2015 agricole et alimentaire, affronter l’incertitude

En fin d’année, il est de tradition de tenter de prédire ce que sera l’année suivante. Dans cet exercice risqué, peut-on cette fois-ci, plus modestement, commencer par se poser de bonnes questions, qui aident à situer les vrais enjeux ?

La Nature aura-t-elle le dernier mot ?

Nous commençons à subir les effets délétères du réchauffement climatique sur la productivité agricole. La France, pays tempéré, est relativement épargnée (elle est classée 133e sur la liste des pays qui souffriront le plus de ce phénomène). Cela dit, l’été 2014, chaud et humide, a provoqué l’apparition de mites et d’insectes parasites dans les plantations d’oliviers méditerranéennes, invasions que les producteurs n’ont pas pu maîtriser. Cela a provoqué une baisse de production mondiale allant d’un tiers à la moitié, et une flambée conséquente du prix de l’huile d’olive. Du coté des pommes de terre, c’est l’inverse qui s’est produit. Auparavant les étés chauds et humides provoquaient le développement d’une moisissure, le mildiou, dont l’impact sur le ravitaillement alimentaire était tel qu’on lui attribue de gigantesques famines, comme celle qui a frappé l’Irlande entre 1845 et 1848 (2 millions de morts !). Maintenant que les fongicides maîtrisent cette plaie, c’est la production qui flambe : 18 % de pommes de terre supplémentaires cette année dans les pays nord européens, ce qui a provoqué un véritable effondrement des cours de ce produit périssable.

2014 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis l’invention des relevés météorologiques, juste devant 2010, 2005 et 1998. Malheureusement, « grâce » à notre inaction, le réchauffement s’accélère ; 2015, année de la Conférence de Paris, sera-t-elle l’occasion de battre ce record ? Si oui, il est évident que conséquences sur l’agriculture seront énormes, cette activité étant étroitement dépendante de la météo. Il est plus qu’urgent qu’elle commence à développer des stratégies de survie dans un monde de plus en plus chaud ! Et de se mettre sérieusement à diminuer ses propres émissions de gaz à effet de serre, qui représentent quand même 25 % du total mondial (20 % en France).

Va-t-on enfin entrer dans le XXIe siècle ?

L’agriculture, tout comme la plupart des autres secteurs économiques, s’est développée à la fin du XXe siècle en utilisant un maximum de ressources non renouvelables : ce que l’on sait très bien faire, c’est produire  « beaucoup, avec beaucoup »… de terre, d’eau, d’énergie, de chimie, de mécanique, etc. et, en plus, par toujours « mieux » ! Au tournant du XXIe siècle, nous nous apercevons que les ressources de notre planète sont dorénavant limitées. Il faut donc impérativement faire une nouvelle révolution technologique pour apprendre à produire « plus et mieux avec moins », ce qui est bien plus difficile… mais aussi bien plus intéressant, une agriculture « écologiquement intensive » qui intensifie cette fois les processus agro écologiques au lieu d’intensifier les processus agro chimiques.

Le problème c’est que chacun a tendance à supplier : « encore une année ou deux, faites-moi une faveur, Monsieur le bourreau » ! Par exemple, on sait bien qu’on utilise beaucoup trop de pesticides dans l’agriculture européenne, tout particulièrement en France, et qu’on pourrait faire aussi bien avec beaucoup moins de ces produits nocifs pour la santé et/ou l’environnement. Le plan ECOPHYTO, élaboré en 2008 par le Ministère de l’agriculture après le Grenelle de l’environnement, prévoyait d’en réduire l’utilisation de moitié. Pour le moment, c’est l’échec : malgré tous les moyens mis en œuvre, non seulement on n’a pas réduit, mais on a augmenté la consommation de pesticides d’environ 5 % par an, et même de 9 % en 2013 ! Et tout porte à croire que ce n’est malheureusement pas en 2015 qu’on va effectuer ce virage absolument nécessaire. On envie de dire : « mais qu’est-ce qu’on attend ? ». On en est encore à des pratiques préventives systématiques, au lieu de mettre en œuvre des batteries de mesures agro écologiques qui rendent beaucoup plus rares les interventions chimiques curatives de dernière chance.

De même la baisse (probablement provisoire) du prix du pétrole en 2015 risque de geler les efforts des agriculteurs pour diminuer fortement, voire arrêter, la pratique du labour ; pourtant il faudra bien un jour abandonner cet usage séculaire et cultiver nos champs 365 jours par an en laissant les vers de terre et les champignons proliférer pour aérer le sol, gratuitement, continuellement et bien plus efficacement que les socs des charrues. On va encore perdre du temps pour passer résolument au XXIe siècle !

La crise va-t-elle finir par nous atteindre ?

Non, nous ne sommes pas vraiment en crise ! Il y a un indicateur très simple de la « vraie » crise : c’est quand les banlieusards arrachent leurs rosiers pour planter des pommes de terre. On a pu voir cela en Grèce, au Portugal et en Espagne… mais pas (encore ?) en France. Pour le moment, on en parle beaucoup, on aime se faire peur, on chemine au bord d’un gouffre plus ou moins imaginaire, mais on n’y est pas. Il est frappant de voir la différence absolument considérable entre l’état économique du pays, qui continue à tourner quand même avec une grande efficacité, et le moral des Français. L’art de trouver que rien ne va, vraiment rien, devient une véritable passion nationale et notre système éducatif basé sur les vertus du doute et de la critique se retourne contre nous. Souhaitons-nous pour 2015 un peu plus de retenue et un peu plus d’objectivité en la matière, et un brin d’optimisme pour retrouver dynamisme et goût d’entreprendre !

Pourra-t-on produire et manger sans régulation ?

Au 1er avril 2015, l’Europe a décidé de supprimer la politique des quotas laitiers. Depuis 1984, elle avait permis de réguler le marché du lait sur notre continent, et ainsi de favoriser nos achats de produits laitiers variés tout en maintenant un tissu riche de fermes traditionnelles réparties sur tout le territoire. Ceux qui nous gouvernent espèrent que Le Marché pourra dorénavant effectuer ce travail, via les contrats entre les industriels et les producteurs. Chacun peut comprendre que cela va accentuer fortement la concurrence entre les producteurs européens, car, bridée depuis des années par un maximum de production autorisée, la majorité peut et va produire davantage, alors que la consommation stagne. Même si on peut espérer exporter davantage en dehors de l’Europe, par exemple en Chine (mais plus du tout en Russie !), il est probable que l’on va plus ou moins rapidement vers un effondrement du prix du lait, et la disparition de milliers de petits producteurs au profit de grandes fermes industrialisées. Il est significatif de voir l’émoi qu’a provoqué en France le projet de ferme dite des « mille vaches », alors que c’est devenu pratiquement la règle dans l’Est de l’Allemagne. Lorsque les petits éleveurs français vont se retrouver en concurrence européenne frontale, ceux qui ne seront pas sur un marché de niche (par exemple la production de fromage d’appellation d’origine contrôlée) vont énormément souffrir. Et d’ici quelques années, la France risque de devenir une grande importatrice de lait ; un comble pour le pays aux mille fromages !

