Manger moins de Nutella pour sauver la planète ?

Interview pour le site ATLANTICO, le 18 juin 2015

Ségolène Royal a décidé de s’attaquer à l’huile de palme en recommandant de ne plus manger de l’emblématique Nutella pour éviter la déforestation… avant de rétropédaler et d’envoyer ses excuses aux italiens et au fabriquant Ferrero, en disant reconnaître ses efforts en faveur de l’environnement. De quoi s’agit-il exactement ? Dans quelle mesure s’agit-il d’une huile mauvaise pour la santé ?

Le Nutella fait périodiquement la une des journaux et constitue pour les Français une excellente tête de Turc ! Ce produit d’origine italienne est vendu massivement en France : 84 000 tonnes par an, le quart de la consommation mondiale. L’usine normande de Villers-Ecalles en produit 155 millions de pots chaque année, le tiers de la production mondiale. Ce petit pot emblématique jouit d’un quasi-monopole dans notre pays puisqu’il représente 80 % des ventes de pâte à tartiner (mais heureusement il reste encore le miel et la confiture !). Si ce produit est très populaire pour les goûters de nos enfants, il ne l’est pas auprès de nombre d’intellectuels, qui font une fixation sur lui, plus que sur les autres produits phares du Groupe Ferrero (Rocher, Kinder, Mon Chéri, Tic-Tac, etc.). Il est devenu pour eux un symbole de la malbouffe et des dérèglements de l’agroindustrie.

On lui a récemment reproché, en 2008 de déforester et de provoquer l’extinction des orangs outans, en 2009 de contenir des phtalates, en 2011 d’écrire indûment sur ses publicités « bon pour la santé », etc. ; en 2012 le Sénat a failli voter un amendement « Nutella » triplant la taxe sur l’huile de palme, etc. C’est dans cette foulée que notre Ministre de l’écologie s’est laissé récemment aller à un dérapage lors d’une intervention à la télévision.

Bien entendu, il n’y a pas de doute, cette pate est très mauvaise, diététiquement parlant : c’est un véritable concentré de sucre et d’huile, plus des noisettes, du cacao et du lait, en gros de tout ce qui fait grossir, et elle est fortement additive ! Nul doute qu’elle est une des causes de l’obésité de certains enfants…

Elle utilise massivement l’huile de palme au détriment d’autres huiles concurrentes. En particulier à cause de son onctuosité : elle est semi-solide à température ambiante, son point de fusion se situe entre 35 et 42°C, et elle est stable à la cuisson, ce qui facilite son travail en usine, elle a un goût neutre et ne rancit pas. Elle représente donc un excellent substitut au beurre et autres graisses d’origine animale, et elle est végétale, contrairement aux margarines.

Du coup, Nutella est loin d’être le seul à vouloir rechercher ces qualités, ce qui fait que l’huile de palme est dorénavant présente massivement dans nos chips, croûtons, soupes, biscuits, lait pour bébé, sardines en boîte, bouillon de poulet, mayonnaise, sauce tomate, céréales, chocolat, glaces, fromage râpé, sauces, crèmes fraiches, pâtes à tartes, plats préparés, biscottes, brioches, biscuits salés et sucrés, etc. C’est ainsi que, de 15,2 millions de tonnes en 1995, la production mondiale d’huile de palme est passée à près de 60 millions en 2014.

Malgré cela, la consommation d’huile de palme des Français n’est « que » de 2,8 grammes par jour (3,3 g/j chez les 3-14 ans), ce qui ne représente en moyenne que 4% de l’apport en acides gras saturés chez les adultes et 7% chez les enfants ! Nutella est donc une sorte de tête de turc commode (et italienne !) d’un phénomène beaucoup plus large : les Français mangent beaucoup trop de sucres et des matières grasses, en particulier de matières grasses saturées (mais aussi sel, de viande, de lait et d’alcool…). Et l’obésité ainsi que d’autres maladies liées à une alimentation trop riche, comme le diabète ou l’athérosclérose, ne cessent d’augmenter dans notre pays.

Et pour la planète ? Quelles autres huiles pourraient remplacer éventuellement l’huile de palme ? Que sait-on sur leur culture (déforestation ou pas, besoin d’eau etc.) et leurs conséquences sur la santé ?

Palmiers à huile

Le palmier à huile a besoin de 7 à 10 fois moins de surface plantée pour produire autant d’huile que le soja

L’un des avantages de l’huile de palme est son excellente productivité à l’hectare, nettement supérieure à ses concurrents directs (soja, colza et tournesol) : à condition de bien sélectionner les terroirs … La différence est beaucoup plus faible en matière de productivité à l’heure de travail, car le soja ou le colza se cultivent sur d’immenses champs avec une forte mécanisation, alors que la récolte est encore manuelle sur le palmier à huile. Mais justement elle est produite dans des pays à faible coût de main-d’œuvre !

