La disparition des insectes, une vraie menace ; leur élevage, un vrai espoir.

Il semble bien que les insectes disparaissent à grande vitesse, juste au moment où on commence à créer des fermes d’élevage pour certains d’entre eux. Apparente contradiction, énorme souci et petit espoir. Faisons le point sur cette question encore très mal connue.

A-     Les insectes, un monde immense et méconnu dont on se méfie.

Phasme. Photo Futura

Les insectes nous ont précédé depuis des millénaires, mais notre connaissance de ce monde, qui représente près de la moitié des êtres vivants, reste infime, car ils sont très difficiles à observer et à comptabiliser avec précision. Et beaucoup d’entre nous s’en méfient, obsédés qu’il sont par les insectes qu’il qualifient de « nuisibles » et tentent de les éradiquer par tous les moyens, de plus en plus efficaces, et qui font énormément de dégâts collatéraux.

Texte paru sur Futura Sciences

On connaît très mal la diversité incroyable des insectes, qui représentent la moitié des êtres vivants

Il se dit fréquemment qu’on ne connaît que 10 % des êtres vivants, et qu’en la matière la profondeur de notre ignorance reste encore abyssale. Mais, au fait, comment fait-on pour compter ainsi, même approximativement, ce qu’on ne connaît pas ?

Au cours des siècles, on a fini par découvrir, puis connaître avec une assez bonne précision toutes les grosses bêtes, qui nous font peur et nous fascinent. Les éléphants, les ours, les lions, les girafes, les chimpanzés, etc. ont même parfois leurs comités de soutien. Chaque ours des Pyrénées, chaque loup du Mercantour a maintenant un petit nom, et parfois sa balise GPS. Ce sont en quelque sorte des stars, bien plus connue que la brebis qu’ils égorgent à l’occasion ! Ce qui ne nous empêche pas de les faire allègrement disparaitre, car beaucoup d’autres hommes sont également munis de fusils et du redoutable instinct du chasseur !

Pour les animaux de taille moyenne, notre savoir est nettement plus limité, mais quand même honorable. Mais là, peu de comités de soutien. Et quand ils se rappellent à notre bon souvenir, par exemple les rats parisiens lors des gréves des éboueurs, on en vient à réclamer leur extermination… ce que d’ailleurs on n’arrive pas vraiment à faire !

Et puis nous avons sélectionné un tout petit nombre d’animaux que nous avons multiplié à l’infini pour qu’ils nous nourissent : vaches, cochons, poules, lapins, dindons, canards, etc. La liste n’est pas longue, mais ils sont maintenant beaucoup plus nombreux que les animaux sauvages (autour de 1,8 milliards de vaches, 800 millions de porcs et 22 milliards de poulets). Plus les animaux récréatifs : 500 millions de chiens, 400 millions de chats, plus des chevaux, quelques oiseaux d’appartements et quelques poissons d’aquarium. Les animaux « auxiliaires de culture » ou de transport sont en voie de disparition au fur et à mesure que la mécanisation progresse : chevaux, anes, zébus, dromadaires, etc. En vérité la liste n’est pas longue !

La population totale des insectes pourrait approcher les 10 milliards de milliards d’individus (1019). Respect ! Ils doivent bien servir à quelque chose… Source : Bugboy 52 ;40 Vikidia

Notre ignorance reste crasse pour les petits animaux, car bien souvent ils restent invisibles. Tout le monde connaît les « gentilles » abeilles et fourmis, les moustiques, punaises et et puces « énervants » ou les papillons, libellules et coccinelles « élégants ». Les spécialistes en ont répertoriés de l’ordre de 1,3 millions d’espèces, et progressent à raison de 10 000 nouvelles espèces décrites chaque année, mais on est encore fort loin de l’exhaustivité puisqu’on estime qu’il doit en fait exister « entre 5 et 80 millions d’espèces », soit carrément la moitié de la biodiversité animale ! L’ampleur de l’imprécision en dit long sur notre incompétence sur nos petits compagnons à 6 pattes, corps divisé en trois parties, squelette externe et dépourvus de poumon… Pour la plupart vieux de 400 millions d’année, ils étaient bien décidés à nous enterrer tous, mais ils n’avaient pas prévus qu’homo sapiens (en l’occurrence homo demens) tenterait carrément de les exterminer avant de partir lui-même !

Une autre manière d’évaluer l’ampleur de la question est de mesurer le « poids carbone » des êtres vivants. On découvre alors que les humains, pour arrogants et nombreux qu’il soient avec 8 milliards d’individus, ne pèsent pas plus que les crevettes arctiques (Euphausia superba) ou les vaches, 3 fois moins que les vers de terre et de mer (annélides), 200 fois moins que les champignons, ou 1 200 fois moins que les bactéries. Rappelons par exemple qu’on sait maintenant que dans 1 gramme de sol pullulent 4 000 espèces de bactéries et 2 000 de champignons, en de très nombreux individus chacun. L’agriculture a encore d’énormes progrès à faire.

Evaluation du « poids carbone » des êtres vivants, en gigatonnes de carbone. Le graphique de droite est la décomposition des 2 Gt d’animaux (le petit triangle en bas et à droite du graphique de gauche, à comparer aux « plantes » en vert). Les 8 milliards d’humains sont en bas et à droite du graphique de droite (ce qui nous remets bien à notre vraie place !) et les insectes arthropodes sont en rouge. Source : Yinon M. Bar-On et al. PNAS 2018;115:25:6506-6511

Notons, si ça peut nous rassurer, que les insectes sont certes fort nombreux, mais légers ; l’ensemble des arthropodes ne « pèseraient » en poids carbone, « que » 17 fois l’humanité, ce qui représente quand même la moitié de la masse de tous les animaux terrestres et marins. On ne peut tout simplement pas les ignorer. Même si certains ne mesurent qu’un dixième de mm de long !

Concrètement, comment fait-on pour observer et compter les insectes ?

