- La compagnie mère de Google, Alphabet vient de dévoiler le Project Mineral. Il s’agit de piloter des robots dans les champs ; quelle va être leur utilité et comment vont-t-ils fonctionner ?
La technique n’a pas dit son dernier mot en matière d’agriculture ; c’est même exactement l’inverse ! N’ayons pas peur de dire que nous sommes en fait à l’an 1 de l’agriculture. Notre agriculture dite « moderne » est en fait une agriculture… d’ignares !
Article paru sur le site Atlantico le 15 octobre 2020
Réalisons que nous ne connaissons que 10 % des êtres vivants, et en particulier presque rien de l’infiniment petit. On estime aujourd’hui que dans un seul gramme de terre végétale on peut trouver jusqu’à 4 000 espèces de bactéries et 2 000 espèces de champignons ; qu’au total il y a probablement plus de 115 000 espèces de bactéries dans les champs français ; que le poids total des bactéries qui sont dans les champs représente 1 200 fois le poids de l’humanité et celui des champignons 200 fois ; qu’on dénombrera probablement de l’ordre de 230 millions d’êtres vivants sous chaque M2 de terre. Tout reste à découvrir en fait.
De plus, on continue imperturbablement à gérer le « champ au champ », à l’ancienne ! Par exemple on dit couramment « il fait sec il faut irriguer le champ » ou « il faut rajouter de l’engrais »… mais nos champs font maintenant couramment 20 hectares ; comment peut-on imaginer afficher le même traitement sur chaque m2 de ces 20 hectares ?C’est donc seulement maintenant que le « monde du silicium » (celui de l’informatique, du numérique, et de la grande précision) a fait suffisamment de progrès, que le « monde du carbone » (celui du vivant) va pouvoir commencer sa vraie révolution, qui va être en tout point décoiffante. Il n’est donc absolument pas étonnant que les grandes firmes informatiques comme Google commencent à s’intéresser sérieusement à l’agriculture.
Les premières réalisations ont largement dépassé le stade du prototype et commencent à se répandre massivement dans les campagnes. Des réseaux de capteurs autonomes sans fil (RCSF) et d’imagerie satellite mesurent en permanence le taux de CO2, l’humidité du sol, sa température, les radiations, la luminosité, l’état du couvert végétal, le taux de minéraux et de nitrates, etc. Nos tracteurs sont de plus en plus guidés par les GPS, ce qui leur permet d’être beaucoup plus précis dès le semis (qui se fait également à une profondeur bien définie) ; on peut alors imaginer des désherbages mécaniques très sélectifs, et des apports et des traitements beaucoup plus précis. D’ailleurs ce sont maintenant souvent des robots qui désherbent, sans intervention humaine. Les drones sont de plus en plus utilisés pour la cartographie agronomique et le traitement chimique des adventices.
C’est environ 70 % du vignoble français qui est actuellement vendangé par des machines qui savent distinguer entre les feuilles et les grappes et il se vend autour de 700 par an… et les robots sans conduite humaine arrivent.
De la même manière, 17 % des vaches laitières françaises sont maintenant traites par près de 6 000 robots de traite, qui améliorent considérablement et automatisent cette activité jusque là très consommatrice de main d’œuvre, pour un travail ingrat et répétitif. À l’avenir, de très nombreuses vaches laitières seront munies de capteurs émetteurs qui transmettront en permanence à l’éleveur sur son téléphone portable toutes leurs données de base (température du corps, acidité de l’estomac, nombre de pas, date et heures des chaleurs, incidents lors de l’accouchement, etc.).
Il est donc probable que l’aboutissement logique de cette évolution soit l’apparition de drones qui gèreront les champs carrément « à la plante » !
- Un robot qui cible les cultures à la plante ou à la rangée, est-ce ce dont l’agriculture a besoin pour se moderniser ?
L’agriculture réputé moderne « tout chimie tout pétrole » a permis des progrès considérables des années 60 aux années 90. En France, on a alors carrément triplé sa productivité ; par exemple on est passé de 25 à 75 quintaux de blé à l’hectare. Mais depuis les années 90, ces rendements stagnent : 30 ans après on en est encore à récolter de l’ordre de 75 quintaux en agriculture dite conventionnelle et 35 en agriculture bio. C’est que les inconvénients de cette agriculture ont rattrapé ses avantages : épuisement des sols, résistance aux pesticides, pollution des nappes, baisse de la biodiversité, érosion, faible résistance au réchauffement climatique, et acceptabilité de plus en plus problématique par la population.
Il est donc indispensable de mettre en œuvre une nouvelle révolution agricole, écologiquement intensive cette fois-ci au lieu de chimiquement intensive. Une révolution qui s’appuiera cette fois-ci sur les forces de la nature au lieu de s’en méfier et de souvent la détruire. Mais pour passer de vraies alliances avec la nature, et profiter de sa force encore largement inexploitée, il ne suffit pas d’intuition (même géniale comme le sont souvent les agriculteurs bio), il va falloir savoir exactement, finement, plante à plante, centimètre par centimètre, avec qui et avec quoi on va travailler !
Une agriculture où on ne labourera plus, où on couvrira le sol en permanence avec des mélanges de plantes qui s’aideront à pousser, où on cultivera nos engrais et nos herbicides, où on élèvera nos insecticides, et où on saura à chaque instant l’état de nos sols de façon très précise (au mètre, puis au décimètre cube).
Pour cela, bien évidemment, il faut aller au delà du « bon sens paysan » et de la « tradition séculaire ». On va passer d’une agriculture « mal au dos » à une agriculture « prise de tête », une agriculture « bac + 10 », dont la clé sera la maîtrise ultra fine de l’information et le traitement quasiment chirurgical de chacune de nos plantes, donc forcément à l’aide d’outils très sophistiqués.
- Cette technologie semble coûteuse, le gain de rendement qu’elle peut offrir va-t-il être supérieur au coût de production ? Ces robots sont ils une solution viable ? A quelle échelle de temps pourrait-on les voir réellement apparaître ?
Dans les années 60, les ordinateurs coûtaient une véritable fortune, occupaient chacun plusieurs centaines de mètres carrés de locaux réfrigérés en permanence et étaient servis par une armée de professeurs nimbus en blouse blanche ! Aujourd’hui, pour quelques centaines d’euros on achète des appareils ultra performants et sophistiqués, et en plus reliés entre eux par des réseaux sans fil extrêmement rapides.
Il n’y a absolument aucune raison que cette même évolution ne se passe pas pour les technologies agricoles et alimentaires du futur. Elles sont absolument indispensables pour pouvoir à la fois nourrir les 10 milliards d’humains qui s’annoncent, refroidir la planète au lieu de la réchauffer, et regagner en fertilité et biodiversité des sols. Et il n’est pas du tout sûr qu’elles nécessitent des investissements plus importants que ceux du monde de la mécanique d’hier, avec ses gigantesques tracteurs qui consomment un maximum de pétrole pour labourer, ou de la chimie avec ses batteries d’engrais, insecticides, herbicides et fongicides.
Demain est déjà une réalité dans nombre de nos champs, et on peut parier sur une révolution complète de l’agriculture, et donc de ces outils, dans les 2 décennies qui viennent.
Un des problèmes sera d’ailleurs géopolitique : l’Europe sera-t-elle enfin au rendez-vous, ou bien ce nouveau monde appartiendra-t-il lui aussi à quelques firmes californiennes comme Google ? Faudra-t-il aller quémander dans la Silicon Valley les informations de base sur la fertilité de nos champs de Beauce ?
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