La Guadeloupe peut-elle atteindre l’autosuffisance alimentaire ?

Lors d’un récent voyage en Guadeloupe, j’ai pu constater que la dépendance alimentaire de cette ile était considérable : elle achète 80 % de sa nourriture… comme la plupart des DOM et TOM. Et tous les politiques locaux réclament des mesures fortes pour corriger cet état de fait. Y parler d’autonomie alimentaire est évidemment irréaliste, mais on peut néanmoins faire mieux !
 

De nombreux pays achètent leur nourriture à l’extérieur

Il n’y a qu’un petit nombre de régions du monde qui sont favorables à l’agriculture intensive, et en particulier à la production de céréales, riz, blé et maïs, base de l’alimentation dans la plupart des régions du monde.

Parmi celles-là, certaines se contentent de nourrir leur propre population, très nombreuse, et donc n’exportent pratiquement rien. C’est le cas de la Chine, premier producteur mondial de riz et de blé, mais qui s’en sert intégralement pour nourrir ses 1,41 milliard de chinois, et de l’Inde, deuxième producteur, mais pour nourrir les 1,43 milliard d’indiens.

Donc, les pays qui produisent de façon significative et sont en plus capables d’exporter, sont fort peu nombreux ; pour le blé ce sont la Russie, l’Union européenne (dont la France pour une bonne part), les USA, le Canada, l’Ukraine, l’Argentine, le Pakistan, la Turquie et l’Australie… les bonnes années, car il arrive peu souvent que la récolte soit au top dans chacune de ces zones. Pour le riz, il s’agit de l’Inde, du Pakistan, du Vietnam, de la Thaïlande et des USA. Pour le maïs, on trouve les Etats-Unis, le Brésil, l’Argentine et l’Ukraine.

Un tout petit nombre de pays, dont le nôtre, ont finalement pouvoir de vie et de mort sur une partie importante de la population mondiale, particulièrement en période de crise…

A l’inverse la liste des pays qui dépendent des autres pour se nourrir est fort longue. Y compris du côté des pays riches.

Densité de population au Japon… Il ne reste de la place que pour quelques rizières, mais pas pour les fruits et légumes ou l’élevage !

Le Japon, par exemple, est totalement incapable de nourrir à partir de ses terres ses 125 millions de japonais (dont 37 dans la seule agglomération de Tokyo !). Mais on n’est pas inquiet pour lui, car c’est un grand pays industriel qui a et aura largement assez de produits attractifs pour pouvoir se payer sa nourriture : échanger Toyota, Canon ou Uniqlo contre des fruits et légumes, ça peut continuer longtemps ! Notons cependant que leur nourriture est à base de poisson et de riz ; or l’océan Pacifique est grand, la taille de la flotte de pêche nipponne également (et elle n’hésite pas à sillonner les autres océans en plus), et, en matière de riz, il s’agit d’une véritable priorité nationale : sa riziculture est très efficace (et largement subventionnée !).

Il n’y a pas non plus lieu d’être inquiet pour la Corée du Sud, la Suisse ou même l’Angleterre (il n’est pas sûr que les anglais qui ont voté pour le Brexit aient tous réalisés que les paysans de leur pays ne pouvaient pas les nourrir intégralement !).

Du côté du Sud, L’Égypte peut se nourrir avec les revenus du canal de Suez et l’Algérie avec ceux du pétrole ; le Bangladesh vend à bas prix sa main d’œuvre pléthorique employée dans l’industrie textile. C’est quand il n’y a pas grand-chose à vendre que la situation devient carrément dramatique, comme en Haïti ou à Madagascar.

Même en France, grands pays agricole exportateur, la plupart des régions ne sont pas autonomes

C’est à la mode en France « métropolitaine » de lancer des plans alimentaires régionaux, voire municipaux. On fait miroiter à la population tous les avantages du « manger local ». Souvent un des arguments avancés est la lutte contre le réchauffement climatique, alors qu’au global le transport de la nourriture réchauffe beaucoup moins la planète que les méthodes de production ou de conservation des aliments, comme je l’ai détaillé dans l’article « Manger local ne suffit pas pour protéger la planète du réchauffement ».