Pour piéger les insectes, les étudier et les dénombrer, on a quand même développé d’autres méthodes que le simple filet à papillons. Par exemple :

  • Les pièges à insectes peuvent être installés à différents endroits, tels que les champs, les forêts, les zones urbaines, etc., et à différentes hauteurs ou profondeurs. Par exemple les pièges à lumière la nuit.
  • Les transects, lignes rectilignes dans un habitat donné qui sont parcourues à pied pour compter les insectes observés. Cette méthode permet de suivre l’évolution des populations d’insectes à travers le temps.
  • Les méthodes de capture-mark-recapture , qui consiste à marquer certains individus d’une population d’insectes, puis à les relâcher ; ensuite, on capture une deuxième fois des individus de cette population et on note combien ont déjà été marqués lors de la première capture.
Les collections d’insectes ont l’air fastidieuses et exhaustives, et servent à mieux identifier les insectes capturés, mais elles ne représentent qu’une petite partie de la diversité de la nature. © Diogo Verissimo, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0
  • Les observations visuelles à l’œil nu dans leur environnement naturel. Une méthode plus subjective et moins précise, mais qui peut être amplifiée par des programmes de « sciences participatives », qui permettent aux simples citoyens motivés de signaler les observations d’insectes qu’ils ont faites dans leur environnement.
  • L’analyse de données historiques telles que les collections de musées, les publications scientifiques ou les observations de naturalistes, pour déterminer si la diversité et la quantité d’insectes ont changé au fil du temps.
  • Les études expérimentales pour évaluer les effets sur les populations d’insectes des changements environnementaux, tels que la pollution, la fragmentation des habitats ou le changement climatique. Par exemple on peut revenir plusieurs années récolter les insectes pollinisateurs sur un même champ ou une même colline, pour voir comment évolue leurs relations avec les plantes et tenter de comprendre pourquoi.

Pour des raisons pratiques ou de budget, on peut mieux mesurer les insectes volants que les terrestres, car ils sont plus faciles à capturer. Et les insectes des champs plutôt que ceux des forets, ou ceux de l’Europe plutôt que ceux de l’Amazonie… Notre vision reste donc très imparfaite et partiale !

On recherche à mesurer trois indicateurs : l’abondance (le nombre des insectes présents, par espèces), la biomasse (tous insectes confondus), qui présente l’inconvénient de compter ensemble et de façon indistincte les insectes, el la biodiversité (le nombre d’espèces existantes, ce qui suppose de savoir les reconnaître !). Dans les faits, on peut très bien noter que certaines espèces peuvent voir leur population augmenter, au milieu d’un déclin général, parce qu’elles sont généralistes, adaptables à divers environnements… ou prédatrices des autres.

Beaucoup se méfient des insectes, comment fait-on pour les éradiquer ?

Les insectes nous faisaient peur au XIXe siècle : on y cultivait « l’entomophobie » (crainte que »d’origine » et les insectes « invasifs »la pullulation des insectes ne puisse faire disparaître l’humanité) ; ce qui était à la mode, c’était « l’ornithophilie » (protection des oiseaux insectivores qui étaient alors les seuls remparts au danger des insectes) ; c’était avant qu’on invente les insecticides, beaucoup plus efficaces, beaucoup… trop !

Nuages de criquets à Madagascar Source : Michel LecoqWikipedia

Il faut dire que parfois cette crainte reste crédible ; en Afrique, chaque décennie on doit affronter des nuages de crickets pouvant couvrir 2 400 km2  et rassembler 200 milliards d’individus, qui mangent littéralement tout sur leur passage, l’équivalent de la nourriture consommée par 80 millions de personnes, provoquant de graves famines ; ne croyons pas que l’Europe ne sera jamais concernée pas ce désastre, surtout avec le dérèglement climatique : en 1748 les criquets sont arrivés jusqu’à la Pologne, la Hongrie et l’Angleterre !

Affronter des hordes de fourmis carnivores ou un nid de frelons n’a pas non plus rien d’une partie de plaisir…

Nombre approximatif de morts par an dus aux animaux ou aux hommes (guerres et assassinats). Compilation de diverses sources

Le moustique reste sans conteste le plus grand ennemi de l’homme : il en tue environ 750 000 chaque année en lui transmettant des maladies comme le paludisme, la dengue, le chikungunya, le zika, etc. Beaucoup plus que l’homme lui-même, qui s’entretue quand même à raison de 475 000 par an, et sans commune mesure avec le serpent (50 à 100 000 morts) le crocodile (quelques milliers), le lion, l’hippopotame et l’éléphant (quelques centaines) ou le requin, le loup et la méduse (quelques dizaines) !

Petit, mais fort dangereux, le moustique tue chaque année presque deux fois plus que les guerres et les assassinats réunis !; Source : Jim Gathany  Wikipedia

De nombreux insectes sont aussi considérés par les agriculteurs comme nuisibles ou prédateurs, des ennemis à éradiquer. A ne pas confondre avec ceux qu’ils baptisent « auxiliaires de culture », parce qu’au contraire ils favorisent la production agricole.

Avec le réchauffement climatique, le moustique tigre  ne cesse de remonter ; en 2022 il a déjà franchi la Loire ; les bases de la diffusion de maladies tropicales y sont donc installées ! Source : Ministère de la santé

La catégorie la plus importante, qui représente la moitié des insectes répertoriés, concerne les insectes phytophages, qui se nourrissent des plantes : au choix, ils peuvent manger les feuilles les tiges, les racines, le pollen, les fleurs, les fruits, les graines, la sève, etc., et au passage ils transmettent souvent des agents pathogènes. Et malheureusement ils leur arrive de sauter d’un continent à l’autre, provoquant alors d’autant plus de dégâts qu’ils arrivent sans leurs propres prédateurs : par exemple le phylloxera et le doryphore, arrivés d’Amérique du nord ont pratiquement détruit l’un le vignoble français et l’autre les cultures de pomme de terre au début du XXe siècle. Actuellement, la pyrale du buis et le charançon rouge du palmier (venus d’Asie) menacent directement ces deux arbres en France.