Dans un monde de moins en moins sûr, il est sage, et même impératif, d’imaginer que l’on puisse manger pour l’essentiel des produits cultivés à moins de 500 km de chez soi, et de la manière qui nous plaît. Ceci nécessite absolument une régulation de la production agricole, précaution ancestrale s’il en est. Déjà les empereurs chinois ou romains, et les pharaons égyptiens, avaient compris que si l’on n’ouvrait pas des voies de communication, si l’on ne stockait pas les produits en excédent lors des années de vaches grasses et si l’on ne régulait pas les prix des produits alimentaires, il ne pouvait y avoir de stabilité dans leur pays. Même en France, la pénurie de pain à Paris a été une cause décisive du déclanchement de la Révolution de 1789. La Politique agricole commune a permis depuis les années 60 un développement sans précédent de l’agriculture européenne (et en particulier française), avec différentes méthodes de régulation inventées au cours des âges. Mais maintenant, on ne veut plus réguler du tout, et on risque de constater en 2015 les premiers dégâts provoqués par cette nouvelle mode… Peut-être que cela nous donnera envie de revenir à des politiques plus volontaristes et raisonnables.

De même, au niveau du consommateur, nous savons bien que nos dérives alimentaires sont mauvaises pour notre santé et pour celle de la planète. Nous mangeons trop de viande, trop de lait, trop de sucre, trop de sel, trop de gras, et pas assez de fruits et des légumes de saison, de céréales, de légumineuses, de diversité… Et, disons-le, nous ne dépensons pas assez d’argent ni de temps pour nous alimenter correctement, préférant prendre des risques sur la qualité et augmenter nos dépenses réparatrices de santé, ou celles de gadgets électroniques pas toujours indispensables, tout en passant le minimum de temps au marché et en cuisine. 2015 sera-t-elle une année d’inflexion en la matière ? On boit bien trois fois moins de vin que nos grands-parents des années 50, pourquoi ces évolutions alimentaires devraient s’arrêter ?

Pourra-t-on créer du consensus autour de projets ?

Pendant les « 30 glorieuses », il y avait un consensus national autour de la notion de progrès. Ceci a permis, entre autres, de mettre en œuvre de grands projets d’aménagement du territoire, par exemple en matière d’irrigation pour l’agriculture. Depuis quelques décennies, c’est le reflux : moins de consensus, moins de dialogue, et éloignement croissant du monde des agriculteurs et de celui des écologistes. Du coup, il devient de plus en plus difficile d’imaginer et de réaliser des investissements : installation de nouveaux élevages, infrastructures d’irrigation, méthanisation à la ferme, recherches variétales, création d’équipements touristiques, mesures incitant à la diminution du transport par camions, etc. Le dialogue devient extrêmement difficile et des oppositions se font de plus en plus virulentes, avec l’apparition de militants passés en quelques années de l’internationalisme prolétarien à l’écologie radicale, et qui réussissent à geler les projets quasiment à chaque fois.

En 2015, la situation pourrait bien se durcir encore du fait de l’impopularité record du gouvernement, qui l’empêchera de statuer sereinement et avec autorité, et de tous les débats autour du réchauffement de la planète qui ne peuvent que radicaliser les militants. Comme en plus, la situation économique n’aidera pas à l’investissement, gageons que 2015 sera une année très atone en la matière. Or, il est absolument certain que n’allons pas pouvoir avancer si nous n’investissons plus, dans une situation de concurrence internationale de plus en plus exacerbée, en agriculture comme dans tous les autres secteurs… Même s’il convient, plus que jamais, de bien réfléchir aux tenants et aboutissants de chaque investissement et de créer préalablement du consensus autour.

2015, année de profonds changements malgré tout ?

En attendant que le ciel hexagonal s’éclaircisse, chacun peut quand même appliquer ces gestes simples pour booster sa santé, sa bourse et son cadre de vie… et utiliser « la crise » à son avantage : manger moins de viande, davantage local, jeter moins, recycler plus, laisser sa voiture au garage. Et, de ce point de vue, on peut néanmoins conclure sur une note d’optimisme. Lorsque les idées ont longuement muries, les changements concrets peuvent se mettre en place très rapidement. Songeons par exemple à la généralisation du tri des ordures ou à l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Or l’idée que la Terre est finie, ses ressources limitées et qu’elle se réchauffe dangereusement a beaucoup progressée dans les têtes ! Finalement, et malgré tout, 2015 pourrait bien être une année de profonds changements dans nos manières de vivre.

 

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Mildiou et pomme de terre, famine ou faillite ?

La pomme de terre, originaire des hauts plateaux andins, froids et secs, supporte mal les étés chauds et humides. Elle est alors très sensible à une maladie « cryptogamique » causée par un microorganisme, qui attaque également, entre autres, la tomate et la vigne : le mildiou. Celui-ci se manifeste par des taches brunes ou une apparence de moisissures blanches et cotonneuses, suivies d’un flétrissement général de la feuille, puis de toute la plante. Le tubercule atteint pourrit rapidement, tout en dégageant une odeur désagréable et forte.

Dans une période relativement récente, le mildiou… tuait ! Le cas le plus spectaculaire se produisit en Irlande entre 1845 et 1848. La production de pommes de terre, aliment de base de la population, passa de 14 000 à 2 000 tonnes. Les décès par anémie, malnutritions et sous-nutritions engendrèrent une épidémie de choléra, et les colons anglais eurent une attitude inqualifiable : ils expulsèrent les paysans incapables de payer l’impôt sur leurs terres, refusèrent d’utiliser les réserves alimentaires de l’armée, et maintinrent les exportations irlandaises de nourriture : des convois de nourriture appartenant aux landlords, escortés par l’armée, continuaient à partir vers l’Angleterre. Pire : ils refusèrent ou diminuèrent l’aide internationale ! Résultat : l’Irlande passa de 8 millions à 4 millions d’habitants ; on estime que près de 2 millions de personnes périrent, et autant émigrèrent aux Etats-Unis, mais aussi en Australie, en Nouvelle Zélande et au Canada. Et la haine de certains irlandais envers les anglais est restée vivace.

