Planter 1 milliard d’arbres en France ? Réaliste ? Souhaitable ?

Après les incendies spectaculaires de cet été, le président de la République a promis que nous allions « replanter la pinède » et d’une manière générale, planter dans le pays « un milliard d’arbres d’ici 2030 pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique ». Un chiffre aussi important mérite remise en perspective et réflexion approfondie.

Il y a énormément d’arbres dans le monde, mais on déforeste à tour de bras

On a longtemps sous-estimé fortement le nombre faramineux d’arbres qu’il y a sur la planète. Les spécialistes présentent maintenant un relatif consensus pour estimer qu’il y a carrément 3 000 milliards d’arbres sur terre (375 par habitants !), dont environ 12 milliards en France (180 par français). Heureusement qu’ils sont là, en particulier pour fixer le gaz carbonique, et donc refroidir la planète et réguler le climat et les ressources hydriques, tout en favorisant la biodiversité.

Mais malheureusement on déforeste massivement dans la plupart des régions de la planète. Ce n’est pas une habitude récente : dès les XVIIIe et XIXe siècle, on a déforesté dans le monde entre 20 et 30 millions d’hectares par décennies, soit l’équivalent de la Belgique tous les 10 ans ! Cette folie humaine s’est aggravé considérablement au XXe siècle, où on est passé à 115 millions d’hectares par décennie, l’équivalent de la Grèce !

Même maintenant l’humanité ne « peut pas s’empêcher de déforester », une pratique devenue massive depuis les années 1920.On s’améliore néanmoins peu à peu, sans encore arriver à refaire croitre le nombre d’arbres dans le monde.  Source Our world dating

Depuis les années 90, il y a un léger mieux dans les pays tempérés, qui reforestent à petite vitesse, mais le déficit reste abyssal dans les pays tropicaux. On a encore perdu 78, 51 et 47 millions d’hectares dans les 3 dernières décennies, total 169 millions d’hectares, l’équivalent de la Tunisie ou du Sénégal.

Autrefois la forêt représentait environ 50 % des terres émergées ; aujourd’hui on est tombé autour de 27 %… Il est vrai que 8 milliards d’humains, ça prend de la place !

Les forêts sont massivement converties en pâturages pour le bétail, pour produire intensivement le tabac, l’huile de palme, le soja, la caoutchouc, le cacao, le bois pour le mobilier, le contreplaqué ou le chauffage.
Source Futura et Futura

On continue à défricher massivement pour l’exploitation du bois, ou pour étendre les villes et les exploitations agricoles. La tronçonneuse et le feu font des dégâts considérables.

Notons que, si ça se passe géographiquement au Sud, c’est largement pour satisfaire les appétits du Nord : l’ONG WWF signalait ainsi en 2018 qu’en cinq ans « la France a potentiellement contribué à déforester 5,1 millions d’hectares, soit environ deux fois la superficie de la Bretagne, à travers ses importations de sept matières premières (soja, cacao, bœuf & cuir, huile de palme, caoutchouc, bois et pâte à papier). »

Plus globalement, les importations européennes contribuent directement à 16 % de la déforestation mondiale ! Heureusement, depuis 2023, l’Europe interdit l’importation de produits ayant contribué à la déforestation… reste à voir comment ces bonnes dispositions seront effectivement appliquées… car elles seront relativement faciles à contourner. Mais réjouissons-nous de cette volonté positive.

Beaucoup de meubles chinois chez nous, mais bientôt plus d’arbres dans le sud-est asiatique…Source

Pour lutter contre le réchauffement climatique, il faudrait replanter 1 000 milliards d’arbres dans le monde

Cette déforestation est une des principales causes du réchauffement climatique, pour 2 raisons : d’une part, elle se fait souvent par incendie (volontaire ou subi), ce qui relâche énormément de gaz à effet de serre, et d’autre part parce qu’on ne connaît pas de meilleur absorbeur de gaz carbonique que l’arbre.