Les insecticides néonicotinoïdes, qui ciblent le système nerveux des insectes, ont actuellement très mauvaise réputation car ils affectent de nombreux pollinisateurs (les opposants les traitent de « tueurs d’abeilles ») ; ils pourraient également affecter notre propre système nerveux aux doses auxquelles on les retrouve dans l’environnement. Les chimistes ont pensé diminuer fortement les risques en enrobant les graines plutôt qu’en l’épandant sur les plantes, mais finalement il a été démontré qu’ils pénètrent la plante qu’ils sont censés protéger, remontent dans leurs fleurs et affectent quand même les pollinisateurs.  © Joost J. Bakker, Wikipédia, cc by sa 2.0 publié dans Futura

La lutte contre les insectes ravageurs des plantes est donc souvent indispensable, d’autant plus que le coût des différents moyens destinés à limiter leur propagation est souvent très inférieur au coût des dégâts causés par une invasion. On utilise actuellement divers insecticides souvent carrément dangereux également pour d’autres animaux, voire pour l’homme. De plus ils multiplient souvent les « dégâts collatéraux » ; par exemple ils détruisent au passage les pollinisateurs, qui eux sont absolument indispensables…

C’est pourquoi on cherche activement d’autres voies : quarantaine pour les importations, lutte biologique, épandage d’insectes stériles, lâcher de prédateurs naturels, répulsifs, plantes génétiquement modifiées, piégeages, rotation plus importante des cultures, travail du sol, irradiation, etc. Mais elles sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre, plus couteuses et souvent moins efficaces (à court terme pour les agriculteurs).

Le défi de se débarrasser de la plupart des insectes dits « nuisibles » tout en conservant au maximum les autres est une des principales question scientifique de notre époque, et nous n’avons pas beaucoup de temps pour le relever !

B–   Les insectes sont en voie de disparition et les conséquences vont être dramatiques

Même si on ne peut qu’en donner une tendance sans pouvoir la mesurer avec précision, on assiste vraiment à une quasi disparition des insectes, aux conséquences absolument dramatiques, sur notre nourriture, et sur les équilibres indispensables entre tous les êtres vivants, dont ils sont à la base. Texte paru dans Futura

Les insectes vont disparaître avant même qu’on fasse réellement connaissance

Il est bien entendu difficile de mesurer exactement le déclin, ou la disparition de ce qu’on connaît fort peu, on ne peut que l’approcher par des mesures indirectes. Du coup cette imprécision fait le lit des sceptiques ou indifférents, qui estiment qu’ils peuvent dormir tranquilles tant que les experts se querellent sur les chiffres.

La très grande diversité des insectes rend difficile une évaluation de leur déclin. © Michael Thomas Futura

D’ailleurs il n’est pas besoin d’être expert pour constater que le pare-brise de sa voiture reste relativement propre quand on traverse la France l’été, alors qu’il y a 50 ans il fallait impérativement le laver chaque fois qu’on prenait de l’essence ! C’est évidemment de la « science de comptoir » car bien d’autres facteurs entrent en compte : l’aérodynamisme des voitures, l’éclairage des routes la nuit, la tonte des bas-côtés des routes et autoroutes ou l’artificialisation de leurs abords, etc., mais il est quand même difficile pour les « juilletistes » et les « aoutiens » de soutenir qu’il y a davantage de biodiversité autour de l’autoroute du sud ! D’ailleurs un scientifique danois dit avoir concrètement mesuré 90 % de salissure en moins sur son pare-brise en 20 ans… Une étude participative menée sur les plaques d’immatriculation des voitures anglaise sur des millions de kilomètres parcourus montre une réduction de 60 % des insectes volants entre 2004 et 2021. Notons que ces observations empiriques ne concernent que les insectes volants, ceux qui vivent dans la terre disparaissent dans l’indifférence générale.

D’après l’index « planète vivante » du WWF, la taille de la faune sauvage terrestre a diminué de 69 % entre 1970 et 2020. Mais le plus préoccupant encore est la diminution, difficile à évaluer mais bien réelle, des insectes, et de la faune microscopique des sols (bactéries, champignons, etc.), qui est à la base de leur fertilité…© WWF  

En fait c’est l’ensemble de la biodiversité qui est en fort déclin à cause de l’action de l’homme. On estime que la biomasse actuelle des mammifères terrestres sauvages est d’environ sept fois inférieure à ce qu’elle était il y a quelques milliers d’années. Elle est dorénavant largement dépassée par la biomasse du cheptel domestique, dominé par les bovins et les porcins. Il en va de même pour les oiseaux : la biomasse des volailles domestiques est dorénavant environ trois fois plus élevée que celle des oiseaux sauvages. La chasse intensive à la baleine et l’exploitation d’autres mammifères marins ont également entraîné une diminution d’environ cinq fois de la biomasse mondiale des mammifères marins. Voir à ce sujet mon article sur la disparition des poissons.

Voici quelques chiffres qui donnent une idée de l’ampleur du problème actuel de la disparition des insectes :

  • Une étude publiée dans la revue Biological Conservation en 2019 a révélé que près de 40 % des espèces d’insectes sont en déclin dans le monde entier.
  • Le rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) publié en 2020 a indiqué que la population d’insectes pollinisateurs, tels que les abeilles, a diminué de 20 % dans le monde entier au cours des deux dernières décennies. D’une manière générale, on dispose de davantage de chiffres sur les abeilles que sur les autres insectes, car elles font l’objet d’élevage, et du coup les apiculteurs sont évidemment très actifs sur ce dossier !
  • En Allemagne, une étude réalisée entre 2008 et 2017 a révélé une baisse de 76 % de la biomasse des insectes volants dans les zones protégées.
  • Au Royaume-Uni, une étude menée entre 1980 et 2013 a montré une diminution de 30 % de la population d’insectes.
  • En France, une étude réalisée en 2020 par le Muséum national d’histoire naturelle et l’Office français de la biodiversité a montré une baisse de 34 % de la biomasse des insectes volants en l’espace de dix ans.
  • Une autre étude publiée en 2021 dans la revue Global Change Biology a montré que les populations de papillons ont diminué de 1,6 % par an en moyenne en Europe entre 1990 et 2018.