Or on a produit en 2012 54 millions de tonnes contre 43, 24 et 14 millions d’huiles de soja, colza et tournesol (et seulement 3 d’olives !). Il est donc plus que probable qu’on aurait utilisé beaucoup plus de surface si l’on avait préféré consommer d’autres huiles que celle de palme… En particulier on sait qu’en Amérique latine, l’expansion du soja pose aussi beaucoup de problèmes environnementaux.

deforestation-borneo

On déforeste en Indonésie l’équivalent d’un terrain de foot toutes les 15 secondes. Ici l’ile de Bornéo

Compte tenu de la très grande concentration de la production d’huile de palme, qui provient à 85 % de deux pays, l’Indonésie et la Malaisie, la déforestation a été massive dans ces deux pays, ce qui pose évidemment d’énormes dégâts environnementaux. Mais la forte pression de différentes O.N.G. comme Greenpeace, a cependant pu être efficace auprès de grandes entreprises comme Ferrero, qui, soucieuses de leur image auprès du consommateur européen, ont fait de gros efforts dans les dernières années pour respecter la charte RSPO (Roundtable for Sustainable Palm Oil). On trouve sur le site de Greenpeace Philippines l’appréciation élogieuse suivante (ce qui est loin d’être le cas des autres entreprises analysées) :

« Ferrero a mis en place une des politiques les plus progressives du secteur contre la déforestation et a défini un programme ambitieux pour 2015 pour sa mise en œuvre. Il s’est engagé à la traçabilité pour toute l’huile de palme qu’il utilise dans ses produits et planifie de rapporter publiquement sur ses réalisations tous les six mois ».

D’où le rétropédalage de notre Ministre !

D’une manière générale, l’augmentation massive du nombre de membres de classes moyennes sur la planète, en particulier dans les pays émergents comme la Chine ou l’Inde induit une pression totalement inédite sur les ressources naturelles, car la première manifestation de l’augmentation du niveau de vie, c’est le changement des habitudes alimentaires, pour des aliments à base de viande, de lait, de sucre et de matières grasses.

Il est donc particulièrement crucial que dans les pays où on mange trop, on réduise le plus rapidement possible la consommation exagérée de ces produits. De ce point de vue, à la fois pour notre propre santé et pour la santé de la planète, la Ministre a parfaitement raison, un peu moins de Nutella serait excellent, mais aussi moins de sucreries d’une manière générale, et aussi moins de viande et moins de produits lactés !

Quelles autres menaces apparaissent avec l’huile de palme ?

Derrière les grands enjeux de la malbouffe issus, entre autres, de la trop grande consommation de sucre et de matières grasses, et ceux du réchauffement climatique aggravé par la déforestation, on peut évoquer à ce sujet au moins deux autres menaces.

Les terres cultivables sont une denrée très rare sur la planète : on n’y cultive qu’environ 12 % des terres immergées ! Le reste est trop chaud, froid, sec, inondé, en pente, érodé, pollué, urbanisé, etc. Il est donc extrêmement important de garder un maximum de ces terres en état de produire de la nourriture. Il faut donc limiter les dégâts de l’urbanisation ; rappelons qu’en France on neutralise actuellement un département agricole tous les sept ans ! Mais il convient aussi de réserver les terres à la production de nourriture et non pas de biocarburants. Les conflits nouveaux du type « réservoir d’essence des riches contre l’assiette des pauvres » pourraient mener au désastre. Non pas qu’il ne faille pas produire de biocarburants, mais il faut réserver le meilleur du meilleur de la nature, le grain (de maïs, de colza, de palmier) à la nourriture, et passer de plus rapidement possible aux biocarburants de deuxième génération, fabriqués à partir de la plante elle-même et non pas de son grain. Là, on peut imaginer des arbitrages plus raisonnables : une partie des végétaux pour nourrir les animaux, une partie pour fertiliser la terre, et une partie pour les voitures. Ne cédons pas à la tentation de continuer à déforester massivement dans le Sud-Est asiatique, en Afrique tropicale ou en Amazonie pour produire des biocarburants pour nos voitures !