Mais il y a un abyme entre les déclarations volontaristes… et la réalité : l’Ile de France ne peut absolument pas nourrir ses 12,3 millions de franciliens, pas plus que la Gironde ne peut nourrir les 800 000 habitants de l’agglomération bordelaise, ni l’Hérault les 500 000 habitants de Montpellier métropole ! Et si ces derniers tentaient de la faire, qui produirait le vin qui rapporte davantage que le blé ou les salades ?

Ceci n’empêche pas de faire des efforts, notamment sur les produits frais, particulièrement les fruits et légumes, qui gagnent souvent à être produits au plus près des villes qui les consomment.

Mais notre pays pour la nourriture s’appelle en fait… l’Europe ! A Madrid on mange du pain fait avec du blé de Beauce tandis qu’à Paris on mange des tomates d’Andalousie, et au final tout le monde mange à peu près à sa faim sur notre continent ! Notons d’ailleurs que le partage des tâches risque d’être remis en cause par les effets du réchauffement climatique : dans 20 ans il est probable qu’on mangera des tomates bretonnes ou normandes à Madrid comme je l’ai détaillé dans l’article : « Les tomates vont-elles passer de l’Espagne à la Normandie ? »

On peut se focaliser sur nos piètres performances dans certains secteurs, par exemple sur le fait que les importations de viande représentent 56 % de notre consommation de mouton, 22 % de bœuf, 26 % de porc et 45 % de poulet, ou 30 % de nos produits laitiers. En matière végétale, nous importons 28 % de nos légumes, 71 % de nos fruits et 63 % des protéines destinées à l’alimentation animale. Sans parler de 75 % de notre miel ! Mais, si on veut se fermer à tout ou partie des 75 milliards de nos importations agricoles, comment va-t-on faire pour maintenir nos 80 à 85 milliards d’exportations ? Nous sommes en fait un grand pays agricole exportateur !

Le commerce alimentaire de la France en 2023 Source : Agreste

Outre-mer, la dépendance alimentaire reste forte, et préoccupante

Il faut se rappeler que, du temps de la colonisation, on ne mangeait pas à sa faim en France et la société exportait ses aventuriers, puis ses pauvres, à travers le monde, munis de fusils, en leur disant en quelque sorte « trouve-toi une terre, débrouille-toi pour y produire de la nourriture (ou du minerai), et on te l’achètera ». Ceci a engendré massacres et déportations massives (rappelons que 35 000 bateaux ont déportés 14 à 17 millions d’Africains vers l’Amérique !). Et on a spécialisé des territoires entiers vers les « cultures d’exportation » : bananes, canne à sucre, coton, café, cacao, arachides, ananas, maintenant avocats et roses, etc.

Après la décolonisation, la France a gardé quelques « confettis » comme autant de porte-avions sur toutes les mers du globe… mais en gardant leur spécialisation. Les moissonneuses ont remplacé les esclaves dans les champs, mais on continue à produire plus de cannes à sucre (et de rhum) en Martinique, Guadeloupe ou à La Réunion que de tomates ou de céréales… Même si certains territoires ont une « utilité » complémentaire (les fusées en Guyane, le nickel en Nouvelle Calédonie, on n’ose réévoquer la bombe atomique en Polynésie…), et surtout le tourisme en profitant du soleil de contre saison (ce qui au passage aggrave fortement la dépendance alimentaire !).  Mais on n’y rencontre aucune industrie digne de ce nom, qui permettrait à ces territoires de prendre leur envol économique. Ni même de l’artisanat qui soutirerait des fonds aux touristes, comme le font des pays comme le Mexique, le Maroc ou l’Inde… ou la France métropolitaine avec toutes ses industries du luxe.

Cette dépendance est d’autant plus forte que la grande majorité du commerce continue à se faire avec la métropole : pour nourrir les cochons de Guadeloupe le maïs et le soja d’Amérique du sud font le détour par la Bretagne, et traversent donc deux fois l’Atlantique !