Le fait qu’on passe allègrement de 20 % à 30, 40 ou 76 % ne doit pas faire penser que ces études ne sont pas sérieuses. La tendance au déclin est bien là, même si nous ne pouvons pas la mesurer avec précision. Ne rien faire en attendant de disposer de chiffres plus fiables et réguliers serait irresponsable.

On a dénombre 200 000 espèces de papillons. Elles sont toutes menacées dorénavant. Outre leur intérêt esthétique certain (ici au Costa Rica), ce sont des pollinisateurs fort utiles.. © Éric Valenne, Shutterstock Futura

Or c’est à peu près ce qu’on fait : rien ! On poursuit tranquillement les pratiques agricoles les plus agressives (insecticides, fongicides, herbicides, etc.) qui rendent la vie de plus en plus problématique, à la fois aux insectes réputés « nuisibles » qu’aux « auxiliaires de culture ». En particulier aux pollinisateurs, qui nous sont pourtant indispensables pour notre simple survie.

Indépendamment des insecticides, l’agriculture « moderne » rend souvent la vie impossible à la faune d’origine : le labour éradique les animaux terrestres, tandis que la déforestation, la disparition des haies et l’assèchement des zones humides rendent impossible la survie et la reproduction des insectes volants. Et la pollution lumineuse termine le job chaque nuit !

Et le réchauffement climatique va encore accélérer le processus. On constate que les insectes disparaissent, non seulement dans les zones d’agriculture intensive, mais aussi dans les forêts, où on ne peut pas incriminer les agriculteurs. Ils y meurent aussi, ou n’arrivent plus à se reproduire, parce qu’il y fait trop chaud ou trop sec pour eux, habitués qu’ils sont à l’ombre et l’humidité protectrices.

Déjà, comment mettre en œuvre des pratiques écologiques dans les champs, quand on sait que tous les insectes auxiliaires de culture, en particulier ceux qui se nourrissent des insectes phytophages, qui eux-mêmes mangent des plantes, ont besoin des haies à au moins une période de leur cycle de vie ? En tous les cas, il faudrait commencer par arrêter de déforester, et surtout replanter des arbres partout, 1000 milliards d’arbres dans le monde, dont 1 milliard en France rapidement, comme je l’ai détaillé dans mon dossier récent «  Planter un milliard d’arbres en France d’ici 2030 : est-ce possible et souhaitable ? »

Notons qu’il est difficile d’attribuer une cause unique, et même de déterminer la cause principale du déclin, car souvent on est influencé par les modes ou les inquiétudes en vigueur dans son pays ou sa culture. Et l’administration d’une preuve irréfutable est en général impossible.

Le plus probable est donc que cet engrenage funeste va se poursuivre. Avec une baisse moyenne estimée à -2 % par an, on risque carrément une disparition pure et simple des insectes au cours de ce XXIe siècle, aux conséquences carrément désastreuses. Ce sera nettement pire de ne plus avoir d’insectes du tout que de supporter les dégâts des insectes prédateurs.

D’où le débat, très important, entre les tenants du « land sparing » et du « land sharing ». Vaut-il mieux faire de l’agriculture très intensive, pour y consacrer un minimum de terres, et protéger le plus possible de terres plus « naturelles », où on pourra préserver au maximum la biodiversité, ou généraliser l’agriculture moins intensive (en particulier la bio), à moindre rendement, ce qui laissera beaucoup moins de surfaces naturelles ? Rappelons par exemple qu’en France, depuis 20 ans les rendements de blé « intensif » stagnent autour de 75 quintaux par hectare, avec des variabilités climatiques, tandis que le blé bio stagne lui aussi autour de 35 quintaux par hectare. Il y a nettement plus d’insectes dans les champs de blé bio, mais il faut cultiver deux fois plus de champs pour produire la même quantité de blé… et nous sommes 8 milliards d’humains à nourrir sur la planète. Or, même si les occidentaux baissent fortement leur consommation de viande et qu’on gâche moins, il faudra impérativement continuer à augmenter la production agricole mondiale.

A quoi servent les insectes, peut-on vivre sans eux ?

Quand on est (légitimement) énervé par les moustiques et les puces dans sa chambre à coucher, les punaises et les blattes dans sa cuisine, les pucerons (ou les fourmis qui les élèvent), doryphores, araignées, teignes ou piérides dans son jardin potager, on peut finir par souhaiter la disparition de nombreux insectes pour vivre en paix. Mais justement c’est impossible, car les bénéfices que nous tirons des insectes sont nettement supérieurs aux dégâts qu’ils nous infligent, et que c’est très difficile de se séparer des « nuisibles » sans affecter les « utiles ». D’ailleurs qui sommes-nous pour déclarer ainsi que certains êtres vivants sont intrinsèquement bons ou mauvais ? Ils ont tous une place dans l’équilibre des êtres vivants, dont nous faisons partie intégrante !

Impossible de vivre sans abeilles, et les autres pollinisateurs, très menacés par différentes causes. Il est intéressant de voir que l’opinion publique de chaque pays privilégie différentes causes. En Belgique on l’impute prioritairement au parasite Varroa Destructor, en Espagne au parasite Nosema Ceranae, et en France aux techniques d’agriculture chimique, sans oublier le frelon asiatique, de plus en plus présent. Photo Futura

Pour commencer par le plus visible, les insectes pollinisateurs passent leur vie à polliniser les fleurs. Les abeilles bien sûr, très populaires car on apprécie leur miel au petit déjeuner, mais aussi bourdons, guêpes, papillons, mouches, etc. (il y aurait plus de 200 000 espèces d’animaux pollinisateurs !). La plupart des plantes que nous mangeons (près de 85 %) ont besoin de cette pollinisation pour vivre : presque tous les fruits (pommes, abricots, cerises, fraises, framboises, etc.), des légumes (courgettes, tomates, salades, etc.), mais aussi les radis, les choux, les navets, les carottes, les oignons, les poireaux, le thym, l’huile de tournesol ou de colza, et même le café et le chocolat ! Sans pollinisateurs, pour faire bref, il ne nous restera plus que le blé, le maïs et le riz, des repas somme toute assez déprimants, et, accessoirement, plus grand-chose à mettre dans nos pots de fleurs. La « valeur économique » de cette pollinisation gratuite a été estimée à environ 235 milliards de dollars par an !

