On inaugure à Nantes le 11 octobre 2014 un magnifique « composteur de quartier de nouvelle génération » conçu par les designers Laurent Lebot et Victor Massip (Agence Faltazi). Cet équipement, conçu comme du mobilier urbain se veut fonctionnel et…beau. Il intègre un banc et un auvent végétalisé, et peut être décliné en abribus. Mais surtout, il préfigure un autre rapport à la nature dans nos villes, et à cette occasion un réel enrichissement des rapports sociaux.
Pour garantir un compost de qualité, un « maître-composteur » ouvre le composteur à heure fixe (en général le samedi matin), et en profite pour faire de la sensibilisation, remuer et humidifier le compost (avec l’eau de pluie tombée sur l’auvent). Le banc est aussi une réserve de broyat de bois qui servira de structurant carboné au compostage.
Cette inauguration constitue un petit événement, à triple titre.
D’une part nos villes croulent sous les déchets, à un moment où les ressources naturelles se raréfient. Quand on y réfléchit, les déchets organiques que nous produisons en quantité (épluchures et restes de nourriture), que contiennent-ils : du carbone, de l’azote, de l’oxygène et de l’hydrogène principalement, « que du bon » quoi ! Pourquoi dépenser des fortunes pour les emballer, les collecter et les brûler, alors qu’ils pourraient tout aussi bien produire, presque gratuitement, de la bonne terre nourricière, et de l’excellent engrais pour nos jardins ? Il faut donc changer nos regards sur ce qui était autrefois considéré comme des déchets, sales et malodorants, pour le valoriser comme de la bonne matière première pleine de promesses d’avenir ! D’où l’importance accordée à l’intégration de cette fonction dans le paysage urbain. Si la population s’approprie un composteur « beau et ludique », et papote régulièrement autour de son banc ou sous son auvent, la fonction de compostage va s’anoblir.
D’autre part la production locale d’engrais est mise à disposition gratuitement. Elle ne peut qu’encourager le jardinage. Cette fonction devient absolument essentielle dans les grandes villes du Tiers-Monde, où les bidonvilles s’étendent de façon accélérée et où l’approvisionnement alimentaire devient de plus en plus problématique. La plupart des villes, africaines en particulier, sont encore relativement étendues et peu denses. Il y reste beaucoup d’espaces disponibles pour faire du maraîchage intensif, voire un peu d’élevage de volailles ou de lapins, nourris pour l’essentiel avec les restes alimentaires de la famille : les toits en terrasse, les arrière-cours, les balcons, les parcelles non construites et autres réserves foncières, les rives des fleuves, les zones inondables, sous les lignes électriques. Mais aussi tout simplement les bords des rues, avec de simples sacs de récupération ou des pneus remplis de terre le long des maisons (posés sur une étagère à 1,5 m du sol pour ne pas attirer les insectes du sol ou les poulets). Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) estime que 800 millions d’individus pratiquaient en 2012 l’agriculture urbaine, assurant 15 % à 20 % de la production mondiale de nourriture[1] ! Dans nos grandes villes françaises, la situation alimentaire est, fort heureusement, nettement moins critique, mais on reste néanmoins très loin de l’objectif gouvernemental de la consommation quotidienne de « 5 fruits et légumes par jour », en particulier dans les classes populaires, qui sont les plus menacées par l’obésité. L’objectif d’inciter les gens à produire eux-mêmes leurs légumes est central si l’on veut réellement progresser.
Mais surtout le tandem compost-jardinage communautaire constitue un acte important de socialisation, alors même que l’individualisme et l’intolérance ne cessent de déliter nos sociétés. Pour les jeunes par exemple, particulièrement les jeunes chômeurs, les jardins maraîchers sont une façon constructive de dépenser leur énergie, tout en gardant un rapport avec la terre – on sait tout ce qu’a apporté en la matière le mouvement des jardins ouvriers (ou familiaux, ou communautaires) dans les villes européennes. Par exemple l’abbé Jules Lemire, député-maire d’Hazebrouck et inventeur du concept, disait à la fin du xixe siècle (avec le langage fleuri de l’époque !) : « Les jardins ouvriers professent une vocation sociale et défendent un certain ordre social : s’ils permettent aux ouvriers d’échapper à leur taudis en profitant d’un air plus respirable, ils les éloignent aussi des cabarets et encouragent les activités familiales au sein de ces espaces verts. » On dénombre encore en France en 2014 quelque 120 000 jardins associatifs sur 750 implantations, qui sont au cœur d’une vie sociale intense (voir : www.jardins-familiaux.asso.fr ). À Nantes, par exemple, 800 foyers attendent d’accéder à une parcelle de jardin familial. Depuis 2008, le mouvement des Incroyables comestibles, né en Angleterre, renouvelle le genre par la création de potagers collectifs, dont les récoltes sont à partager gratuitement entre ceux qui en ont besoin et qui créent à cette occasion de multiples échanges interpersonnels (voir www.incredible-edible.info ).
C’est pourquoi ce modeste composteur EKOVORE est beaucoup plus qu’un simple mobilier urbain supplémentaire. Il représente un espoir renouvelé de mieux vivre ensemble, de réfléchir efficacement (et joyeusement) sur notre alimentation et notre rapport à la Nature, et de reprendre (un peu) l’initiative sur notre vie dans cette période de crise et de pessimisme !
[1] Voir le chapitre sur l’agriculture urbaine dans mon dernier ouvrage Faim zéro