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Le mémorial de la famine témoigne encore à Dublin de cette catastrophe nationale

Aujourd’hui, on sait traiter le mildiou, et on ne risque donc plus la famine ! Y compris en agriculture biologique, où les fongicides à base de sulfate de cuivre ou d’iode, ou encore de bicarbonate de soude avec du savon à vaisselle font merveille, sans oublier les fongicides de synthèse pour les non bios.

Mais… un nouveau phénomène apparaît lors des étés chauds et humides comme l’été 2014 : l’augmentation de la productivité à l’hectare, aux conséquences également désastreuses, non plus pour la vie des consommateurs, mais pour les revenus des producteurs. En effet la plante, lorsqu’elle n’est plus attaquée, profite largement de ces conditions climatiques.

Dans l’Irlande du XIXe siècle, la productivité à l’hectare était de l’ordre de 3 tonnes (et, en 1846, elle était tombée à seulement 1 tonne). Entre 1960 et 1990, en France, le rendement moyen était déjà passé de 20 à 33 tonnes. En 2000 il avait encore grimpé à 42 tonnes ; en 2013 on en était à 45 tonnes. En cette année 2014, chaude et humide, on a dépassé les 50 tonnes en France, et même les 56 tonnes en Belgique !

On peut ainsi mesurer les progrès accomplis par l’agriculture : actuellement l’agriculteur qui sème 2 tonnes de pomme de terre en récolte 25 fois plus (en moyenne, certains ont des pointes à 40 fois plus !). Rappelons que, pour le blé, on en est à un facteur de 80 : 100 kilos de semence, 8 tonnes de récolte !

Mais le problème est que la pomme de terre, contrairement au blé, ne peut pas être conservée d’une année sur l’autre. Du point de vie de sa commercialisation, elle ressemble davantage au légume : une mauvaise récolte ou une légère baisse de la consommation provoque une envolée des prix, et, à l’inverse, les bonnes années, les prix chutent brusquement. Car en plus, facteur aggravant, les cours soutenus depuis quelques années ont incité les producteurs à augmenter les surfaces de production. Résultat, dans les pays producteurs du Nord-ouest européen, la production totale est passée de 24,2 millions de tonnes à 28,6 (+ 18 %), alors que la demande n’a absolument pas bougé.

Pommes de terre

150 des 3 000 variétés de pomme de terre sont cultivées en France,

mais on n’en consomme plus qu’un kilo par semaine.

En fait, la demande n’a cessé de baisser dans les pays riches comme les nôtres, au fur et à mesure que le niveau de vie augmentait. Au sortir de la guerre, on en consommait encore 152 kilos par habitant, aujourd’hui entre 50 et 55 kilos (moitié en direct, moitié sous forme de produits industriels type purée, frites surgelées ou chips). Et on ne voit pas ce qui pourrait la faire remonter de façon significative, hormis une grave crise économique. Rappelons à ce sujet que nous ne sommes pas vraiment en crise : les banlieusards n’ont pas encore arrachés leurs rosiers pour planter des pommes de terre dans leur jardin !

Résultat, le prix de vente de la pomme de terre de consommation, qui était de l’ordre de 300 € la tonne en 2012, et 200 € en 2013, est tombé entre 35 et 90 € la tonne en cette fin d’année 2014, prix qui parfois ne paye même plus le coût de la récolte ! Inutile de dire que les producteurs sont… préoccupés.

Et, malheureusement pour eux, une organisation européenne des producteurs qui gèlerait une partie de la production (par exemple en ne la récoltant pas), pour obtenir le maintien des cours à des niveaux raisonnables, ou bien organiserait le stockage d’une année sur l’autre sous forme de produits transformés, ne semble pas pouvoir se mettre sur pied. En quelque sorte ils sont les victimes de leur succès agronomiques, et de leur individualisme !

Mais, avec le réchauffement de la planète les « années à mildiou » (maîtrisé) seront de plus en plus fréquentes, et, vu les progrès de la génétique, les rendements vont continuer à augmenter. Il faudrait peut-être songer à une meilleure organisation des producteurs non ?

En revanche on peut espérer qu’au moins les restaurants du cœur et autres banques alimentaires vont être largement servis !

  1. Chiffres : Comité national interprofessionnel de la pomme de terre CNIPT et Union nationale des producteurs de pomme de terre UNPT (merci à François-Xavier Broutin)
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Manger de la viande réchauffe énormément la planète

Article publié sur le site Atlantico le 17 décembre 2014 sous le titre :

Dérèglement climatique : pourquoi vous tenez Évelyne Dhéliat au bout de votre fourchette

Atlantico : Le débat autour du dérèglement climatique évoque bien souvent les émissions de gaz à effet de serre émanant des moyens de transport, ou encore de l’industrie lourde. Dans quelle mesure l’agriculture ou encore l’élevage participent-ils également à l’émission globale de ces gaz ?

Bruno Parmentier : L’agriculture mondiale est responsable à elle seul du quart des gaz à effet de serre émis par l’homme sur la planète ; un peu moins en France (mais quand même environ 20 %, comme on peut le voir sur ce récent rapport officiel). C’est effectivement un point qui est peu mentionné dans la presse, en particulier parce qu’on se focalise souvent sur le seul gaz carbonique CO2, lequel ne représente que 10 % des gaz à effet de serre émis par ce secteur (les émissions proviennent pour l’essentiel des pots d’échappement des tracteurs et autres camions utilisés). La moitié des dégâts provient du protoxyde d’azote (N20) issu des déjections animales et de la fertilisation azotée. En poids brut, nous parlons là d’émissions beaucoup plus modestes, mais comme ce gaz est 298 fois plus réchauffant que le gaz carbonique, ses effets sont considérables. Les 40 % restants sont émis sous forme de méthane (CH4) provenant de la fermentation des végétaux (soit chez les ruminants, en particulier les « pets et les rots » des vaches, soit dans le sol, ou en milieu humide comme par exemple les rizières) ; là aussi les quantités sont moindres, mais leur pouvoir réchauffant est 25 fois plus important…

On voit que l’élevage est fortement concerné ; en fait il l’est triplement : par les émissions directes issues de la digestion ou des déjections, mais aussi indirectement parce que près de la moitié des céréales produites dans le monde et les trois quarts des protéines végétales (soja, colza, etc.) sont destinés aux animaux, et enfin par le transport de ces énormes tonnages de nourriture vers les étables, porcherie et poulaillers ; des experts ont ainsi estimé que le seul transport de la nourriture pour les animaux élevés en Grande-Bretagne entraînait la consommation de 1,6 milliards de litres d’essence. Au total l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture provient en fait du seul élevage, soit environ 14 % du total émis en France.