D’autres expériences consistent à polliniser via des drones, belle utopie sans grand avenir non plus. On tente aussi d’améliorer encore cette substitution via des mini robots pollinisateurs. Mais on n’en aura jamais des centaines de millions à disposition !

En Chine, on en est bien arrivé à tenter de polliniser à la main, avec des cotons tiges imbibés de pollen, mais, indépendamment du coût d’une telle opération, comment remplacer efficacement toutes ces ouvrières si nombreuses et dures à la tâche, même dans les pays asiatiques où la main d’œuvre est abondante et mal payée ! Songeons qu’une abeille visite 250 fleurs en une heure, y compris dans les endroits les plus inaccessibles, et une ruche peut traiter à elle seule 3 à 5 millions de fleurs en une journée.

En Californie par exemple, on estime que, pour être efficace, il faut implanter six à dix ruches –soit quelque 300 000 abeilles–pour polliniser un hectare d’amandiers ; c’est là que se produit 80 % des amandes récoltées dans monde : ils en sont à 500 000 hectares et ils ont donc besoin de 1 à 2 millions de ruches en même temps sur la période très brève de la floraison (environ 15 jours). Inutile de dire qu’ils vont les chercher de plus en plus loin, sur tout le territoire des USA et même au Canada ! C’est une véritable noria de camions qui sillonnent les autoroutes pour transporter carrément entre la moitié et les deux tiers des ruches de cet immense pays, louées 220 $ chacune. On ne peut tout simplement pas imaginer faire le job avec des dizaines de millions de robots pollinisateurs ! J’ai détaillé ce point dans l’article : « Ce qui se cache derrière le lait d’amandes ».

Des études publiées dans la revue Sciences en 2016 ont avancé que l’abondance des pollinisateurs constitue le critère le plus pertinent pour expliquer celle des récoltes, loin devant d’autres variables comme la date et la densité de semis, la lutte contre les ravageurs, ou la disponibilité en l’eau. Elle peut faire varier les récoltes de 53 %, surtout si on dispose non pas d’une seule espèce de pollinisateur, mais de plusieurs (il n’y a pas que les abeilles mellifères dans la vie !).

D’ores et déjà des scientifiques de l’université d’Harvard ont a pu évaluer à au moins 500 000 morts annuels prématurés par an les conséquences sur l’alimentation et la santé attribuables au déclin des insectes pollinisateurs et aux conséquences en termes de raréfaction et de renchérissement des fruits, légumes et de consommation insuffisante des aliments les plus sains… Or la disparition de l’ensemble des insectes pollinisateurs ferait baisser de 30 % en moyenne, les récoltes alimentaires mondiales.

Le cloporte est mal famé, à tort : détritiphage, il se nourrit de matière végétale en décomposition et recycle ainsi la biomasse. Il s’attaque également aux végétaux vivants, aux racines et aux fruits, sans toutefois menacer l’agriculture. Photo Christian Konig, Futura

Un deuxième rôle fondamental et vital des insectes est celui de décomposeur : lorsqu’un animal meurt ou simplement défèque, tout est décomposé et recyclé par une variété d’organismes, dont de nombreuses espèces d’insectes. Sans l’aide des décomposeurs, les corps morts et les défécations de tous ne feraient que s’empiler, ce qui serait très insalubre et nauséabond. Ceci est aussi vrai pour les plantes qui meurent. Par exemple les larves de certaines espèces de coléoptères ne peuvent survivre que dans l’écorce d’un arbre en décomposition. Avec l’aide de champignons, ils transforment le bois mort en engrais pour de nouvelles plantes. On a d’ailleurs tord d’évacuer systématiquement la totalité des arbres lorsqu’on déforeste, en empêchent le cycle de vie normal et naturel d’aller jusqu’à la décomposition. Heureusement, dans la plupart des parcs et jardins, on laisse dorénavant les arbres mort se décomposer sur place pour favoriser la biodiversité, et le compost des déchets organiques domestiques se développe rapidement.

Parfois appelée « le tigre de l’herbe » en raison de ses mœurs voraces, la Mante religieuse, surnommée « le tigre de l’herbe » se nourrit d’insectes vivants (crickets, sauterelles, papillons, mouches, etc.)  qu’elle attrape avec ses pattes avant et immobilise avant de les dévorer. Photo Wikipedia

Un troisième rôle consiste à contrôler les pestes. Comme chacun sait maintenant, il ne faut pas trop tuer les araignées car elles mangent une quantité de moustiques, et chaque coccinelle peut manger une centaine de pucerons par jour. La libellule, le scarabée, la mante religieuse, la fourmi, la punaise, la mouche, etc. jouent le même rôle.

Au delà de ces « affaires » qui se passent entre insectes, la disparition de ces derniers va compromettre l’existence de très nombreuses autres espèces qui s’en nourrissent.

Fourmis nettoyant le cadavre d’un serpent. Source : Wikipedia

Les oiseaux insectivores bien entendu : hirondelle, merle, moineau, chardonneret, pivert, rossignol, alouette, étourneau, grive, etc. Il est significatif de constater que les rares hirondelles qui nous restent ont plutôt tendance à vivre près des villes, où elles trouvent encore quelques insectes à manger, que dans les plaines céréalières, lesquelles pour elles sont devenues de véritables déserts…

Il y a aussi des reptiles insectivores : lézard, salamandre, serpent, etc. Des mammifères : chauve-souris, hérisson, fourmilier, taupe, souris, musaraigne, etc. Des amphibiens : grenouille, crapaud, triton, etc. Des poissons : carpes, truites, etc. Et même les plantes insectivores ! Et bien entendu on peut ensuite remonter dans la chaine du vivant, avec tous les animaux qui se nourrissent de ces derniers.  