La Guadeloupe importe 82 % de sa nourriture, essentiellement depuis la métropole. Source : France-Antilles

Comme en général ces iles sont surpeuplées et que la densité humaine y est très forte, la situation perdure : les meilleures terres produisent des cultures d’exportations, jugées plus rentables, et il en reste assez peu pour se faire à manger soi-même… et pas assez pour réaliser de vrais efforts de productivité agricole. Et d’ailleurs les subventions de la France et de l’Union européenne vont d’abord au soutien de la canne et de la banane, et non vers l’agriculture vivrière !

Et de plus, comme toutes les terres tropicales, elles vont toutes être touchées de plein fouet pas les effets délétères du réchauffement climatique : ouragans, inondations, sécheresses, incendies, submersions marines, maladies, épidémies, etc., ce qui va rendre nettement plus difficile de progresser, ou même simplement de résister.

La récente destruction totale des cultures à Mayotte après le cyclone Chido montre également que rien n’est simple : si cette île avait tout misé sur l’autonomie alimentaire et coupé ses liens d’approvisionnement extérieurs, la famine aurait vite succédé au cyclone. Entre le risque de problèmes géopolitiques qui coupent les lignes maritimes et le risque climatique qui détruit les récoltes, il convient de trouver l’équilibre le plus juste…

La Guadeloupe peut progresser vers l’autonomie

Si on divise le nombre de terres cultivables par la population mondiale, il nous reste environ 0,2 hectares par terrien ; il faut donc impérativement arriver à se nourrir à cinq par hectares, et bientôt six (contre « seulement deux » dans les années 60) !

La Guadeloupe est densément peuplée : elle compte 380 000 habitants qui accueillent chaque année 1,2 millions de touristes. Même avec une excellente productivité elle ne possède tout simplement pas les environ 100 000 hectares agricoles qui lui seraient nécessaires pour qu’elle puisse se nourrir.

Car, si elle est relativement étendue, sur 163 000 hectares, elle est très urbanisée, avec un habitat très dispersé et consommateur de surfaces, et il faut en plus déduire les 80 000 hectares boisés, dont 17 000 hectares du parc national du volcan de la Soufrière.

Au delà des grandes installations touristiques, on voit qu’une bonne partie du territoire de la Guadeloupe est largement mité par des habitations, ce qui rend difficile l’accès au foncier pour faire de l’agriculture. Photo OK voyage

Au total il ne reste pas beaucoup de place disponible pour faire de l’agriculture : d’après le ministère de l’Agriculture (Agreste 2023) il n’y avait que 31 210 hectares de superficie agricole répartie entre 7 254 petites exploitations agricoles (en moyenne 4,4 hectares par exploitation). A peine le tiers de ce qui serait nécessaire, et en plus cette surface ne cesse de diminuer : entre 3 recensements, 2000 à 2020, l’ile a perdu près de 10 000 hectares agricoles utiles : l’urbanisation est en marche accélérée et l’accès des agriculteurs au foncier de plus en plus difficile.

12 000 hectares pour la canne à sucre, autant de moins pour l’agriculture vivrière ! Photoplus

Et là, on décide de continuer d’affecter à peu près la moitié des rares terres disponibles à faire de la canne à sucre (12 000 hectares), et de la banane (2 000), qui servent donc à générer des devises à l’exportation, plutôt qu’à nourrir la population locale (surtout si on rajoute le melon, largement exporté également).

Les terres et le climat n’étant pas propices pour faire des céréales, l’agriculture « utile à l’autonomie alimentaire » est consacrée à produire des fruits, légumes et tubercules, soit de façon « professionnelle », soit via des vergers familiaux, qui finalement totalisent à peine 5 336 hectares ! On peut rajouter les surfaces enherbées qui servent à l’élevage, mais il s’agit là d’un tout petit élevage.