Méthane vache

Une vache laitière en élevage intensif produit 90 kilogrammes par an de méthane issu sa digestion, contre quelque 35 kg pour un bovin de pays en voie de développement. Au total, 74 millions de tonnes de méthane sont « éructées » chaque année dans l’atmosphère par les animaux d’élevage. Par comparaison, l’industrie n’en dégage « que » 65 millions de tonnes 

Atlantico : Selon un rapport publié début décembre aux Etats-Unis (voir ici), le public serait sous-informé sur l’impact climatique d’un régime alimentaire comprenant des produits issus d’animaux. Que peut-on dire sur l’évolution de la consommation de ces derniers produits depuis une cinquantaine d’années au niveau mondial ? Celle-ci concorde-t-elle avec l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ?

Bruno Parmentier : Lorsque le professeur Mark Post, l’inventeur du hamburger entièrement synthétique rappelle qu’un « carnivore qui se promène à vélo est beaucoup moins écologiste qu’un végétarien qui roule en 4/4 », il a parfaitement raison !

Viande et effet de serre

Or la consommation mondiale de viande a littéralement explosé depuis 50 ans ; en effet, dans toutes les cultures, dès qu’on sort de la pauvreté le premier réflexe est de manger et de donner à manger à ses enfants ce que ses grands-parents ne pouvaient pas se payer, à commencer par les produits animaux : viande, œuf et lait, la combinaison pouvant différer d’un pays à l’autre (par exemple les musulmans ne mangent pas de porc, et les Chinois boivent peu de lait), mais le mouvement est absolument général. La Chine de Mao, avec ses 700 millions de chinois, ne pouvait offrir que 14 kilos de viande par personne et par an. Aujourd’hui les 1,3 milliards de celle Xi Jinping en consomment plus de 60 kg. La Chine a donc multiplié par huit sa consommation de viande en quelques dizaines d’années, et est devenu, de très loin, le pays le plus consommateur. Et également le plus gros producteur ; la moitié du milliard de porcs de la planète sont chinois, ainsi que 4,4 milliards de poulets (contre « seulement » 200 millions en France).

Ce phénomène est mondial ; en 1950, on a produit 44 milliards de tonnes de viande, aujourd’hui on en produit 280 milliards. Il faut imaginer qu’on abat plus de 1 000 animaux chaque seconde sur terre…

Cette augmentation gigantesque de la production animale dans le monde n’est évidemment pas sans rapport avec l’augmentation concomitante des émissions de gaz à effet de serre…

Atlantico : En quoi la spécificité des régimes français actuellement participent-ils à ces émissions de gaz à effet de serre ? Où nous positionnons-nous sur ce point par rapport aux autres pays ?

Bruno Parmentier : En moyenne, un Français consomme actuellement 85 kg de viande de 90 de lait par an. C’est environ deux fois plus que son grand-père (on consommait de l’ordre de 45 kg de chacun de ces produits dans les années 50), et trois fois plus que son arrière-grand-père (de l’ordre de 25 kg dans les années 30). Pour rendre ces chiffres plus concrets, songeons qu’en une vie, nous consommons chacun environ 7 bœufs, 33 cochons, 9 chèvres et moutons, 1 300 volailles, 60 lapins, 20 000 œufs et 32 000 litres de lait. Vue comme ça, il est légitime de se demander si la gastronomie française est bien raisonnable ! Elle ne l’est ni pour notre santé (cet excès de produits animaux est probablement une des causes de l’augmentation de la fréquence des maladies du type cancer, artériosclérose, diabètes, obésité, etc.), ni pour celle de la planète. Ce n’est pas parce que les Américains en consomment beaucoup plus, de l’ordre de 125 kg par an et par personne, que nous pouvons éviter de réfléchir à cette question.

Il importe donc de baisser fortement notre consommation de produits animaux. De la même manière que nous avons fortement baissé notre consommation de vin (dans les années 50, nos grands-parents éclusaient 140 litres de vin par an et par personne, contre seulement une quarantaine aujourd’hui). Mais nous pouvons observer qu’il y a encore des viticulteurs : après les manifestations violentes des années 50 ou 60 à Carcassonne et Narbonne, ils ont fini par s’adapter en nous expliquant : « vous voulez en boire moins, ce sera que du bon, que du cher »… Et il n’y a plus de « piquette » dans ce pays ! De la même manière, il serait souhaitable que, dans 20 ou 30 ans, nous mangions beaucoup moins de viande et beaucoup moins de lait, mais « que du bon que du cher », ce qui permettrait aux éleveurs non seulement de survivre, mais également de vivre mieux. Et à la planète également !

Atlantico : A quoi ressemblerait alors un régime équitable, responsable du point de vue de son impact climatique, sans pour autant faire une croix sur les aliments issus d’animaux ?

Bruno Parmentier : La vérité est rarement dans le tout ou rien ; en l’occurrence, il ne s’agit pas de passer, sauf choix personnel motivé par des considérations éthiques, d’un régime excessivement carné un régime carrément végétarien. Il s’agit de manger mieux. Chacun le sait, même s’il n’en tire pas toujours les conséquences, manger mieux c’est d’abord moins : moins de viande, de lait, de sel, de sucre, de matières grasses ! Et plus de céréales, de légumineuses (les plantes qui contiennent beaucoup de protéines végétales comme les haricots, lentilles, pois chiche, soja, etc.), de fruits et de légumes (de saison), et de diversité. Finalement ce n’est pas si difficile, et c’est essentiellement l’imagination qui nous manque et la volonté d’inventer des chemins nouveaux en apprenant de nouvelles recettes. Les prêtres catholiques nous avaient bien convaincu qu’il ne fallait pas manger de viande le vendredi, pendant le carême et l’avent etc., et il ne s’agit que de revenir à ces préceptes sages, mais cette fois-ci pour des motifs sanitaires et écologiques !

