(On croit que…) la nourriture est chère : commençons par boire de l’eau du robinet !

Beaucoup de gens « croient » que la nourriture est chère, ce qui n’est qu’un impression comme je l’ai développé dans un article récent : Votre nourriture est-elle trop chère ? L’actualité récente permet de se reposer la question : pourquoi donc alors choisissons-nous si souvent de payer en moyenne 65 fois plus cher notre eau, en préférant l’eau minérale à l’eau du robinet, tout en produisant 360 fois plus de gaz à effet de serre via les emballages et le transport ? Car on découvre que, finalement, elle n’est en général pas meilleure !

Un réflexe dont on peut légitimement contester l’utilité !

Une enquête du journal Le Monde révèle en effet un secret bien gardé : des pratiques trompeuses à grande échelle, avec la complicité des pouvoirs publics, sur les eaux en bouteille : « pendant des années, des eaux vendues comme « de source » ou « minérales naturelles » ont subi des techniques de purification interdites. Un tiers au moins des marques françaises sont concernées, dont celles de Nestlé, qui a reconnu ces pratiques ».

En fait, malgré tout ce que nous assènent les campagnes de publicité, les sources qu’exploitent ces grosses sociétés sont parfois polluées, ce qui les oblige souvent à faire de la purification avant l’embouteillage, en particulier via des techniques de microfiltration jusque-là interdites par la loi… Laquelle loi a du coup été récemment et discrètement assouplie pour couvrir ces mensonges, au nom de la poursuite d’activité et de la sauvegarde de l’emploi.

Une belle occasion de faire le point sur ce breuvage si essentiel à la vie.

  L’eau est, de loin, notre premier aliment

Comme je l’ai écrit au chapitre « Les boissons » de mon ouvrage « Manger tous et bien », le premier aliment de l’homme, c’est l’eau. Notre corps est composé de 60 % à 70 % d’eau, selon la morphologie. Le sang en contient 92 %, le cerveau et les muscles 75 %, et même les os 22 %. Entre autres fonctions, l’eau maintient le volume du sang et de la lymphe, fournit la salive, sert de lubrifiants pour les articulations, les yeux, le nez et le vagin, maintient la température du corps, permet les réactions chimiques dans les cellules, l’activité du cerveau, l’absorption et le transport des aliments, l’élimination des déchets, l’hydratation de la peau, etc.

Comme on perd environ 1,5 litre par jour par l’urine et autant à travers la sueur, les selles et la respiration, et davantage par temps chaud, quand on fait beaucoup de sport (1 litre par heure d’entraînement intensif), en cas de maladie (particulièrement lors des diarrhées ou vomissements) ou pendant l’allaitement, il faut impérativement compenser les pertes très régulièrement. L’alimentation fournit une partie de nos besoins puisqu’une bonne proportion de ce que nous absorbons, en particulier des fruits et légumes, est constituée d’eau. Il reste en moyenne entre 1,5 et 2,5 litres d’eau à boire quotidiennement en direct, sous forme de bouillons, boissons chaudes ou froides et, évidemment, d’eau potable. Sans manger mais en buvant, un homme survit quarante jours sans effort physique. Sans manger ni boire, il meurt en trois jours.

Une autre manière de compter consiste à considérer que nous avons besoin d’au moins un millilitre d’eau pour chaque calorie que nous dépensons. Une femme qui dépense 2 000 calories doit consommer au moins 2 litres d’eau quotidiennement et un homme 2,5 litres. Si on ne le fait pas de façon régulière, on risque la déshydratation. Avec un corps dont le taux d’hydratation est inférieur de 1 % à la normale, on a extrêmement soif, la bouche et la gorge sèches ; puis arrivent la sécheresse de la peau, les maux de tête, les étourdissements, l’intolérance à la chaleur, le manque d’énergie, des crampes et l’urine foncée ; à 5 % en dessous de la normale, la fièvre se déclenche, avec une difficulté à avaler, des confusions et les délires ; à 10 % d’eau, on devient bleu et incapable de marcher.