Bref, c’est un choix, hérité certes du passé et motivé par les conditions économiques : en Guadeloupe on consacre très peu de surfaces à produire des aliments pour les guadeloupéens ! Il ne faut donc pas s’étonner que l’autonomie alimentaire de l’ile soit… faible : seul 20 % de la nourriture y est produite sur place !

En l’absence d’industries, il reste néanmoins prudent de conserver cette activité agricole apporteuse de devises… Pour ne pas dépendre uniquement des subventions françaises et européennes, et du tourisme et de ses emplois de services (hôtellerie, restauration, locations diverses, activités nautiques, etc.), qui, on l’a vu par le passé, peuvent s’arrêter du jour au lendemain en cas de crise sanitaire ou géopolitique…

La question est donc d’abord politique : que décide-t-on de faire des rares terres cultivables de l’ile… ou, en d’autres termes, quelle part pour l’expansion touristique et urbanistique, quelle part pour les cultures d’exportation et quelle part pour « se faire à manger soi-même » ? Et qui décide quoi en la matière ?

En corolaire, en métropole on a inventé la loi « zéro artificialisation nette » qui oblige les maires qui veulent construire à le faire sur des terres non agricoles, pour maintenir autant que possible les surfaces agricoles. Ce qui frappe le visiteur en Guadeloupe, c’est le mitage de tous les paysages par l’habitat. Y aurait-il une politique possible de densification de l’habitat : construire de petits immeubles plutôt que des maisons individuelles ? Et ce d’autant plus que, contrairement à beaucoup d’autres régions du monde, l’ile se dépeuple avec une immigration forte des jeunes qui préfèrent tenter leur chance en métropole. Elle est passée de 229 000 à 422 000 habitants dans la 2e moitié du XXe siècle, mais les projections ne prévoient « que » 241 000 habitants en 2070 ! La densité absolue (nombre d’habitants au Km2) va donc décroitre, mais si chacun consomme davantage de surface au sol, c’est perdu pour l’agriculture !

Il est curieux d’observer un double mouvement : les jeunes guadeloupéens veulent aller s’installer en Métropole, et l’île se dépeuple, pour revenir à la population des années 1950, tandis que chaque année les métropolitains rêvent plus nombreux d’aller passer des vacances en Guadeloupe ! Graphique de l’auteur à partir de données INSEE

De toute façon, si on veut produire davantage, la voie consistant à mettre davantage de terres en culture semble un peu illusoire. Il reste dont l’obligation de monter en productivité sur les rares hectares disponibles. Difficile certes, mais possible, car il existe de multiples marges de progression.

L’idée de se diversifier en produisant du lait sur place ne semble pas réaliste :  il n’y a pas une seule laiterie sur l’ile, et il faudrait alors changer totalement une économie pour une autre : une laiterie industrielle avec de multiples éleveurs de vaches (moins productives sous les températures tropicales) à la place d’une sucrerie industrielle avec plein de cannes à sucre autour, qui sont, elles, bien adaptées au climat !

Jardins potagers à La Havane. Source : Cubacoop

Mais pour les fruits et légumes, pourquoi ne pas s’inspirer par exemple… de Cuba, une ile proche qui jouit du même climat ! Du temps de l’URSS, il y avait un blocus très poussé de l’ile organisé par l’armée américaine, mais les bateaux russes passaient ! Ils venaient chercher du sucre, grande spécialité de l’ile, qu’ils troquaient contre du blé et des légumes russes. A l’effondrement de l’URSS, les bateaux se sont faits nettement plus rares, et les cubains ont eu peur d’avoir faim ! Qu’on apprécie ou pas le gouvernement local, on ne peut pas ne pas lui créditer deux réalisations incontestables : l’éducation et la médecine y sont très efficaces. Et les habitants de La Havane, bien éduqués, ont décidé de se prendre en charge en transformant tous les espaces disponibles en jardins potagers… bios bien sûr puisqu’aucun produit de Monsanto et Cie n’arrive dans l’île ! Résultat : cette ville de plus de 2 millions d’habitants a été en mesure de produire entre 45 et 100 % de ses légumes frais et jusqu’à 20 % du total national des produits frais, sur des milliers de fermes urbaines et de jardins communautaires.