Hérisson, Rougequeue noir, Lézard, Grenouille, Carpe, Hirondelle, et bien d’autres sont en train de disparaître faute de suffisamment d’insectes à manger. Montage de l’auteur à partir de photos Wikipedia, Wikipedia, Wikipedia, Wikipedia, Wikipedia, Wikipedia

Bref, pour notre simple survie, gardons encore un peu d’insectes ! Ne les détruisions pas tous avant même de les avoir connu… et commençons à les élever pour améliorer notre alimentation, comme on le verra dans le chapitre suivant.

C-    Élever des insectes pour s’en nourrir  ?

Nous allons vivre cette contradiction étonnante : à l’heure où les insectes disparaissent massivement de la surface de la planète, avant même que nous fassions connaissance, l’élevage de quelques insectes jugés hyper productifs va se développer de façon considérable. Il va probablement se passer comme pour les mammifères : presque plus d’animaux sauvages ni de biodiversité, mais une multiplication des animaux domestiques, sur un tout petit nombre d’espèces d’insectes, et dans des usines fermées ! Ces usines permettront certainement de mieux nous nourrir, mais surtout indirectement. Et la France, où on n’en mange pas directement, est en pointe dans ce domaine ! Texte paru dans Futura.

Une des manières de limiter (un peu) les dégâts liés à la forte réduction de nombre d’insectes sur terre consisterait à les élever, tout comme on est passé sur terre de la chasse au sanglier et aux alouettes à l’élevage de cochons et de poules, et en mer de la pêche à l’aquaculture. Cette technique est encore balbutiante, mais son développement a maintenant vraiment démarré.

En France, ça ne choque personne de manger des escargots ou des cuisses de grenouilles, ce qui horrifie la plupart des autres habitants de la planète, ou des crevettes et des écrevisses, mais l’idée même de manger des sauterelles ou des grillons, et à fortiori des chenilles ou des fourmis nous révulse. Les habitudes alimentaires étant extrêmement tenaces, il faudra probablement plusieurs générations pour que les restaurants proposent couramment des brochettes de sauterelles à la place de brochettes de bœuf.

La moitié de l’humanité mange couramment ou occasionnellement des insectes

Contrairement à ce qui se passe en Europe, dans de nombreux pays on mange des insectes depuis des siècles, en général de façon traditionnellement artisanale, en les attrapant avec des filets à papillons ! On appelle cela l’entomophagie Là, évidemment, l’activité d’élevage, artisanal ou industrielle va pouvoir se développer en terrain favorable.

Insectes frits sur un marché de Bangkok en Thaïlande.  Source Wikipedia

C’est le cas dans de nombreux pays asiatiques comme la Thaïlande ou la Chine. On y mange des criquet, des sauterelles, des scarabées, des vers de bambou ou à soie, des grillons, des chenilles, des fourmis, etc. En Amérique, cette consommation est aussi courante dans des pays comme le Mexique ou la Colombie. En Afrique, on en trouve presque partout, au Cameroun, au Nigeria, au Burkina Faso, à Madagascar, etc., où on rajoute souvent les termites. Et les aborigènes d’Australie en mangent eux aussi depuis des milliers d’années.

Sandwich avec des chenilles de karité frites au Burkina Faso. Source Wikipedia

À l’échelle de l’humanité, on considère que. 2 milliards d’humains en consomment de façon régulière et 2 autres de façon occasionnelle. On a recensé jusqu’à 2000 espèces consommées, allant jusqu’aux abeilles, guêpes, libellules, cigales, mouches, araignées et scorpions !

On estime qu’actuellement ils représentent jusqu’à 20 % des protéines quotidiennes dans certaines communautés d’Amérique latine et d’Afrique.

Au Cambodge, les mygales se sont révélées être une source de protéines prisée pendant la période des Khmers rouges, qui a vu près de deux millions de Cambodgiens mourir, souvent de malnutrition dans des camps de travail. Futura © Simon, Pixabay, CC0 Creative Commons

Les insectes sont très efficaces pour fournir des protéines alimentaires d’excellente qualité

Le rapport de la FAO de 2013 estime ainsi que « les insectes représentent une bonne opportunité d’associer connaissances traditionnelles et science moderne afin d’améliorer la sécurité alimentaire partout dans le monde ».

Depuis 2008, la FAO soutient le développement de la consommation des insectes en particulier pour prévenir les famines dans de nombreuses régions du monde. Source : FAO

Il faut se rendre compte qu’en matière de protéines animales, la très grande majorité de la population du monde consomme des animaux à sang chaud, en particulier mammifères et oiseaux, : vaches, zébus, moutons, chèvres, cochons, poulets, canards, lapins, etc. Malheureusement, ces animaux, qui se nourrissent essentiellement de végétaux, consacrent une bonne partie de leur ration alimentaire pour simplement se chauffer ! Les insectes, qui sont des animaux à sang froid, n’ont pas cet inconvénient.

De plus, ces mammifères doivent encore prélever largement sur leur nourriture pour fabriquer tout un tas d’organes qui ne servent à rien sur le plan de l’alimentation humaine : des poils, des plumes, des boyaux, des os, des crêtes, des pattes, des becs, etc. Là encore, les insectes, avec leurs exosquelettes, semblent plus efficaces, malgré leurs 6 pattes et parfois leurs ailes. On estime ainsi que 80 % de l’insecte est comestible, contre 55 % du poulet et seulement 40 % du bœuf et du cochon (où pourtant la publicité nous serine que « tout est bon !).

Au total, il faut de l’ordre de 13 à 15 kilos de végétaux pour produire un kilo de viande de bœuf, 6 kilos pour la viande de porc et 4 kilos pour le blanc de poulet, qui est probablement de ce point de vue un des animaux les plus efficaces. Pour les insectes le chiffre se situe entre 1,2 et 2 pour un, soit une efficacité au moins 2 fois supérieure à celle du poulet, et 8 fois à celle du bœuf.

De plus, on peut souvent nourrir les insectes avec des déchets ou des sous-produits de l’agriculture. Par exemple, le célèbre ver de farine n’a pas vraiment besoin de manger de la farine complète, il peut très bien se contenter du son. Il est vrai que si on passe à l’élevage massif d’insectes, on aura pas assez de son pour les nourrir tous et il faudra y consacrer parfois la farine entière, mais on a encore beaucoup de marge.