On peut déjà commencer par réaliser qu’il est inutile d’offrir un plat de viande à des amis que l’on reçoit chez soi le soir, puisqu’ils en ont déjà mangé au déjeuner ; ce qui manque actuellement, c’est le savoir-faire pour réaliser un bon plat de résistance sans viande. Et puis, même à midi il n’est pas indispensable de manger chaque jour de la viande, et en quantité excessive. 100 g de viande quatre fois par semaine, (mais de la bonne, de la chère !), plus une fois du poisson et deux fois des protéines végétales, ça n’est aucunement un programme triste, insipide et rabat-joie ! Et si nous pouvons manger en plus pour l’essentiel des produits de saison qui ont été cultivés à moins de 100 km de chez nous, ainsi que des animaux intégralement nourris avec des végétaux européens, ça diminuera d’autant les transports (une étude a montré qu’en moyenne aux États-Unis des aliments parcourent 2 400 km avant d’arriver dans l’assiette du consommateur). Et enfin, cerise sur le gâteau, pourquoi ne pas augmenter la proportion de bio dans notre assiette, ça diminuera notre consommation indirecte d’engrais et de pesticides très énergitivores, et donc producteurs de gaz à effet de serre. Des conseils à méditer au moment où nous allons prendre de bonnes résolutions pour l’année prochaine !

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Voir NOUS et l’eau mardi 16 décembre sur France 2

J’ai participé au film documentaire qui est passée mardi 16 décembre à 20 h 45 sur France 2, au cours de l’émission « NOUS, La France et l’eau ».

En fait j’ai passé 5 heures en juin dernier à enregistrer une déambulation dans un marché parisien avec Marie Drucker, pour parler de « l’eau virtuelle » (combien d’eau a-t-il fallu utiliser pour produire les différents aliments). Ils ont repris quelques minutes à la fin du film (avant dernière séquence). Le produit final n’est pas mal ; voir par exemple la critique de Télérama.

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Le prix du pétrole baisse, quelles conséquences pour l’agriculture et l’alimentation ?

Le prix du baril de pétrole, qui dépassait 100 dollars depuis plusieurs années, a brusquement chuté en dessous de 60. Il faut remonter à la fin 2008 pour retrouver une baisse similaire (restée ponctuelle), et plus généralement  avant 2007. Nul ne sait encore si cette baisse, largement provoquée par l’Arabie Saoudite pour mettre à mal un certain nombre d’économies de pays (à commencer par celle de l’Iran) et rendre moins compétitive la concurrence des gaz de schiste nord-américain, va durer. Si jamais elle persistait, quelles en seraient les conséquences sur l’agriculture mondiale ?

Prix du pétrole 94-2014

Evolution du prix du pétrole sur 20 ans – Dollars par baril

Source : Federal Reserve Bank Economic Data

Il y en aura forcément, car notre alimentation est très énergétivore, à tous les stades, de la fourche à la fourchette. Les temps ont bien changé depuis l’époque où l’énergie solaire faisait pousser d’immenses forêts, sans aucune aide des humains, forêts qui se sont transformées au cours des temps géologiques en gisements de pétrole, de gaz et de charbon. Mais aussi depuis une époque, pas si lointaine, où l’essentiel de l’énergie utilisée dans l’agriculture était fournie par les humains et les animaux (on estime qu’au début du XXe siècle, un tiers de la surface agricole française était consacré à produire la nourriture pour les animaux de trait). Depuis ce secteur, comme tous les autres secteurs industriels, s’est développé énormément en utilisant l’énergie fossile de façon intensive. Aujourd’hui, on mange grâce l’utilisation combinée de l’énergie solaire nouvelle (la photosynthèse) avec l’énergie solaire ancienne, stockée dans notre sous-sol.

Faisons une rapide revue de détail.  Tout d’abord le labour, symbole s’il en est de l’agriculture depuis des siècles : dans la pratique, labourer 1 hectare consiste à remuer 4 000 tonnes de terre à l’aide de 15 à 40 litres de fuel, suivant la nature du sol. L’augmentation du prix du fuel ces dernières années incitait les anciens « laboureurs » à devenir de modernes « éleveurs de vers de terre », ces derniers se révélant autrement plus efficaces et beaucoup moins onéreux que les tracteurs. Ce changement en cours, fondamental et indispensable, risque d’en être retardé. « Encore une ou deux (ou dix) saisons de labours, Monsieur le bourreau », avant d’affronter l’inéluctable : cultiver sans labour, en « semis direct » ou avec des « techniques culturales simplifiées ». La France accuse un net retard sur cet aspect, et elle risque malheureusement de le conserver.

Mais l’essentiel de la consommation énergétique n’est pas là, elle est d’abord dans les engrais minéraux. Tout d’abord ceux à base d’azote, fabriqués pour l’essentiel à partir de gaz naturel. Entre 1960 et 2010, les surfaces plantées en céréales dans le monde n’ont pratiquement pas augmenté, mais la production, et donc la productivité a triplé, en bonne partie grâce ou à cause d’une consommation d’engrais multipliée par… neuf. Ce qui n’a pas empêché un appauvrissement généralisé de la fertilité des terres. Les autres engrais, principalement le phosphore et le potassium (mais aussi le soufre et le magnésium), sont des produits miniers, qui s’épuisent et donc verront donc leurs prix augmenter de façon structurelle.

Epandage d'engrais

Les agriculteurs français consomment à peine moins de 10 millions de tonnes d’engrais minéraux chaque année, et épandent 75 kg d’équivalent azote par hectare fertilisable.

On peut espérer que cette manière de fertiliser les sols sera moins onéreuse en 2015, ce qui sera plutôt bon pour leurs comptes d’exploitation. Mais à moyen terme, est-ce pour autant une bonne nouvelle ? En effet il est urgent de trouver d’autres manières de fertiliser les sols, plus durables, grâce à l’utilisation des légumineuses qui captent naturellement l’azote (luzerne, haricot, pois, soja, lentille, fève, féverole, lupin ; etc.). Cela peut se faire avec davantage de rotations de ce type de plantes, mais aussi des semis de légumineuses entre les récoltes de céréales, ou même le semis direct en mélange céréales-légumineuses. Les engrais minéraux pas chers constituent provisoirement une véritable solution de facilité, mais seulement à court-terme.