Rappelons qu’on estime que l’humanité émet 40 milliards de tonnes de CO2 chaque année. Heureusement, l’essentiel est ensuite absorbé par la mer, la végétation au printemps et les arbres pendant une bonne partie de l’année, sinon le réchauffement climatique serait absolument abominable. D’autant plus que les autres gaz à effet de serre comme le méthane et le protoxyde d’azote comptent aussi énormément. Les quantités sont beaucoup moins importantes mais comme ils sont beaucoup plus réchauffants, en équivalent gaz carbonique et représente 19 milliards de tonnes de plus. Au total, l’humanité n’arrive donc pas à s’empêcher d’émettre l’équivalent de 69 milliards de tonnes d’équivalent gaz carbonique (chiffres de 2019, en hausse de 54 % par rapport à l’année de référence du « protocole de Kyoto en 1990 !).

Cet arbre stocke du carbone depuis plusieurs siècles, dans et sur le sol. © Moniek58, Pixabay, DP

Un arbre d’une tonne stocke environ 500 kilos d’eau et 240 kilos de carbone ; il a absorbé pour ce faire 870 kg de gaz carbonique. S’il a 20 ans, cela correspond donc à l’absorption de 43 kilos de gaz carbonique par an. Évidemment il y a des arbres plus massifs que d’autres : le peuplier par exemple pèse environ 400 kilos par M3 alors que le charme, le buis où l’olivier atteignent 1 000 kilo par M3, et le bois d’ébène 1 400 kilos (on se rappelle qu’il ne flotte pas tellement il est dense !). Mais ça revient à peu près au même car en général, plus un arbre est dense, plus il est lent à pousser.

Pour un seul arbre cela est relativement modeste, ce qui rend quelque peu vaines les propositions de « compensation carbone » du type « vous prenez l’avion, plantez un arbre ». Un voyage Paris-New-York émet une tonne de gaz carbonique, il faudrait donc planter, non pas 1, mais bien 23 arbres pour compenser ce seul voyage en une année. Un français qui voudrait compenser intégralement son empreinte carbone annuelle devrait planter environ 300 arbres chaque année, un par jour et par personne !

Mais quand même, vu leur nombre très important, les 3 000 milliards d’arbres existants compensent efficacement une part importante de nos émissions. Les spécialistes ont ainsi calculé que, pour lutter vraiment contre le réchauffement climatique, il faudrait réimplanter environ 1 000 milliards d’arbres de plus sur notre planète. Cela paraît totalement irréaliste, mais cela consiste finalement à n’en rajouter qu’un tiers.

Les surfaces en vert montrent la surface terrestre disponible pour y planter des arbres, elles excluent les forêts déjà existantes, les déserts, les villes et les cultures, soit 0,9 milliard d’hectares. © ETH Zurich, Crowther Lab

Cela représenterait quand même une surface colossale de 900 millions d’hectares, l’équivalent de 14 fois la superficie de la France, ou de la totalité des États-Unis ! Ça semble fou, mais en fait ce n’est pas impossible, le potentiel est là, particulièrement dans six pays qui en possèdent à eux seuls la moitié : Russie (151 millions d’hectares), États-Unis (103 millions), Canada (78 millions), Australie (58 millions), Brésil et Chine, comme on peut le voir sur la carte suivante où les points verts indiquent les lieux de reforestation théoriquement possibles (excluant les forêts déjà existantes, les déserts, les villes et les zones cultivées). Il manque clairement une volonté politique implacable au niveau mondial pour rendre cela possible !

Le problème est que les arbres que l’on abat ou que l’on brûle sont en général grands, forts et denses, alors qu’une bonne partie de la reforestation se fait dans les zones arides ou désertiques. L’apport positif est donc aléatoire car il n’est absolument pas sûr que ces arbres grandissent durablement.

Mais il reste que la Chine plante actuellement chaque année autant d’arbres qu’on en abat en Amazonie, que l’Éthiopie a annoncé vouloir planter quatre milliards d’arbres en 2019, ou que le Pakistan a annoncé en avoir planté un milliard sur un plan de 10 milliards. Il y en a bien quelques uns qui survivront !