Ce qui a été fait à La Havane, pourquoi ne pas le reproduire à Pointe à Pitre ?

Mais, si on réinvestit dans l’agriculture guadeloupéenne, pourquoi ne pas le faire avec les techniques de demain, qui marchent, au lieu de reproduire l’agriculture du XXe siècle ? Or, nous sommes au tout début d’une révolution agricole sans équivalent dans toute l’histoire de l’humanité : nous commençons à peine à comprendre la nature, et tout particulièrement les micro-organismes qui pullulent dans nos sols.

Rappelons qu’une seule cuillère à café de sol contient de nombreux individus de 400 espèces différentes de bactéries et 200 de champignons, et qu’on estime à 240 millions le nombre d’organismes présents sous un seul mètre carré de sol (acariens, collemboles, nématodes, protozoaires, lombriciens, etc.)

Jusque-là, notre ignorance nous poussait à deux pratiques finalement très primitives : le labour de plus en plus profond qui détruit toute la vie du sol, et l’épandage de produits chimiques délétères qui achève le massacre… Maintenant, les immenses progrès du « monde du silicium » (informatique, électronique et maintenant intelligence artificielle) commencent à peine à pouvoir démarrer la « vraie » révolution, celle du carbone, du vivant. On va enfin pouvoir commencer à passer de véritables alliances avec une Nature dont on va enfin faire la connaissance intime. Au lieu de travailler « au champ » on va pouvoir travailler au M2, et à la plante, et donc faire vraiment de l’agroécologie productive.

Cette agriculture hyper intensive en connaissances et en intelligences (humaines et artificielles) est tout à fait accessible en Guadeloupe, car elle ne nécessite ni de grands capitaux ni de grandes surfaces. Les forces de la nature sont décuplées dans les environnement tropicaux, et donc, si on les connaît finement, on peut en attendre beaucoup plus que dans les pays tempérés.

Mais il faut alors y privilégier le sans labour, les associations de plantes et l’agroforesterie, qui gagneraient à y être nettement plus développés, car ils ont largement fait leurs preuves ailleurs, à la fois dans les climats tempérés et tropicaux.

Pourquoi y a-t-il aussi peu de serres de productions de légumes ? On sait maintenant que la serre est un outil de productivité remarquable, en particulier pour la tomate (on y produit 4 à 5 fois plus de fruits à l’hectare), et nettement plus écologique, car elle permet de se protéger « naturellement » de nombre de prédateurs, d’organiser au mieux l’utilisation d’animaux auxiliaires de cultures (pour polliniser et lutter contre les insectes prédateurs), et d’économiser beaucoup d’eau, d’engrais, et la quasi-totalité des pesticides. Elle a certes un point faible dans les pays tempérés : il faut la chauffer l’hiver (mais on a des solutions esquissées dans cet article), et un autre dans les pays chauds : il faut l’aérer pour la refroidir, mais on y arrive très efficacement au Maroc, pourquoi pas en Guadeloupe…

30 bœufs « au piquet » à déplacer une par une quotidiennement sur les rives d’un barrage en Grande terre, on peut s’interroger sur la rentabilité d’une telle opération… Photo de l’auteur

Pourquoi en reste-t-on à l’élevage de bœufs ultra artisanal « au piquet » ? Le fil de fer barbelé et le fil électrique sont utilisés et appréciés dans le monde entier, pourquoi pas dans la grande terre ?

Le symbole pourrait en être la marque Moso Te La (« produit en Guadeloupe » récemment lancée par l’interprofession des fruits et légumes Iguaflhor. Pour inciter le consommateur à modifier ses achats, rien de tel qu’une promesse de qualité. Et, dans une île, encore plus qu’ailleurs, le plus puissant signe de qualité, c’est le produit local !

