Des scientifiques sont parvenus à modifier l’ADN des porcs pour les rendre plus résistants à la maladie de l’oreille bleue qui décime les cheptels et améliorer ainsi le rendement des élevages. De quoi s’agit-il et quels sont les risques sanitaires possibles de ces transformations ?
Le syndrome dysgénésique et respiratoire du porc (SDRP), est une maladie extrêmement contagieuse qui associe troubles de la reproduction chez les truies et respiratoires chez les porcelets (en plus d’une coloration des oreilles). Elle a tué des centaines de milliers de porcs dans les dernières années, particulièrement en Chine (qui est le premier producteur mondial de porcs), mais aussi en Europe et en Amérique du nord. Elle représente une véritable catastrophe dans les élevages et les pertes qu’elle induit se comptent par milliards de dollars.
Le virus infecte les porcs en utilisant un récepteur sur la surface de leurs cellules appelée CD163. Des chercheurs de l’Institut Roslin de l’Université d’Édimbourg ont utilisé des techniques d’édition de gènes pour retirer la petite partie du gène CD163 auquel s’attache le virus sans modifier le reste de la molécule et stopper ainsi la propagation de la maladie.
On voit bien dans ce cas précis qu’on ne peut pas raisonner de façon globale en parlant des OGM. Depuis des millions d’années, la Nature évolue en combinant les gènes de différentes plantes et de différents animaux. L’agriculture et l’élevage ont tenté d’accélérer ce processus depuis quelques milliers d’années ; on arrive ainsi à produire 10 tonnes de maïs sur un hectare au lieu d’une avec la téosinte des incas et mayas, ou 8 tonnes de blé au lieu d’une pour l’ancien triticum-épeautre, ou encore 8 000 litres annuels de lait par vache. Les scientifiques tentent maintenant d’accélérer le processus en manipulant directement les gènes. La vraie question à se poser est : quelle manipulation de quels gènes ? La Nature n’a jamais réussi à marier la carpe et le lapin, c’était donc très irresponsable de tenter d’implanter des gènes de poisson dans les fraises pour les rendre résistantes au gel, et probablement aussi d’introduire un gène insecticide dans du soja, mais ça ne l’est pas de croiser deux espèces de pomme de terre pour fabriquer une variété qui accepte de pousser dans des terres salées ! Et qu’en est-il de la fabrication de moustiques mâles au Brésil qui fécondent des femelles dont les larves ne peuvent plus se développer, ou ensuite voler pour piquer ?
Et là, en l’occurrence, il ne s’agit pas d’ajouter un gène extérieur, mais « simplement » d’en retirer un dans une espèce donnée. Gageons que si on arrive à appliquer un jour cette technique à l’homme pour le rendre insensible au cancer, on ne manquerait pas de candidats pour tenter l’expérience…
Bien sûr il y a peut-être des risques et il ne s’agit pas d’autoriser la production et la commercialisation de ces animaux sans avoir regardé très précisément si l’absence de ce gène a d’autres conséquences que celle d’empêcher le virus d’attaquer l’animal. Mais on est très loin de la représentation très Frankenstein qu’on se fait généralement des OGM.
On sait que les animaux traités aux antibiotiques ont rendu les consommateurs plus résistants encore à ces traitements, qu’en est-il pour les animaux génétiquement modifiés ?
Dans de nombreuses régions du monde, les élevages « industriels » abusent effectivement de l’usage d’antibiotiques, pour des effets curatifs, puis simplement préventifs, et même simplement pour stimuler la croissance des animaux ! On utilise maintenant bien plus d’antibiotiques dans les élevages que pour les hommes. Résultat : d’une part les risques d’allergie augmentent, et d’autre part on sélectionne et développe les bactéries résistantes à ces antibiotiques, ce qu’on appelle l’antibiorésistance. Au final, lorsque nous contractons une maladie due à ces bactéries antibiorésistantes, la médecine n’a plus d’arme pour nous soigner.
En revanche, à ce jour, bien que l’utilisation d’OGM soit absolument massive en dehors de l’Europe (elle concerne 75 % du coton et 83 % du soja produit dans le monde et couvre une surface équivalente à neuf fois la superficie agricole française), on n’a, à ce jour, relevé aucun problème de santé humaine liée à cette consommation. S’il n’y a pas d’OGM cultivés en France, on peut néanmoins dire que tous les Français en portent sur eux et en mangent indirectement à travers les poulets, cochons et veaux qu’ils consomment… Et ils n’en ont pas été malades.
Surfaces OGM dans le monde en 2014
Rappelons au passage qu’il y a effectivement deux produits de l’agriculture qui sont vraiment dangereux : le tabac qui tue 79 000 français par an et l’alcool qui en tue 49 000 ! Sans oublier le sel, le sucre, et les matières grasses dont l’abus est en tout point dramatique pour notre santé. Il n’est pas exclu qu’un jour certains OGM provoquent des catastrophes sanitaires, mais pour le moment ce n’est pas le cas, contrairement à ces autres produits.