Il faut donc prendre l’habitude de boire tout au long de la journée, et particulièrement entre les repas : quand on est actif, on a le temps de perdre beaucoup d’eau avant d’être gêné. À cause de leur métabolisme fragile, les personnes âgées y sont plus sensibles ; elles ressentent moins la soif que les adultes, et en cas de grande chaleur elles ont besoin qu’on les aide à penser à s’hydrater. Les enfants sont aussi particulièrement à risque, et en période de chaleur, une simple diarrhée peut leur être fatale. Certaines observations laissent croire que les enfants mal hydratés apprennent plus difficilement en classe et sont plus enclins à l’asthme et au diabète de type 2.

Toujours commander un verre d’eau avec sa tasse de café, et même son bol de thé, parce que leur digestion déshydrate en fait ! 

À l’inverse, nous prenons souvent par erreur un signal de soif pour un signal de faim et avons tendance à grignoter quand notre corps a juste besoin de liquides. D’où le fait que, dans beaucoup de régimes amaigrissants, on conseille de boire beaucoup, pour aider à éprouver un sentiment de satiété et diminuer ainsi le désir de manger. Attention, les boissons caféinées comme le café, le thé et les colas ainsi que l’alcool déshydratent le corps, car ils utilisent plus d’eau pour les traiter qu’ils n’en fournissent. Boire de l’eau reste le meilleur moyen de rester hydraté !

Ce simple geste, boire de l’eau pure, conditionne très largement l’habitat, lequel ne peut s’envisager, sauf situations très exceptionnelles, ailleurs qu’à proximité immédiate d’un puits, d’une source ou d’une rivière, ce qui provoque énormément de conflits locaux sur la planète. (Voir par exemple mon dossier récent sur l’eau, vu sous l’angle de la nourriture).

Une part importante de l’humanité ne dispose pas d’eau potable

D’après les Nations-Unies, plus de 2 milliards de terriens n’ont toujours pas accès à l’eau potable, et le fait de boire de l’eau impropre à la consommation peut être « à l’origine de la transmission de maladies telles que la diarrhée, le choléra, la dysenterie, la fièvre typhoïde et la poliomyélite, et on estime qu’elle entraîne chaque année 505 000 décès consécutifs à des maladies diarrhéiques ».

L’action contre la faim commence très souvent par l’action contre la soif…

Mentionnons en particulier la situation dramatique des réfugiés et des populations de pays en guerre ou soumises à des catastrophes naturelles. On a vue récemment en Ukraine et à Gaza comment l’approvisionnement en eau devient un outil de guerre à part entière. La première action des ONG qui arrivent dans les zones sinistrées est bien souvent de fournir de l’eau avant d’apporter de la nourriture, car on meurt beaucoup plus vite de soif ou de diarrhées que de faim !

Heureusement en France, ce problème n’existe pratiquement plus et nos villes et villages proposent tous de l’eau courante et potable, un progrès considérable quand on pense qu’après-guerre, on faisait encore couramment la queue devant l’unique puit dans de nombreux villages avec ses seaux… pour y prélever une eau absolument pas contrôlée.

  En France on a l’eau courante, mais on a peur de sa contamination

Dans les pays riches, ce sont plutôt les dégâts de l’agriculture intensive qui préoccupent dorénavant. En France, plus de la moitié du territoire national est classée en zone vulnérable car l’eau y affiche plus de 40 mg de nitrates par litre. Selon un rapport de l’Académie des sciences de 2006, 90 % des eaux de surface contiennent jusqu’à 148 pesticides et 58 % des eaux souterraines en contiennent jusqu’à 62.

Unité d’ultrafiltration de l’eau potable. Source : Wikipedia

Pour améliorer la qualité de cette eau supposée être potable, on utilise des mélanges d’eaux, ou des filtrations, ultrafiltrations (pores de 0,01 micromètre), ou même nanofiltrations (0,001 micromètre). Tout cela coûte très cher, mais c’est plutôt efficace. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) veille au grain et fournit des rapports réguliers sur ce sujet ; d’ailleurs undefinedles contre-pouvoirs existent, tels ceux des associations de consommateurs qui renseignent régulièrement sur la qualité de l’eau, commune par commune.