Autres exemples, des mouches peuvent être utilisées pour réduire les fumiers de bovins et lisiers de porcs et les transformer plus rapidement en engrais et protéines consommables. D’autres insectes peuvent accélérer la cicatrisation des plaies.

Cette différence considérable de productivité, au bénéfice de l’élevage d’insectes, se mesure aussi sur tous les facteurs de production de leur nourriture. Qui dit moins de nourriture, dit aussi moins de surface au sol, moins d’eau, moins d’engrais, moins de pesticides, moins d’énergie, etc.

Par exemple, il faut se souvenir que pour faire pousser un kilo de céréales, il faut disposer d’environ une tonne d’eau. Produire des protéines animales avec 2, 4 ou 8 fois moins de céréales permet d’économiser considérablement l’eau. Or l’approvisionnement de ce liquide vital devient un facteur extrêmement crucial avec le réchauffement climatique, ce qui provoque la montée de conflits de plus en plus important autour de la quantité d’eau qui est prélevée pour l’agriculture. J’ai largement traité ce point dans ma série « De l’eau pour manger s’il vous plait ».

La société Ÿnsect estime ainsi que son ingrédient protéiné à base de larves de scarabées (dites « vers de farine ») requiert 30 fois moins de terre et émet 40 fois moins de gaz à effet de serre qu’un élevage de bœuf, et utilise 40 fois moins d’eau qu’un élevage de porc…

Élevage de cochons en Chine, dans la ville d’Ezhou, à proximité de Wuhan. Capacité de production 650 000 animaux par an sur 26 étages. Capture d’écran, Weibo

En matière de bâtiment d’élevage, le gain est considérable. Même sur les grandes concentrations de mammifères, dites par leurs détracteurs « élevages industriels », qui sont une véritable folie. On se souvient par exemple de cette porcherie de 650 000 porcs sur 26 étages inaugurée récemment en pleine ville chinoise, ou de l’explosion de méthane qui a entièrement détruit la ferme de 18 000 bovins aux USA !

L’explosion dans la ferme laitière Southfork près de la ville de Dimmit (Texas) a tué 18 000 vaches laitières en avril 2023. – Bureau du shérif du comté de Castro

En matière d’élevage d’insectes, la concentration est de règle ; pour les larves, on n’a même pas besoin d’éclairage, et même les défenseurs des animaux n’y voient pas de « maltraitance animale ».

Rappelons que d’ici à 2050, il faudra encore augmenter de 70 % la production de nourriture dans le monde, sans pouvoir augmenter beaucoup les surfaces qui y sont consacrées et avec des problèmes d’approvisionnement en eau de plus en plus aigus. La FAO a bien raison de penser que l’élevage d’insectes risque d’être un outil indispensable pour y arriver : « Une des nombreuses façons de répondre aux problèmes de la sécurité alimentaire humaine et animale est d’envisager l’élevage d’insectes. Les insectes sont partout et ils se reproduisent rapidement. Ils présentent, en outre, des taux de croissance et de conversion alimentaire élevés et ont un faible impact sur l’environnement pendant tout leur cycle de vie. Ils sont nutritifs, avec une teneur élevée en protéines, matières grasses et minéraux. Ils peuvent être élevés à partir des déchets organiques comme par exemple les déchets alimentaires. »

De plus, et il apparaît maintenant clairement que la chair des insectes est excellente pour la santé, car elle est très riche en protéines en acides gras (comparables à ceux des poissons) vitamines, minéraux et oligo-éléments. Par exemple les chercheurs de l’université de Maastricht ont récemment estimé que les protéines de scarabées sont aussi bénéfiques que les protéines de lait ; toutes deux ont les mêmes performances en matière de digestion, de nutrition, d’absorption et de capacité à stimuler la production musculaire. Elles contiennent les neuf acides aminés essentiels, sont digérées efficacement par le corps humain et contribuent à réduire jusqu’à 60 % le cholestérol (« The American Journal of Clinical Nutrition », mai 2021). Des chercheurs français sont eux aussi arrivés aux mêmes conclusions.

De plus, à aujourd’hui, on n’a référencé aucun cas de transmissions de maladies ni de parasites aux humains via la consommation d’insectes. Ils provoquent néanmoins chez certains des allergies similaires à celles des crustacés, donc il faut les mêmes précautions d’usage vis-à-vis de cette catégorie de population.

La France est en pointe dans le développement des élevages d’insectes

Il est donc extrêmement probable que l’élevage d’insectes va se développer considérablement sur la planète dans les prochaines décennies.

Dans les pays européens, où on n’a pas l’habitude de les manger directement, le plus probable est qu’on les utilise principalement de façon indirecte. Les débouchés essentiels seront donc l’insertion des protéines et huiles d’insectes dans la nourriture de nos animaux de compagnie, chiens, chats etc., dont le marché mondial est de 77 milliards d’euros annuels, dont 4 en France ! Et bien sûr celle de nos animaux d’élevage, en particulier porcs, poulets et poissons. Un poulet par exemple mange 4 à 8 kilos d’aliments avant d’aller à l’abattoir, et un porc charcutier plus d’un kilo par jour, avec dans chaque cas un bon tiers de protéines.

Ferme piscicole de saumons. © Sodel Vladyslav, Adobe stock

Rappelons que nous avons en Europe et en France, un retard considérable en matière d’élevage de poissons, qui se développe énormément dans le monde, essentiellement en Chine et en Asie du Sud-Est, alors même que la pêche est maintenant probablement définitivement condamnée par la disparition pure et simple des poissons dans les mers. À terme, comme je l’ai largement expliqué dans mon dossier « Pêcher du poisson, ou l’élever ? », si on veut continuer à manger du poisson, il va falloir l’élever. Or la majorité des poissons sont carnivores, et on ne pourra pas les nourrir exclusivement avec des végétaux. Les solutions actuelles, comme celles qui consistent à épuiser les dernières réserves d’anchois et de sardines dans le Pacifique sud pour nourrir les saumons d’élevage des fjords de Norvège, ne sont absolument pas durables, et la solution consistant à leur fournir des protéines à base d’insectes a probablement beaucoup d’avenir. Il suffit pour s’en convaincre d’observer ce que font les truites lorsqu’elles gobent le moindre insecte qui a l’imprudence de frôler l’eau de nos rivières. Il a par exemple été prouvé que les truites grandissent plus rapidement lorsqu’elles sont nourries avec de la farine d’insectes et que les crevettes ont taux de mortalité nettement diminué…

Un autre chiffre pour illustrer le défi : le soja mangé par les animaux d’élevage en Europe occupe 20 millions d’hectares en Amérique du sud soit l’équivalent de la superficie agricole utile de la France ;  il est évident que ces surfaces ne vont pas pouvoir être augmentées et qu’il faut rechercher d’autres sources de protéines pour nourrir nos animaux.