Les pesticides (insecticides, fongicides, herbicides) sont également une sorte de concentré d’énergie. Là aussi la baisse du prix du pétrole risque de provoquer une détente sur ce marché, et donc de retarder la plus que nécessaire baisse de l’utilisation, fort déraisonnable en France, de ces produits…

Autre poste énergétique important : les serres chauffées. Elles vont connaitre probablement une baisse de leurs charges, mais, sur le fond, là aussi il importe de trouver des solutions alternatives durables, en particulier l’utilisation de la chaleur résiduelle d’autres activités : les serres de l’avenir se situeront certainement autour d’installations industrielles comme les centrales électriques, nucléaires ou thermiques, ou d’unités de production de biogaz productrices d’électricité, etc., mais certainement pas « au milieu de nulle part ». Là aussi, « encore un instant, Monsieur le bourreau ! ».

En revanche, avant que le prix de l’électricité ne soit revu à la baisse, et que, par exemple, l’irrigation ou les transformations agroalimentaires coûtent moins, il risque de s’écouler pas mal de temps.

Et, pour terminer, on peut espérer un certain ralentissement du coût du transport. Pas énorme car, rappelons-le, le prix de l’essence à la pompe est d’abord constitué d’impôts et de taxes, et, comme nos Etats sont fauchés, ils n’y renonceront pas. Ce poste est important dans l’économie de l’élevage, qui pourrait là trouver un petit ballon d’oxygène dont il a bien besoin… Mais sur ce point aussi, ce sera quand même reculer pour mieux sauter : il importe absolument d’aller vers des relocalisations de la production agricole au plus près du consommateur, et, en matière d’élevage, de n’élever à terme que les animaux qu’on pourra nourrir avec des végétaux de la région (et donc de se passer purement et simplement de l’importation de soja d’Amérique du Sud). On a ainsi estimé que le transport de la nourriture des seuls animaux élevés en Grande Bretagne, consomme 1,6 milliards de litres d’essence, et qu’aux USA, en moyenne, la nourriture parcourt 2400 km avant d’arriver dans l’assiette du consommateur ! L’allégement des charges de transport pourra donc probablement avoir un effet positif sur les comptes d’exploitation de nombre d’agriculteurs et d’éleveurs, mais il va aussi continuer à accentuer la concurrence internationale, d’autant plus intense que le transport est bon marché ! Il n’est donc absolument pas sûr que cela favorise in fine l’agriculture française !

Bref, la baisse conjoncturelle du prix de l’énergie est à court terme plutôt une bonne nouvelle pour les pays importateurs d’énergie, et les secteurs consommateurs de ces pays, dont l’agriculture en France. Mais elle ne doit pas nous faire oublier que l’énergie coûtera inéluctablement de plus en plus cher et qu’il faut donc dès maintenant apprendre à produire de façon beaucoup moins énergétivore. De ce point de vue, l’agriculture est un secteur comme les autres qui ne doit pas perdre de vue l’objectif final : apprendre à survivre dans une autre donne mondiale.

Sans compter le fait que la consommation accrue d’énergie fossile continue d’accélérer le réchauffement de la planète. Et que sur ce point, l’agriculture est à la fois une grande accélératrice du phénomène et une de ses premières victimes. Elle produit environ le quart des gaz à effet de serre dans le monde (et à peu près 20 % en France). La moitié se trouve sous forme de protoxyde d’azote (N20) issus des déjections animales et de la fertilisation azotée, 40 % sous forme de méthane (CH4) provenant de la fermentation des végétaux ( soit chez les ruminants, soit dans le sol), et les 10 % restant sous forme de gaz carbonique (CO2) émis par les tracteurs et autres machines agricoles, et les transports. Moins l’énergie sera chère et plus l’agriculture continuera à émettre. Mais à l’inverse, c’est elle qui supporte en premier lieu les effets délétères et de plus en plus dévastateurs de ce réchauffement, en particulier : augmentation de la violence des cyclones et des tempêtes, aggravation des canicules, disparition des deltas fertiles des fleuves, avancée des déserts sur les savanes, pénurie d’eau (ou excès), hausse des risques sanitaires pour les plantes et les animaux, migration des cultures d’une région à l’autre et affaissements des rendements.

Au total, si la baisse du prix de l’énergie nous permet de moins souffrir financièrement à court terme, n’oublions pas qu’il faut rapidement et hardiment relever les défis industriels du XXIe siècle. Ne nous en servons pas d’excuse pour retarder les mutations indispensables.

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Le Banquet des ordures

Face au gaspillage alimentaire, le « Magasin général Darwin » de Bordeaux, lieu alternatif dédié aux « futurs souhaitables » a organisé, dans le cadre de la manifestation gastronomique bordelaise So Good un débat sur le gaspillage alimentaire, auquel j’ai participé, plus un banquet très original, confectionné par le grand chef Philippe Etchebest, uniquement à partir d’aliments considérés comme des déchets, avec un titre provocateur Le Banquet des ordures. Je me suis absolument régalé du Risotto de boulgour au poisson du bassin et sa crème de crustacés à l’estragon, du Pot au feu de veau vert pré du Périgord au tandoori, et du crumble de pommes Gala avec une chantilly Granny Smith et sa gelée de pommes reinettes. L’occasion de participer à la collecte des Banques alimentaires de la Gironde (lesquelles nourrissent 33 000 personnes par jour à travers une centaine d’associations, respect !).

Bravo pour cette initiative symbolique, qui rejoint celle de l’immense banquet anti gaspi de 7 000 personnes donné à Lille en octobre dernier par 4 grands chefs, là aussi avec uniquement des aliments de récup, qui a été filmé par M6.

Les ordures passent à table

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RV télé sur la Chaîne Parlementaire

Rendez-vous à la télévision sur La Chaîne Parlementaire (Public Sénat) pour un débat sur le poids que fait peser la spéculation mondiale sur la capacité des gens à se nourrir, après l’excellent film de Jean Crépu « TRADERS, le marché secret des matières premières » :

Samedi 29 novembre à 22 heures ou Dimanche 30 novembre à 18 heures

Mais aussi : dimanche 7 à 10 h, ou mercredi 10 à 12 h 30, ou dimanche 14 à 9 h

On peut aussi voir le film (sans le débat) ici :

http://replay.publicsenat.fr/emissions/documentaire/traders,-le-marche-secret-des-matieres-premieres/145878

https://www.youtube.com/watch?v=xmgRafdvr7w

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Pourquoi vous allez payer votre huile d’olive beaucoup plus cher

Article Paru sur le site Atlantico le 24 novembre 2014

L’année 2014 a été une année particulièrement difficile pour les producteurs européens d’huile d’olive. Printemps trop chaud, été trop humide… Les conditions météorologiques auraient favorisé l’apparition de mites et d’insectes parasites.