L’académie des sciences, elle, n’est aucunement alarmiste, et note dans son dernier rapport que « l’amélioration constante de l’état général de santé des populations semble indiquer que la qualité des eaux ne fait pas redouter de grands dangers dans ce domaine. Cependant la croissance du nombre des cancers, des maladies auto-immunes et autres, invitent à la prudence… ».

Restons évidemment prudents, car on ne recherche pas tout en permanence, et on a parfois de mauvaises surprises. Dernièrement on a découvert par exemple dans de nombreux échantillons la présence de « métabolite de chlorothalonil R471811 ». Ce dernier est issu de la dégradation dans l’environnement du chlorothalonil, un fongicide interdit en Europe depuis 2019 et en France depuis 2020… Mais aussi d’explosifs, d’herbicides, de solvants, etc. Sans oublier les traces de nos antibiotiques, antidépresseurs, contraceptifs, anti-douleurs, qui ne font que passer par nos organismes et que les stations d’épuration ont du mal à éradiquer complètement…

Mais… n’oublions pas que, malgré tout, l’espérance de vie continue d’augmenter de 3 à 4 mois par an dans notre pays. Notre eau et notre nourriture ne doivent pas être si gravement empoisonnées que ça ! Il y a de tout dans tout, c’est la dose qui est dangereuse, et il convient de ne pas céder à la panique : les méthodes d’analyses ne cessent de progresser et on détecte maintenant des quantités infimes qui passaient « sous le radar » auparavant, ce qui provoque parfois des scandales de peu de fondement. Rien de prouve que la qualité de nos eaux et de notre nourriture se dégrade vraiment !

Toutes les solutions de substitution à l’eau du robinet sont chères, et en général pires

Nombreux sont ceux qui ont dorénavant peur de boire de l’eau du robinet, estimant qu’elle a mauvais goût ou qu’elle menace leur santé. On recherche un meilleur goût (absence de chlore, goût naturel, addition de gaz carbonique naturel pour 18% des eaux minérales en France) et/ou on croit à une hypothétique réputation diététique.

Est-ce bien utile de dépenser pour acheter ces eaux ? Pourtant on est bien nombreux à le faire !

Le marché mondial des eaux en bouteilles est devenu absolument gigantesque : de l’ordre de 600 milliards de litres par an, pour 300 milliards de dollars ! Cette solution peut sembler logique dans les pays où on ne fait pas confiance à l’Etat, comme le Mexique (recordmen du monde, avec 244 litres par habitant et par an, sans compter qu’ils sont également les plus gros consommateurs mondiaux de Coca Cola !). D’ailleurs, quand j’habitais dans ce pays dans les années 70, nous faisions bouillir une marmite d’eau pendant 20 mn tous les soirs pour nous prévenir des maladies en buvant de l’eau dont nous espérions qu’elle serait ainsi purifiée un minimum !

Le gigantesque marché mondial des eaux en bouteille en 2021 Source : Les Echos

En France, où pourtant on a une administration, une police et une justice qui fonctionnent, on achète en moyenne 132 litres par personne et par an, soit 9 milliards de litres au global. Il se vend 158 eaux différentes en France : 78 eaux minérales naturelles, 74 eaux de source, et 6 eaux rendues potables, pour environ 13 milliards d’euros annuels. Cet enjeu économique énorme explique la prudence de l’administration pour ne pas sanctionner trop rapidement et trop publiquement les producteurs qui filtrent l’eau malgré la réglementation, d’autant plus que cette pratique n’aggrave pas les risques de santé publique !

La situation est encore pire chez certains de nos voisins, comme l’Allemagne, où on n’arrive pas à obtenir de carafes d’eau dans les restaurants et où l’eau gazeuse fait fureur. Notons également la toute-puissance du lobby des boissons gazeuses qui a réussi aux USA de repousser de plusieurs années l’application d’une loi obligeant les cantines scolaires à fournir une carafe d’eau aux gamins !

Les régions françaises les plus consommatrices sont aussi celles où l’agriculture est intensive, comme la Picardie, le Nord-Pas-de-Calais ou la Bretagne… Logique ! Ou celles qui jouissent de plus haut niveau de vie comme la région parisienne.