Cela étant, gardons à l’esprit que le nombre d’arbres, qui permet de forcer l’attention du public, n’est en tant que tel qu’une sorte de leurre, valide sur le plan de la communication mais de peu de sens sur le plan technique… Les densités étant fonction du temps, entre plusieurs centaines de milliers de semis naturels par ha entre 1 et 10 ans à moins de 100 arbres par ha à 120 ans. Il existe des indicateurs de fonctionnalité bien plus performants… mais plus difficile à appréhender par le grand public.

En France, contrairement au reste du monde, on reforeste depuis 200 ans

Les « Très riches heures du duc de Berry » illustrent la forte présence de la foret en France. Ici la « glandée », récolte des glands pour les cochons (peint en 1485 par Jean Colomb). Source Wikidia

Au Moyen-âge, la France était couverte de forêts ; on estime qu’en l’an 800 elles couvraient 25 à 30 millions d’hectares, soit 60 % de la surface du pays. Puis avec l’expansion démographique, on commence à défricher et mettre en culture de nombreuses terres ; les monastères en particulier très actif dans ce processus ; entre le XIe et le XIVe siècle, on pouvait défricher 30 à 40 000 hectares par an ; le rythme baissait quand il y avait de grandes épidémies, puis on recommençait. En 1380, on estime à 14 millions d’hectares le couvert forestier en France, soit 25 % du territoire, deux fois moins qu’en l’an 800. La baisse se poursuit et s’accélère nettement après la révolution française et au début de la révolution industrielle : les industries, le chauffage, la marine, la construction, l’expansion agricole, le pâturage en forêt, puis le chemin de fer, ont mis à mal le couvert forestier. Le minimum est atteint en 1820 avec seulement 6 millions d’hectares (à peine 12 % du territoire). En 1 000 ans, la taille de la forêt française a donc été divisée par 5 !

Ensuite on est devenus plus raisonnables et on a replanté. Napoléon III a su démarrer une forte impulsion de développement forestier : de vastes pinèdes ont été plantées dans les Landes, pour assécher les marais et fixer les dunes de sable) ; on a reboisé les forêts de Sologne, et les massifs montagneux des Alpes et des Pyrénées. Cela s’est poursuivi au XXe siècle : les surfaces couvertes de forêts ont doublé, passant de 8 millions à 17 millions d’hectares en 2020. Entre autres grâce à l’exode rural, la diminution du chauffage au bois et l’adoption de nouveaux matériaux de construction, ou aussi parce qu’avec la mécanisation de l’agriculture, on a arrêté de cultiver les terrasses (par exemple dans les Cévennes), et elles sont redevenues des forêts. 31 % du territoire métropolitain est actuellement boisé, autant qu’au XIIIe siècle !

Taux de boisement en France relevé lors de l’inventaire 2015-2019. Total estimé 17 millions d’hectares en 2020, 31 % du territoire métropolitain. Source : IGN, inventaire forestier national 2019. – © Traitements : SDES, 2021

Les régions métropolitaines les plus boisées sont les Landes, la Corse, les Vosges, le Jura, les Alpes et les Pyrénées. Il y a nettement moins d’arbres dans le centre et le nord et nord-ouest de la France, à l’ouest d’une ligne Metz-Bordeaux. On peut rajouter ce qui se passe en outre-mer, boisé à 85 % (dont 97 % en Guyane), soit plus de 8 millions d’hectares.

La moitié de ces « forets » sont en fait des plantations d’une seule espèce, qui ne méritent pas vraiment ce nom : le massif landais n’est quasiment composé que de pins maritimes, avec une très faible biodiversité et une grande fragilité aux tempêtes et aux incendies ; on compte également beaucoup de peupleraies mono espèces. Les « vraies » forets françaises diversifiées regroupent, elles, jusqu’à 190 essences, qui interagissent les unes avec les autres.