Huile olive

Fritures sur la ligne – La bouteille risque de coûter plusieurs euros de plus !

Atlantico :  La production espagnole d’huile d’olive aurait chuté de moitié, l’italienne de 35%, et la grecque de 57%. Quelles conséquences peut-on prévoir suite à cette diminution, et notamment en termes de prix ?

Bruno Parmentier : Bien évidemment, quand les trois plus grands producteurs mondiaux voient leur production chuter dans de telles proportions les prix ne peuvent que flamber ! En effet, la production est très concentrée en Europe, qui représente 73 % de l’huile d’olive consommée dans le monde, et les stocks ne sont pas tels qu’ils puissent absorber cette importante variation. De plus, il est évidemment impensable pour les producteurs de, comme on dit, « réagir aux signaux du marché » car l’olivier n’est aucunement un rapide, c’est un durable, tout le contraire de notre société agitée : il faut attendre environ 7 ans pour faire sa première récolte, et sa maturité n’arrive qu’au bout de 20 à 30 ans ; en revanche, on peut le récolter pendant plusieurs siècles !

Atlantico : Cette crise de l’olive est-elle représentative d’un phénomène plus large ?

Bruno Parmentier : On ne peut jamais être sûr qu’un incident climatique ponctuel comme celui de cette année soit représentatif de réchauffement de la planète. Cependant, le doute existe. Nous aurons bien évidemment à l’avenir d’autres printemps chauds et d’autres étés pourris, qui favoriseront inéluctablement l’arrivée de maladies fongiques et d’insectes indésirables (ici la mouche de l’olive et la teigne de l’olivier). Or la culture de l’olivier est très liée au climat méditerranéen tel qu’il existe depuis 10 000 ans. Cela fait 6000 ans en qu’on a commencé à domestiquer cette plante dans cette région, profitant en particulier de sa grande résistance à la sécheresse. Mais cet arbre résiste mal à l’humidité, à la grêle, aux gelées printanières, et aux vents trop chauds au cours de la floraison (en mai et juin). Si le climat méditerranéen change profondément, il n’est pas sûr que l’on ait le temps de trouver une parade rapidement (évolution génétique, traitements chimiques, etc.). Il faut bien que les pays du Nord, qui sont à l’origine de l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre, finissent eux aussi par se rendre compte qu’elles auront des conséquences très concrètes, et pas seulement dans les pays tropicaux !

L’huile d’olive pourrait donc bien devenir durablement plus rare et plus chère… À l’image par exemple du café : certains experts estiment par exemple que les caféiers arabica risquent de pâtir fortement de la multiplication des périodes de fortes précipitations et de sécheresses prolongées et que le rendement mondial de cette plante pourrait baisser de 38 à 90 % d’ici la fin du siècle !

Mais à moyen terme on pourrait également voir les zones de production de l’olivier remonter sensiblement plus au nord de l’Europe…

Atlantico : Des prix en forte augmentation signifient-ils pour autant que la consommation européenne va s’écrouler durablement ? 

Bruno Parmentier : A ce stade, il est difficile de faire des prédictions. Les Français consomment beaucoup plus d’huile d’olive depuis quelques années, mais ils n’en sont qu’à environ 1,5 litres par personne et par an, beaucoup moins que les Grecs (20 litres) ou les Espagnols et les italiens (12 litres). D’un côté on peut donc se dire que quelques euros de plus sur le prix du litre ne va pas les ruiner, d’autant plus que cette huile est associée au luxe et à la santé, qui n’ont, comme chacun sait, pas de prix. D’un autre côté, la concurrence reste féroce avec les autres huiles : colza, tournesol, voire arachide (qui a presque disparue de nos cuisines), ou soja, palme, pépins de raison, maïs, etc., qui vont évidemment tenter de profiter de la faiblesse momentanée de leur concurrent. Mais, à court terme, une fois qu’on aura écoulé les stocks, s’il n’y plus de d’huile d’olive dans les rayons, mécaniquement la consommation va baisser pendant un temps. Et la pénurie de matière première risque d’acculer à la faillite et à l’arrêt d’activité un certain nombre d’industriels… On va donc voir des regroupements de transformateurs et de commerçants, car, dans ces cas-là, les gros mangent souvent les petits !

On ne sait pas encore non plus si c’est la consommation d’huile, ou celle d’olives elles-mêmes qui va souffrir le plus…

Mais chacun sait que les consommateurs restent, eux, très volatils. S’ils changent d’huile de cuisine à cause de l’augmentation du prix de l’huile d’olive en 2015, ou des pénuries, rien ne prouve que ce soit définitif et si la récolte 2015 redevient correcte et les mêmes rapports de prix se rétablissent en 2016, ils pourraient bien revenir rapidement à leur structure de consommation antérieure, tant pour l’huile que pour l’olive elle-même.

En tous les cas il y a certainement un secteur qui va profiter de cette crise : c’est celui de la communication et la publicité !

Atlantico : Johnny Frantoio, producteur d’huile d’olive en Italie a récemment expliqué le phénomène selon lequel lorsque le prix de l’huile d’olive augmente quelque part autour de la méditerranée, tous les autres pays producteurs voyaient également leurs prix augmenter. Comment l’expliquer ?

Bruno Parmentier : Il y a très peu de pays producteurs de cet or jaune : l’Espagne assure près de la moitié de la production mondiale, l’Italie et la Grèce ensemble le quart. Il est bien évident que si la production faiblit dans l’un de ces trois pays, cela affecte fortement le marché mondial, d’autant plus que les traditionnelles quatrième et cinquième pays producteurs, la Syrie et la Tunisie, connaissent des problèmes politiques qui limitent frottements leur accès au marché mondial. Dans un marché aussi concentré, un problème climatique se répercute évidemment au niveau mondial. Et ce n’est pas la France, qui ne représente guère que 0,2 % de la production mondiale (et qui importe 90 % de sa production de ces trois pays), qui peut influer en quoi que ce soit.