Les consommateurs sont de plus en plus réticents à l’égard des produits génétiquement modifiés ou traités par des produits chimiques. Cette avancée scientifique significative peut-elle réellement s’imposer aux consommateurs ? La qualité de cette viande de porc sera-t-elle de même niveau au plan nutritionnel ? Les mauvaises conditions de développement possibles pour ces porcs peuvent elles leur faire contracter de nouvelles maladies, pouvant par extension impacter l’homme ?
On peut effectivement remarquer que les consommateurs, en particulier européens, sont très réticents à l’idée de manger des produits OGM, ou contenant des résidus de produits chimiques. C’est que dorénavant ils ont le choix et ils n’ont plus peur d’avoir faim donc ils peuvent se permettre de sélectionner ce qu’ils veulent manger. Ce sont pourtant les mêmes qui, une fois rendus à l’hôpital, quand ils ont peur ou qu’ils ont mal, plébiscitent la chimie, ou les OGM qui sont omniprésents dans les nouveaux médicaments (on appelle alors ça pudiquement du génie génétique !)… ou qui mangent avec appétit des nectarines, issues d’un croisement peu naturel de la pêche avec l’abricot, et voient avec sympathie le mulet (fruit des amours incestueuses de l’âne et du cheval), ou le chien-loup…
On peut observer qu’aux États-Unis, la plupart des gens accepte parfaitement de manger directement du maïs OGM, considèrent finalement que c’est un maïs comme les autres et ne demandent pas à ce qu’il soit spécialement étiqueté. En revanche ils sont horrifiés à l’idée de manger un fromage pourri comme le roquefort.
Dans ce cas qui nous occupe, il s’agit là de produits beaucoup moins agressifs dans lequel on n’a pas rajouté des gènes extérieurs à une plante ou un animal mais on a simplement retiré un gène qui posait problème. Et, même s’il conviendra de le vérifier, rien ne peut laisser penser a priori qu’on aura une baisse de la qualité nutritionnelle ou un danger spécifique pour le consommateur. A terme, on ne peut donc pas savoir si ces produits vont se banaliser, l’attention et les inquiétudes des citoyens se portant progressivement sur d’autres questions.
En revanche, si les porcs sont moins souvent malades, parce qu’on les aura gavés d’antibiotiques et qu’on aura immunisé en retirant tel ou tel gène, la tendance à l’industrialisation de l’élevage ira croissante. On voit déjà des élevages de 10 000 ou 20 000 vaches laitières ou de 100 000 poules, pourquoi pas 50 000 truies sous le même toit ? Et dans ces cas-là, forcément, on verra apparaître d’autres maladies ou d’autres catastrophes. Mais on sait bien que les réticences françaises à ces élevages déraisonnables ne sont pas essentiellement dues aux questions de risque sanitaire mais bien plus à des considérations écologiques et surtout philosophiques. L’extraction d’un gène chez certains cochons ne changera pas fondamentalement la donne de ce point de vue.
Porcherie en Chine
Allons plus loin, il est probable qu’il y aura, même en France, une bonne acceptation des manipulations génétiques chez le cochon lorsque ce sera pour rendre ses organes compatibles avec ceux des hommes et pouvoir sauver des vies en transplantant ses organes. Les « xénotransplantations » pourraient en effet offrir prochainement des solutions à la pénurie de dons d’organes, alors qu’en France près de 50 000 personnes vivent avec un organe greffé et qu’il manque 12 000 greffons chaque année pour répondre à la demande.
Ce procédé de modification de génome se révèle crucial pour résoudre des défis tels que ceux que la famine impose dans le monde. La démocratisation de ce système et son expansion peut-elle se voir transposer à d’autres domaines ? Est-ce déjà le cas ?
Les questions de génétique sont très importantes pour l’avenir de l’évolution de la production de nourriture, alors même qu’il faut impérativement augmenter de 70 % la production agricole mondiale d’ici 2050. Mais la génétique ne se réduit absolument pas aux OGM ! Avec le réchauffement de la planète, il faut maintenant trouver des plantes qui soient à la fois productives et résilientes, qui poussent même quand il pleut, ou même quand il y a des sécheresses et des canicules, et on peut raisonnablement espérer que les scientifiques n’ont pas dit leur dernier mot dans ce domaîne.
Mais il y a encore plus important, c’est le passage d’une agriculture « tout chimique » à une agriculture écologiquement intensive. C’est de revenir aux fondamentaux de la vie du sol, de ne plus labourer, d’utiliser beaucoup plus les arbres via l’agroforesterie, de cultiver ses propres engrais en couvrant le sol en permanence avec des mélanges de plantes à chacune des quatre saisons, de cultiver ses propres herbicides avec des plantes de services qui étouffent les mauvaises herbes, d’élever ses propres insecticides via des animaux auxiliaires de culture qui mange les animaux qui mangent nos plantes, etc. Nous commençons à peine à comprendre le vivant et l’infiniment petit grâce à l’augmentation considérable de la puissance de calcul de nos ordinateurs, nous allons enfin faire connaissance avec les 260 millions d’êtres vivants qui peuplent chaque mètre carré de nos sols et les espoirs en matière de nouvelles alliances avec le vivant sont absolument considérables. Le vrai enjeu de la survie de l’humanité est là, dans le développement de cette capacité renouvelée de gérer non pas le champ mais la plante, non pas le troupeau mais l’animal, en temps réel.