La filière bois représente 378 000 emplois, pour le chauffage, l’ameublement, la construction, et l’industrie papetière. Source : Ministère de l’agriculture

Mais on a fait disparaître haies et vergers en France

Il n’y a pas des arbres que dans les forets, il y en avait aussi autrefois beaucoup dans les champs ! À l’apogée du bocage, au début du XXe siècle, la France comptait plus de 2 millions de kilomètres de haies On en a arraché 70 % lors des remembrements massifs des années 50 à 80, soit 1,4 millions de kilomètres, qui contenaient de l’ordre de 350 millions d’arbres ! Faire et défaire, c’est toujours travailler, et la mode est maintenant de nouveau à la plantation de haies, outils essentiels d’une agriculture agroécologique : elles régulent le climat et l’humidité, limitent l’érosion, favorisent la biodiversité et la fertilité, servent de refuge aux insectes et oiseaux « auxiliaires de culture », contribuent au bien-être animal, etc.

Remembrement en France : 350 millions d’arbres abattus.

On a fait croire pendant beaucoup trop longtemps aux agriculteurs que l’arbre était leur ennemi, moyennant quoi ils sont quasiment disparus du Bassin parisien : on peut aller de Paris à Reims sans presque voir un seul arbre. On redécouvre à peine les immenses bienfaits de l’agroforesterie, mais cela reste très timide et ce qu’on réalise actuellement n’a rien à voir avec ce qu’on a abattu : en 20 ans, on n’a replanté que 30 000 km de haies, et le linéaire reste à un niveau très bas, beaucoup trop. Avec une agroforesterie écologique et intensive (qui n’empêche absolument pas la productivité agricole, mais permet de diminuer notablement engrais, pesticides et irrigation), on devrait pouvoir replanter au moins 100 millions d’arbres !

De même, la France possédait également la plus vaste surface de vergers de fruitiers en Europe avec 1 million d’hectares au début des années 50 (dont 60 % sur des prés pâturés, comme les pommiers en Normandie). Elle a été divisé par cinq, pour ne représenter que 185 000 hectares actuellement, alors que la consommation de fruits des français a beaucoup augmenté ! En effet, la politique agricole commune a conduit à spécialiser d’autres régions de l’Europe dans la production de fruits, en particulier le sud de l’Espagne, mais aussi en Italie et en Pologne.

Les deux tiers de la superficie de vergers de l’UE se concentrent actuellement en Espagne, en Italie et en Pologne. L’Espagne a dorénavant sept fois plus d’arbres fruitiers que la France, et l’Italie quatre fois plus ! Source : Eurostat

On a longtemps subventionné les arboriculteurs pour qu’ils arrachent leurs arbres fruitiers. Si on estime qu’il y avait plusieurs centaines d’arbres à l’hectare (maintenant on plante plus densément près de 1 000 arbres à l’hectare), ce sont plusieurs centaines de millions d’arbres fruitiers qui ont été arrachés. Là aussi on peut reprendre la main de façon volontariste, au moins un peu, en particulier dans les prairies. Chacun sait en Normandie que la camembert se marie bien avec le cidre et que les vaches sont plus heureuses sous les pommiers ! C’est pareil pour les moutons, les poules et les canards !

Entre les haies et les vergers, ce sont donc plus de 500 millions d’arbres qui ont ainsi été sacrifiés au « modernisme » hexagonal dans les dernières décennies ! On a là d’immenses marges de progression…

Une urgence : revégétaliser les villes

Mentionnons également la raréfaction dramatique des arbres en ville au profit du béton et du goudron. On redécouvre seulement maintenant, avec la généralisation des canicules, à quel point il est important pour la simple survie des citadins de remettre des espaces verts partout où on peut, à commencer par les avenues, les parkings et les cours de récréation des écoles.