Barres chocolatées dopées aux protéines d’insectes. Ynsect

Il existe néanmoins une piste pour l’absorption en direct de protéines d’insectes dans notre alimentation : elle passe par l’envie de dépassement de soi des sportifs, qui leurs fait rechercher, à la fois, pour eux-mêmes et pour leurs enfants, des barres chocolatées énergisantes de plus en plus efficaces. On goûte le chocolat et on oublie facilement l’insecte, qui apporte néanmoins un léger arôme de noisette !

Mais on en viendra probablement à terme à des plats emblématiques comme le hamburger ou les sauces bolognaises, où on remplacera la viande de bœuf, qui sera de plus en plus rare, chère et contestée, par des protéines alternatives, à base de végétaux mais aussi d’insectes.

Hamburger et Spaghettis bolognaises à base de protéines d’insectes. Ynsect

Quoi qu’il en soit, surprise, la France, qui a beaucoup de réticence à manger des insectes, a su faire éclore et soutenir le développement de start-up extrêmement performantes, qui sont devenus des leaders mondiaux en matière d’élevage d’insectes.

Usine d’élevage de scarabées « Tenebrio Molitor » à Amiens, avec son bâtiment des reproducteurs (seulement 5 % des larves sont élevées pour devenir des scarabées reproducteurs, qui produisent chacun 250 larves), son écloserie, sa nurserie et atelier d’engraissage des larves. D’une superficie de 45 000 m², elle aura à terme une capacité de production d’environ 200 000 tonnes d’ingrédients par an. Co Ynsect

On peut citer en particulier la société Ynsect, qui est en train de mettre en production début 2023 une énorme ferme (ou usine ?) de production de larves de scarabées (dits « vers de farine ») près d’Amiens, nourris avec le son, sous-produit des producteurs de blé du bassin parisien.

L’usine produit dans 120 000 bacs et en 10 semaines de quoi faire des huiles hyper protéines et des protéines solides qu’elle vend à des entreprises qui formulent la nourriture des « pet-food », des poulets et surtout des poissons, en France et surtout à l’export. Co Ynsect

Cette société multiplie actuellement les accords internationaux avec des partenaires qui reconnaissent son savoir-faire made in France, en particulier aux USA et au Mexique pour la production et en Corée du Sud pour la recherche.

On peut également citer d’autres fleurons hexagonaux, par exemple le toulousain Micronutris, qui a choisi d’élever des insectes comme le Tenebrio molitor (scarabée ver de farine) et le grillon Acheta domestica. Elle estime que ses animaux consomment 7 fois moins de végétaux et 50 fois moins d’eau que le bœuf, et émettent 100 fois moins de gaz à effet de serre ! Elle vend en direct une grande variété de produits apéritifs, mais aussi des barres énergétiques, des crackers, du chocolat, etc.

En île de France, on trouve également près de Melun Jimini’s, qui propose crickets, grillons et molitor, entiers et simplement déshydratés au four à basse température et éventuellement aromatisés, mais aussi des barres, granolas, pâtes et crackers à la poudre d’insectes.

On peut également mentionner Innovafeed, qui annonce employer plus de 350 collaborateurs et avoir développé la plus grande capacité de production d’insectes au monde avec 2 sites de production en opérations en France : Nesle près de Péronne dans la Somme (sur la photo ) et Gouzeaucourt près de Cambrai, Hauts-de-France, et un 3e annoncé aux Etats-Unis.Mais aussi Nexalim (la Compagnie des insectes) ou Mutatec.  Tous trois élèvent prioritairement des Hermetia illucens, ou « mouches soldat », pour l’alimentation animale.
Et n’oublions pas qu’on mange déjà couramment des produits à base d’insectes dans notre alimentation courante. La cochenille est fréquemment utilisée comme colorant par exemple, sous le nom E120 ; on en trouve dans la fraise Tagada, le Coca cola ou les M&M’s. Futura
On mange déjà des insectes sans le savoir ! Insectescomestibles.fr

Bref l’ère de l’élevage d’insectes ne fait que commencer. Cette activité va se développer et dans quelques années ce seront par milliards le nombre de petites bêtes qui se trouveront dans nos fermes-usines… et directement et indirectement dans nos assiettes. Mais elles ne remplaceront malheureusement pas tous leurs cousins malheureusement disparus avant même que nous ayons fait leur connaissance !

A propos BrunoParmentier

Bruno Parmentier : Consultant et conférencier sur les questions d’agriculture, alimentation, faim dans le monde et développement durable. Président ou administrateur d’ONG et de fondations. J'ai dirigé de 2002 à 2011 le Groupe ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Ingénieur des mines et économiste, j'avais auparavant consacré l'essentiel de mon activité à la presse et à l'édition. J'ai eu ainsi l'occasion de découvrir à l'âge mûr et depuis un poste d'observation privilégié les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation, en France et dans le monde. Il en est sorti quatre livres de synthèse, un sur l'agriculture, l'alimentation, la faim et le réchauffement climatique. Des livres un peu décalés, qui veulent « sortir le nez du guidon » pour aller aux enjeux essentiels, et volontairement écrits avec des mots simples, non techniques, pour être lisibles par des « honnêtes citoyens ». Ce blog prolonge ces travaux et cette volonté d'échange. Il est également illustré par une chaine YouTube http://nourrir-manger.com/video
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