Sans compter que boire de l’eau en bouteille de plastique nous fait absorber plein de particules nocives pour la santé, à l’opposé de la « promesse » de santé des vendeurs d’eau minérale !

Pourtant, malgré la publicité agressive, on ne peut pas affirmer catégoriquement que l’eau minérale soit toujours très bonne pour la santé ; les nutritionnistes suggèrent d’ailleurs de ne pas en boire plus d’un demi-litre dans une même journée…

Notons d’ailleurs que ce modèle génère sa propre fin avec la baisse des précipitations due au réchauffement climatique : la plupart des marques sont maintenant contraintes de diminuer leurs prélèvements, au moins pendant l’été. Idem pour les boissons gazeuses : pour produire 600 millions de litres de la célèbre boisson gazeuse, l’usine Coca Cola de Grigny puise 750 000 M3 d’eau par an dans la nappe phréatique, soit la consommation d’une ville de 15 000 habitants. La ville lui a enjoint de cesse de puiser elle-même dans la nappe pour s’approvisionner avec l’eau de la ville, qui lui sera dorénavant rationnée l’été !

On en peut pas impunément donner à boire à des dizaines de millions de personnes à partir de seulement quelques sources !

Cette consommation massive, non seulement coûte très cher au consommateur (qui se plaint par ailleurs du coût de sa nourriture !), mais en plus représente un véritable désastre pour la planète. Toutes ces bouteilles en plastique à usage unique représentent un facteur de réchauffement non négligeable et de pollution catastrophique, et les bouteilles en verre ou en carton ne valent guère mieux. Heureusement la gourde en métal de notre enfance revient au goût du jour pour les déplacements… Et, cerise sur le gâteau, on apprend maintenant que cette eau contenue dans ces bouteilles vendues hors de prix était souvent polluée au départ et a été filtrée comme une vulgaire eau du robinet ! Tout ça pour ça !

L’eau qui sort de cette carafe est en général de moins bonne qualité que l’eau qu’on y met !

Mais les autres alternatives ne sont guère plus performantes. On a par exemple en France un véritable engouement pour l’eau filtrée, soit au robinet, soit via une carafe filtrante. Ces carafes filtrent le calcium, qui est justement un élément indispensable qu’il vaut mieux boire, en revanche, elles ajoutent en général de l’argent indésirable (contenu dans leurs cartouches). Leur problème essentiel vient du fait qu’elles transforment de l’eau courante en eau stagnante, à température ambiante, dans un endroit où beaucoup de microbes circulent, la cuisine. Des essais faits en conditions « normales de vie de famille » par le magazine Que choisir en mai 2010 démontrent que, dans tous les cas, l’eau sortant de la carafe a beaucoup plus de microbes que celle qui y est rentrée ! Pour avoir un effet maximum, il faudrait changer la cartouche toutes les semaines, et stocker la carafe dans un endroit frais loin de la cuisine, ce qu’évidemment personne ne fait !

Arrêtons également la fâcheuse habitude de gens pressés qui se préparent un thé ou un café avec l’eau chaude de leur robinet ! Toute personne qui a vu l’intérieur d’un ballon d’eau chaude, plein de boues au bout de quelques années d’utilisation, comprend qu’il ne faut boire que l’eau froide de son robinet (et après l’avoir fait couler un peu le matin ou au retour des vacances), mais jamais, jamais, l’eau chaude !

Cette habitude de se souhaiter « bonne santé » en trinquant avec un verre de boisson alcoolisée ou sucrée est un non-sens : ce n’est jamais un bénéfice de santé que de le boire, même un seul verre ! Source : Wikipedia

Et ne parlons pas des boissons gazeuses hyper sucrées, un véritable désastre pour la santé (et le portefeuille). Ou du vin et de la bière, en rappelant que l’alcool cause encore environ 50 000 morts par an en France !

Bref, revenons autant que possible à l’eau du robinet, et exigeons des pouvoirs publics un contrôle absolu sur sa qualité ! Et réservons progressivement la consommation d’eau en bouteilles aux situations exceptionnelles (gros orages, inondations, pollutions accidentelles, etc.), en veillant à recycler les bouteilles.

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
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