportation des blés de la Mer Noire ont durement frappé.
Mais un fait nouveau est venu s’ajouter : les effets des prochaines échéances électorales en Inde, qui va voter début 2024, alors que la popularité du gouvernement Modi commence à être fortement affectée par la reprise de l’inflation, qui touche en particulier les produits alimentaires, lesquels constituent près de la moitié des dépenses des indiens.
Les politiciens indiens savent qu’en 1980 c’est grâce à la « crise de l’oignon », un ingrédient très présents dans la cuisine locale, qu’Indira Ghandi et son parti du Congrès sont revenus au pouvoir au détriment du parti Janata, tandis qu’en 1998 ce même parti (BJP) l’avait perdu dans la capitale Delhi.
Or cette année 2023, à cause des intempéries, l’Inde a déjà connu une sévère crise de la tomate : son prix a été multiplié par 7 en quelques jours ! Puis une nouvelle crise de l’oignon a menacé, provoquant des importations massives (et subventionnées). Narandra Modi a alors estimé qu’il ne pouvait pas en plus se payer une crise du riz, et a décidé brusquement un embargo sur les exportations, afin de protéger le pouvoir d’achat des classes populaires.
Cette décision a des conséquences planétaires. Pour bien comprendre, il faut prendre du recul. Commencer par ne pas confondre les plus gros producteurs et les plus gros exportateurs. Deux pays dominent plus de 50 % la riziculture mondiale : la Chine et l’Inde, mais pour l’essentiel il s’agit pour eux de nourrir leur propre population, pas celle des autres pays. La Chine n’exporte pratiquement jamais ; mais elle importe relativement souvent tellement elle a peur de manquer et ses stocks sont de loin des plus importants dans le monde (le souvenir des famines passées y est encore très présent).
L’Inde, elle, hors période électorale, exporte une partie de sa production, faisant en quelque sorte fi de la malnutrition qui continue à y faire de véritables ravages… D’après la Banque mondiale, « le taux de malnutrition infantile y est pratiquement cinq fois supérieur à celui de la Chine et deux fois plus élevé qu’en Afrique subsaharienne. Environ 60 millions d’enfants (soit pratiquement la moitié de cette population) présentent un déficit pondéral, 45 % ont un retard de croissance, 20 % souffrent d’émaciation, 75 % sont anémiques… ». Ceci ne l’empêche pas d’exporter de 10 à 22 millions de tonnes de riz par an ! C’est le plus grand pays exportateur pratiquement chaque année !
On commence l’année avec 200 millions de tonnes de réserves de riz dans le monde, situées en particulier en Chine, mais le plus probable est que personne ne touchera à ses réserves pour fluidifier le marché. En la matière, chacun pour soi !
Notons que la France, elle, est un nain en matière de riz : elle produit « un peu » de riz (en Camargue principalement, soit environ 70 000 tonnes, et en importe de l’ordre de 560 000 tonnes ! Et sa population est parfaitement capable de payer ses 5 kilos de riz consommés annuellement un peu plus cher…
Il n’est est pas du tout de même pour l’ouvrière du Bengladesh, qui consacre 80 % de son maigre salaire à acheter ses 160 kilos annuels de riz, et qui n’a pas d’autres solution pour se nourrir…
Quand au paysan de Madagascar, qui lui aussi consomme 140 kilos, il est la plupart du temps obligé d’acheter du riz, faute d’en produire en quantité suffisante pour nourrir sa famille. Car la productivité de cette culture dans son pays est malheureusement restée très faible : en moyenne seulement 25 quintaux par hectare de rizière, et elle a très peu progressé en 70 ans (dont 63 d’indépendance), alors que la moyenne mondiale est, elle, passée à 47 quintaux (chiffres FAO) et que l’Égypte en est maintenant à 96 quintaux et la Chine à 70…. Reste à expliquer ce qui bloque pour vraiment moderniser l’agriculture malgache…
A court terme, rendons-nous compte qu’au-delà des difficultés liées au changement climatique, qui restent encore largement à venir malheureusement, en 2023/2024, les élections indiennes risquent d’améliorer (ponctuellement et un peu) la nourriture des indiens les plus pauvres, mais de faire progresser notablement la faim dans des pays comme le Bangladesh et Madagascar, mais aussi l’Irak, le Sénégal, le Niger ou le Burkina Faso…
Mais à long terme, la planète continue à se réchauffer et ses ressources à s’épuiser. Alors que la population de l’Inde vient de dépasser celle de la Chine, sur un territoire nettement plus petit, on ne sait toujours pas comment on pourra nourrir en 2050 les 1 650 millions d’indiens qui s’annoncent, avec à leurs côtés 360 millions de pakistanais et 202 millions de bengalis… pas plus que les 444 millions de nigériens, et d’une manière générale les 2 475 millions d’africains (un continent qui n’en comptait que 250 millions en 1950 !).