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Interview vidéo sur Faim zéro

Une nouvelle interview télé à deux voix, enregistrée à Toulouse en octobre 2014 en marge d’une conférence, autour de mon livre FAIM ZERO (12 minutes), qui constitue une excellente introduction à sa lecture :

http://vimeo.com/110591414

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Pourquoi les crevettes que vous achetez sont rarement ce que l’étiquette vous en dit

Article publié le 4 novembre 2014 sur le site Atlantico

Crevettes

30% des crevettes que nous mangeons ne sont pas celles que nous croyons !

Atlantico : Alors que le groupe environnemental américain Oceana affirme que 30 % des crevettes vendues aux Etats-Unis présentent une erreur d’étiquetage et qu’en France la répression des fraudes (DGCCRF) a été amenée en 2012 à donner 817 avertissements (28 %) sur les 2 927 contrôles portant sur l’étiquetage des produits de la mer et d’eau douce, quelle proportion de problèmes d’étiquetage des crevettes concernent la France ?

Bruno Parmentier : La fraude est malheureusement vieille comme le monde ! Un gouvernement responsable doit donc la limiter au maximum ! Obliger les vendeurs de nourriture à apposer une étiquette sur leurs produits constitue un premier acquis, mais contrôler fréquemment et inopinément la véracité des informations imprimées sur les étiquettes se révèle tout aussi utile. Rappelons-nous que dans le scandale des raviolis au cheval roumain, il y avait bien des étiquettes réglementaires sur les produits finaux, sauf qu’elles indiquaient « bœuf en provenance de la communauté européenne ».

Le commerce mondial de la crevette tropicale est très important ; la production mondiale est passée de 2 à 4,3 millions de tonnes de 2003 à 2012. Chacun peut comprendre que, plus un produit franchit de frontières, plus il est difficile à tracer et plus la fraude s’épanouit. Par exemple le pays de provenance sur l’étiquette est le dernier par lequel le produit a passé. La Thaïlande, qui a souvent mauvaise presse en la matière, fait souvent franchir plusieurs frontières à ses produits pour « noyer le poisson » !

Au total, on peut avoir à la fois des provenances qui ne sont pas les véritables, des allégations mensongères, par exemple « crevettes sauvages ou lieu d’élevages », et des noms espèces qui ne sont pas les bons…

Mais, moins en France qu’ailleurs, car nos contrôles restent plus fréquents et plus efficaces. Et les contrôles de provenance ne sont pas les plus importants, les sanitaires restent autrement plus décisifs ! Sur ce plan, on semble bien protégés en France, on a tiré d’excellentes leçons des scandales précédents, et on ne déplore pratiquement plus jamais de gros problèmes. La majorité de ceux qui restent sont d’ailleurs situés en bout de chaine (en particulier mauvaise hygiène et mauvais respect de la chaine du froid en restauration, surtout saisonnière).

Atlantico : Comment expliquer que les étiquettes déforment aussi fréquemment les origines des crevettes, l’espèce et la méthode de production ? Quelle est la législation en la matière en France et quelles sont les failles concernant la loi sur les étiquetages ?

Bruno Parmentier : Il est bien évidemment interdit de tricher. Tout le monde est content quand on a écrit une législation, qui reste néanmoins toujours perfectible. Une fois qu’on a dit ça, les bonnes questions à se poser ce sont « que fait la police » ! Et « a-t-on la police qu’on souhaite dans ce pays » et encore « veut-on la conserver, la développer ou la réduire en période de crise » ? Et notre attitude à ce sujet dépend énormément de la conjoncture : dès qu’un scandale semble pointer, on devient tous extrêmement exigeants et vindicatifs, mais entre temps… on pense à autre chose !

Version pessimiste : la fraude existe et existera toujours parce qu’elle rapporte gros ! Le prix au kilo peut varier fortement suivant l’attitude du consommateur, et certains sont donc tentés d’obtenir illégalement ce qu’ils ne peuvent avoir « à la loyale »… Mais on peut aussi avoir une version plus encourageante : on découvre mieux les fraudes qu’auparavant, et donc on a l’impression qu’il y en a davantage, alors qu’en fait on mesure l’efficacité des systèmes de contrôle publics et d’alerte démocratique, dont celui des associations environnementales comme Océana ! Exerçons donc une vraie pression sur nos gouvernements, et rejoignons les associations !

Atlantico : Alors que les crevettes d’élevage provenant essentiellement du deuxième producteur mondial qu’est la Thaïlande peuvent contenir une quantité importante de produits chimiques impropres à la consommation humaine mais aussi des antibiotiques, quels sont les risques pour la santé chez les consommateurs ?

Bruno Parmentier : Oui, les exploitations « industrielles » de crevettes tropicales en pleine mer, qui détruisent les mangroves et fragilisent le littoral, en particulier en cas de tsunamis, génèrent également d’énormes problèmes sanitaires, dans des mers chaudes et propices à la multiplication des microbes et virus. D’où en particulier le recours très fréquent aux antibiotiques, qui provoquent une accoutumance préoccupante chez le consommateur, amoindrissant ses défenses potentielles en cas de maladies graves chez lui. Sans parler des effets allergènes, ou des produits conservateurs à base de sulfites, ou de la concertation en mercure et autres métaux lourds…

On peut également évoquer la « contamination sociale » : de nombreuses ONG dénoncent régulièrement des pratiques d’esclavage en cours sur de nombreux bateaux de pêche asiatiques qui fournissent le poisson servi comme nourriture dans les élevages de crevettes…

Manger est et restera toujours une activité à risques !

Atlantico : A quelles conditions la France pourrait-elle résoudre ses problèmes d’informations sur la provenance et l’origine des crevettes et plus généralement des produits de la mer ?

Bruno Parmentier : Une des voies qui commencent à être explorées consiste à se lancer dans l’élevage de crevettes tropicales… en France même, où les contrôles et la traçabilité seront plus faciles. Bien entendu pas directement dans la mer, les nôtres sont trop froides et il faut élever les crevettes dans une eau à 28°. En fait sur terre au bord de la mer, par exemple en Bretagne, dans des bâtiments à énergie positive, parfaitement isolés, et maintenus à température avec de l’énergie solaire, éolienne et géothermique. A l’intérieur, de nombreux petits bassins, pour pouvoir résoudre les problèmes sanitaires. Et comme nourriture de base les algues (on en produit beaucoup en Bretagne…), les restes de poisson des conserveries, et les restes des légumes locaux. Un projet très prometteur se monte actuellement à Roscoff. Et quand on trouvera sur nos étals de la bonne crevette tropicale parfaitement locale et tracée, on aura fait un pas décisif !

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