En France la majorité des cours de récréation sont à revégétaliser en urgence ! A gauche  Corbigny en Bourgogne à droite Quimper
Une urgence : revégétaliser les villes pour s’adapter au réchauffement, et ne pas… mourir de chaud quand les pointes de chaleur dépasseront les 50° en France. Source

Les arbres urbains permettent d’abaisser sensiblement les températures micro locales, de conserver un peu d‘humidité, d’absorber les gaz nocifs et les particules fines, de remettre davantage d’oxygène, de réguler les eaux de pluies et de diminuer le débordement des égouts, de préserver un peu de biodiversité, etc. Ils améliorent fortement le bien-être physique et psychologique des habitants : diminution des maladies respiratoires, des cancers de la peau, des cataractes, des problèmes cardiaques et « coups de chaleur », de la pollution sonore, des mauvaises odeurs. Ils diminuent la vitesse des véhicules et contribuent à la sécurité routière, ils facilitent les relations humaines et l’embellissement des villes, etc. Pour davantage de détails, voir par exemple.

Au total, il n’est pas du tout impensable de planter 100 millions d’arbres par an en France et donc un milliard dans les 10 prochaines années. On en plante bien 75 millions par an actuellement. On peut certainement augmenter ce rythme d’un tiers avec une politique plus volontariste d’implantation.

Un objectif plus ambitieux, et souhaitable, serait en fait d’augmenter le nombre d’arbres de 100 millions par an, c’est-à-dire de replanter chaque année 100 millions d’arbres de plus que ceux qu’on abat !

Arrêter de planter comme au XXe siècle

La question suivante est : quels arbres planter compte tenu de l’accélération du réchauffement climatique ?

Après les giga incendies survenus dans les Landes au cours de l’été 2022, le président de la République a promis « d’aider à replanter la pinède ». Est-ce souhaitable ? Il faut une bonne quarantaine d’années pour « récolter » une plantation de pins maritimes, auront-ils une seule chance de survivre tout ce temps ?

On n’a pas de cyclones en France métropolitaine, mais avec le réchauffement climatique, les tempêtes venues de l’océan Atlantique (et de la Méditerranée) ont toutes les chances d’être de plus en plus vigoureuses, et plus fréquentes… La tempête Martin de 1999 a abattu 220 000 hectares de pins (25 % de la pinède, ou l’équivalent de 20 fois la superficie de Paris). On a replanté. Puis, en 2009, la tempête Klaus a elle aussi abattu 210 000 hectares… Qui peut promettre qu’il n’y aura plus de tempête dans les 40  prochaines années ? De plus, les arbres (résineux) qui ne seront pas déracinés par les tempêtes auront un fort risque de… brûler. On avait bien espéré que les mesures vigoureuses prises après le terrible incendie de 1949 (il avait brûlé 52 000 hectares et tué 82 personnes) allaient en terminer avec ce fléau, mais, en 2022, 28 000 hectares sont de nouveau partis en fumée. Quand il fait très, très sec, on trouve toujours un fumeur imprudent, voire un pompier pyromane…

La forêt landaise s’étend sur 632 300 ha, dont 465 389 de résineux ; les deux tempêtes de 1999 et 2019 ont chacune détruit 200 000 hectares. Les incendies de 2022 ont affecté 28 000 hectares. Source : Wikipedia,  Le Monde et Futura

Il est donc très probable qu’il faille dorénavant imaginer un autre avenir pour les Landes. L’implantation massive et systématique de pins maritimes n’y est pas du tout historique (les Landes ne s’appellent pas « le Bosquet » !) : elle n’a commencé que sous Napoléon III. Ce sera extrêmement difficile de Bordeaux à Bayonne, culturellement et affectivement, d’admettre que la menuiserie c’est fini, mais on peut certainement avoir le courage de tourner la page au bout de deux siècles et d’inventer autre chose de plus durable. Par exemple en relisant la fable du Chêne et du roseau de La Fontaine : y installer quelque chose qui plie mais ne rompt pas… et ne brûle pas !

Ce cas, emblématique, est loin d’être le seul en France : le platane du Sud-ouest est maintenant menacé par le chancre coloré, le palmier du Sud-est par le charançon rouge, le buis par la pyrale, les hêtres et épicéas du Nord-est (qui couvrent 25 % de la surface de certains départements) par la sécheresse ; même l’emblématique chêne commence à être menacé. Le réchauffement climatique s’accélère et les arbres que l’on plante aujourd’hui doivent pouvoir survivre au climat de la fin du XXIe siècle, et non plus à celui d’hier.