Culture-palmiers Indonésie

La monoculture du palmier en Indonésie aujourd’hui

Et de la même manière, cessons d’exproprier des dizaines de millions de petits paysans des pays du sud pour récupérer leurs terres au profit d’investisseurs asiatiques, américains ou européens qui y implantent une agriculture très mécanisée, très consommatrice de ressources rares comme l’eau, et dirigée essentiellement vers l’approvisionnement alimentaire des pays riches. Ce phénomène de pillage des terres, « Land grabbing », véritable néo colonisation, a pris une ampleur considérable depuis le début du XXIe siècle, et s’est encore accéléré après la crise alimentaire de 2007. La FAO a estimé que 80 millions d’hectares ont ainsi changé de mains entre 2005 et 2010, soit près de quatre fois l’équivalent de la surface agricole français ; l’O.N.G. Oxfam a même avancé le chiffre de 227 millions d’hectares entre les contrats avérés et ceux en cours de négociation. Nous courrons là à un désastre qui pourrait coûter très cher en termes de paix mondiale.

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Il n’y a plus de déchets, juste des matières premières

Lors d’un récent séjour à Albi pour une conférence, j’ai pu visiter l’école des mines d’Albi, et son magnifique centre de recherche RAPSODEE sur les solides divisés, l’énergie et l’environnement. Un centre relativement récent qui s’est donc positionné au cœur d’un problème fondamental du XXIe siècle : les ressources non renouvelables s’épuisent et il faut donc changer notre regard sur les déchets ; il n’y a plus de déchets à vrai dire il n’y a plus que les matières premières !

Ange Nzihou

Ange Nzihou, directeur, montre comment ils travaillent de façon très innovante sur la valorisation des boues des stations d’épuration et des déchets agricoles ainsi que sur la mise au point de nouvelles solutions de chauffage à énergie solaire.

Ils mettent au point des combustibles et de matériaux à propriétés contrôlées, via des procédés à haute efficacité énergétique et environnementale, et ce à partir de biomasse issue de cultures dédiées ou de biomasse résiduaire plus ou moins contaminée par des polluants métalliques et/ou organiques. Un exemple spectaculaire : ils arrivent à récupérer les poteaux téléphoniques en bois et les traverses en bois de la SNCF, qui étaient jusque-là inutilisables tellement ils sont bourrés de produits chimiques ; après broyage et distillation, ils séparent le bois, réutilisable alors en granulés pour les chaufferies, de tous ces produits chimiques dont la revente un par un paye l’ensemble du processus.

Autre secteur d’activité : avec la société RAGT énergie, ils sont devenus des experts en biocombustibles (des centaines de matières premières, issues de toutes sortes de bois et de biomasse agricole). Ceci leur permet de produire des agro pellets standardisés pour les fabricants, installateurs et utilisateurs de chaudières bois, incluant à chaque fois des additifs spécialisés pour être sûr d’avoir la sortie des vraies cendres en poudres facilement évacuables et non pas du mâchefer.

Agro pellets

On peut faire des combustibles avec les déchets de coton, de maïs, de riz, de cacahuète, et de toutes sortes de bois ou de sciures, encore faut-il maîtriser le processus jusqu’en sortie de chaudière !

Un autre axe de recherche : la conception et le développement de nouveaux procédés durables (plus intenses, plus économes, plus respectueux, plus sûrs) pour la fabrication de poudres très spécifiques à haute valeur ajoutée pour la pharmacie (par exemple enrobage de médicaments qui permette leur libération programmée dans l’estomac) et pour l’agro-alimentaire.

C’est rassurant de côtoyer ainsi des inventeurs enthousiasme du XXIe siècle !

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Exposition universelle de Milan : hors sujet !

Après Séville en 1992, pour le 500e anniversaire de la Découverte de l’Amérique, Hanovre en 2000, sur les économies d’énergie et d’espace, Shanghai en 2010 sur la « meilleure ville, meilleure vie », le thème retenu cette année était « Nourrir la planète, énergie pour la vie », un thème à ne pas manquer, en théorie ! La prochaine sera en 2020 à Dubaï.

Expo universelle, vue générale

Bonjour la démesure : 3 milliards d’euros d’investissement, 70 000 emplois créés, 29 millions de touristes attendus (160 000 par jour) 145 pays exposants, etc.

Eh bien, sur le fond, c’est très très décevant ! Au-delà du choc de la mégalomanie et des performances architecturales successives, les exposants n’ont rien de consistant à dire au public.

Déjà, comme tout est évidemment en italien, une langue finalement peu parlée dans le monde, tout est doublé en anglais, mais l’idée générale est que moins il y aura de texte mieux on se portera. Bref en fait le thème récurrent, c’est de tenter dire avec une débauche d’images animées « Venez, venez dans mon pays, il est très beau et on y mange bien » ; on est en face d’une gigantesque foire de promotion touristique mondiale, mais sur le vrai thème : comment allons-nous faire pour nourrir tout sur cette planète et pour résorber la faim dans le monde, il n’y a pratiquement rien !