Pourquoi ne tente-t-on des circuits plus courts pour les approvisionnements, par exemple de la nourriture pour animaux, au lieu de tout acheter en métropole, à 7 000 km de Pointe à Pitre (des végétaux qui parfois ont déjà voyagé sur 9000 km depuis le Brésil !) ?

Pour progresser, l’existence d’interprofessions dynamiques, solidaires et innovantes est absolument indispensable : quand on souffre d’insularité et qu’on a peu de moyens, raison de plus pour s’unir !

Un exemple à suivre : la petite Guadeloupe bientôt plus forte que la grande Floride pour les orangers

Dans cette lutte pour remettre l’intelligence au cœur du processus de production, être une île de petite taille et relativement isolée ne constitue plus un obstacle insurmontable…

Il n’y a plus que l’Europe qui n’ait pas été frappé par la maladie, mais, comme l’insecte vecteur y est déjà installé, elle va y passer également ! Diapo Cirad Guadeloupe

Prenons un exemple exemplaire de succès « à la Guadeloupéenne » : les orangers. La production mondiale d’agrumes a été très fortement affectée dans les dernières années par une pandémie, la « maladie du dragon jaune, ou HLB, ou encore « cytrus greening ». Cette maladie bactérienne est transportée par un petit insecte : la psylle asiatique. Le malheur veut qu’une seule piqure d’un seul insecte suffit par inoculer la maladie à l’arbre, qui meurt alors par obstruction des canaux qui transportent sa sève. 80 % des orangers de Floride sont morts, une véritable catastrophe économique dans cet état américain qui était le plus gros producteur mondial. Pourtant ils n’ont pas lésiné sur la lutte, où ils ont investi plus d’un milliard de dollars, à leur manière, celle de la chimie industrielle : épandages massifs d’insecticides, pour tenter d’éliminer l’insecte vecteur, et injections massives d’antibiotiques, pour tenter de soigner les arbres infectés… En vain ! La pandémie est maintenant mondiale, de la Chine au Brésil, et donc, bien entendu, elle a touché la Guadeloupe, si proche de la Floride.

Les instituts de recherche français installés en Guadeloupe, Cirad et Inrae, ont repris le dossier sous un autre angle : comme on ne peut éradiquer totalement ni la maladie ni l’insecte vecteur, il faut apprendre à les connaître et à mieux vivre avec. Ils se sont alors efforcés de mieux comprendre la plante, ses points forts et faibles, ses cycles de vie, et aussi la maladie et l’insecte vecteur.

Et le symbole des résultats de leurs recherche est très emblématique : le sécateur !!!

On voit de nouveau des oranges dans les champs d’expérimentation du Cirad de Guadeloupe ! Photo de l’auteur prise lors de la réunion de février 2025 sur le plan de relance de la filière agrume

Ils ont multiplié les associations entre les arbres porte greffe (variétés très résistantes au climat et aux agressions venues du sol) et les greffons (arbres qui produisent des fruits savoureux), pour trouver la combinaison la plus résistante. Et en particulier ils ont trouvé une lignée de citronniers robustes qui produisent des fruits 12 mois sur 12 ! Puis ils ont radicalement modifié les itinéraires culturaux, en particulier en taillant impitoyablement les branches après chaque production de fruits, ce qui redonne à l’arbre une nouvelle jeunesse au moment où il est justement épuisé par le gros effort de la production de fruits. Ils ont arrêté de couper la végétation sous les arbres, pour ménager des abris pour les insectes prédateurs de la psylle… modifié les méthodes et périodes d’arrosage et le protocole d’enrichissement en engrais, testé les associations d’agrumes avec des bananiers et d’autres espèces pour obtenir de meilleures synergies, pour trouver un nouvel équilibre.

Au total, une mobilisation intense de l’ensemble de l’interprofession : chercheurs, pépiniéristes, agriculteurs, techniciens, commerçants, etc. pour faire un pas de côté et inventer de nouvelles voies agroécologiques permet maintenant d’espérer de façon réaliste de produire à nouveau des oranges en Guadeloupe dans les prochaines années. Bravo les artistes !

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
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