Le climat actuel de Strasbourg était celui de Lyon il y a 50 ans, Lyon a maintenant l’ancien climat de Montélimar, Lille celui de Rennes, Le Mans celui de Bordeaux, Bordeaux celui de Pau, et cette tendance va fortement s’accélérer. Il faut donc bien réfléchir avant de choisir quel arbre planter. Source : Météo France

Les spécialistes expliquent qu’une forêt, normalement, ne se plante pas ; elle croit et pousse elle-même avec ses forces spontanées. Les forestiers le disent souvent : « si on plante, c’est qu’on s’est planté », ou encore « après un incendie, l’urgence, c’est de ne rien faire » ! Même s’il faut fortement relativiser la pertinence actuelle de cette remarque dans une période d’accélération du réchauffement climatique, gardons à l’esprit qu’en matière de plantations, il faut rester modeste et prudent. En tous les cas, ces remarques ne sont pas valables dans le cas de la re-création de nouvelles haies, ni pour la végétalisation des avenues et cours de récréation en ville.

Il va falloir à la fois être extrêmement prudents et novateurs, dans une période où, malheureusement, l’organisme spécialisé qui s’y connaît le mieux en France, l’Office national des forêts , a perdu 32 % de ses salariés dans les 20 dernières années.

On sait d’ores et déjà qu’il faut privilégier chaque fois que possible la biodiversité, nettement plus résiliente, plutôt que les plantations mono espèces sur des coupes rases, quels que soient les intérêts économiques en jeu ; les jeunes arbres plantés sous le soleil après une coupe à blanc ont malheureusement une fâcheuse tendance à se déshydrater et à mourir ; et on manque d’expérience pour savoir quel sera l’avenir sous nos latitudes de plantations massives d’essences exotiques à croissance rapide.

N’oublions pas qu’une bonne partie de la survie de nos forêts se joue sous le sol par les réseaux de champignons et mycorhizes qui permettent aux différentes espèces d’échanger des éléments nutritifs entre elles. Il ne suffit pas de planter des arbres, il faut qu’ils trouvent leur place au milieu de leurs collègues d’essences différentes. Les plantations, très à la mode, de pins Douglas, des résineux à croissance rapide venus d’Amérique du Nord, naturellement imputrescibles, qui poussent droit comme des i et sont coupés dès qu’ils atteignent 40 cm de circonférence (la taille conforme aux exigences des scieries), ne sont certainement pas une panacée. Elles appauvrissent les sols, réduisent la présence animale, modifient les interactions entre végétaux, et finiront bien par rencontrer leur prédateur.

On gagnera à effectuer aussi de nombreuses expériences de « ré-ensauvagement » » pour observer finalement comment la Nature s’y prend pour affronter les nouvelles conditions climatiques. Ça fait belle lurette qu’il n’y a pas eu autant d’arbres en France, mais en même temps, il y a de moins en moins de « véritables forêts ».

Petites forets très denses Miyawaki. Source Wikipedia et Défi écologique

On observera également de très près les nouvelles expériences de « MiniBigForest » inventées par le botaniste japonais Akira Miyawaki, qui consistent à planter de petits écosystèmes forestiers extrêmement denses (3 arbres différents, d’espèces locales, au m2) sur des surfaces réduites (de 200 à 3 000 m2). De nombreuses municipalités se lancent dans l’expérience ; rendez-vous dans 10 et 20 ans pour voir réellement ce que cela deviendra.

Au total, oui il est urgent et raisonnable de planter au moins un milliard d’arbres, dans nos forets, nos champs et nos villes, mais de façon intelligente et raisonnée, traditionnelle et innovante. Voire davantage : que diriez-vous d’un milliard d’arbres de plus en France en 2032 ?

Voir aussi mon dossier écrit : « L’agriculture, solution au réchauffement climatique ».

Et en vidéo : https://youtu.be/Vj5dngb-RuE

La note de l’ONF sur les forets de nos territoires

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
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