Expo universelle, pavillon France

Pavillon de la France, original et beau certes, mais aussi insignifiant que les autres ! Enfin on y vante notre pain, nos vins et notre gastronomie…

Expo universelle, pavillon Chine

Le pavillon de la Chine avec son tapis de fleurs, mais… pas grand-chose dedans

Expo universelle, pavillon Israel

et celui d’Israël, avec son magnifique mur végétal de céréales et ses essais de propagande derrière

Israël par exemple a un message un peu sur vendeur à faire passer : c’est nous qui avons inventé l’irrigation, et un pays qui rassemble 0,015 % de la population mondiale a ainsi fortement contribué à son alimentation, vous voyez bien qu’on est des pacifiques ! A la sortie, malaise ! Evidemment ils n’allaient pas parler de leur politique d’accaparement de l’eau de la région, ni des difficultés à se nourrir dans la bande de Gaza !

Et toutes les dictatures de la planète rivalisent de séduction et d’amabilité. On est à Disneyland, tout le monde est beau et gentil, le Paradis est vraiment sur Terre, et d’ailleurs personne n’a faim sur cette planète !

Quand on va dans le pavillon des plus grands pays agricoles comme la Chine, les États-Unis ou le Brésil, le message est creux de chez creux. Aux États-Unis par exemple, on vous détaille les différentes sauces régionales pour faire le barbecue et les subtilités du hamburger. Le Brésil en est réduit à proposer un gigantesque filet d’escalade pour que les visiteurs daignent monter à l’étage, où on ne trouve évidemment rien qui fâche, les inconvénients des OGM, la déforestation, les paysans sans terre, et rien non plus sur les belles réalisations sociales comme leur programme « Faim zéro », pourtant au cœur même du sujet (mais on ne va pas avouer que certains brésiliens mangent mal quand même). La France évidemment vend son pain à travers une boulangerie, sa gastronomie et ses vins ! Finalement, le pavillon que j’ai le plus aimé, c’est celui du Vatican : lui il n’a pas de tourisme et de bonne chère à promouvoir, et du coup il est presque le seul à parler des vrais problèmes.

Soyons honnête : je n’ai pas fait la queue pour entrer dans le pavillon de la Coca Cola ni dans celui de Mac Do, aussi grands que ceux des pays, et je ne peux pas en parler doctement ! Mais au fait, pourquoi sont-ils là, pourquoi voit-on partout des pubs pour Ferrero ?

Bref, on peut se passer d’y aller, surtout plusieurs jours, d’autant plus que Milan ne regorge pas de monuments touristiques, à part sa belle cathédrale, le Duomo.

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Moins de gâchis dans les supermarchés, poursuivons nos efforts !

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Manger c’est bien, jeter ça craint !

On jette 280 kilos de nourriture par personne et par an !

L’Assemblée nationale vient de voter à l’unanimité un amendement qui limite fortement le gaspillage alimentaire des invendus des supermarchés. Ils ne pourront plus les jeter après les avoir javellisé, mais devront, soit les donner à des associations humanitaires, soit les transformer en nourriture pour animaux ou en compost. C’est un début, relativement facile et un tout petit peu démagogique, qui montre en passant que l’image des supermarchés n’est pas excellente dans l’opinion publique de ce pays, et que leur capacité de lobbying n’est plus ce qu’elle était…

La mesure ne sera pas très simple à mettre en œuvre concrètement : il faudra aider les associations pour qu’elles s’équipent en camions, réfrigérateurs et locaux de stockage, et augmentent fortement leur capacité de distribution.

Mais… ce n’est qu’un début : on estime que le gâchis alimentaire à charge des supermarchés ne représente qu’environ 5 % du total, et il avait déjà fortement diminué dans beaucoup d’enseignes. Il va falloir maintenant continuer en s’occupant aussi des 95 % restants !

Rappelons que la FAO nous dit que nous gâchons à peu près le tiers de la récolte mondiale de nourriture soit 1,3 milliards de tonnes de nourriture chaque année ; est-ce bien raisonnable en cette période de crise au niveau mondial et alors qu’il reste encore plus de 800 millions de personnes qui ont faim ? Tentons de prendre la mesure de l’ensemble du problème.

Tout d’abord un chiffre de base : nous introduisons chacun 1 tonne d’aliments dans notre bouche chaque année, dont approximativement 600 kg de liquide et 400 kg de solide. Restons sur ces 400 kg de nourriture solide (un peu plus d’un kilo par jour), on peut en fait estimer qu’en face on jette 280 kg de nourriture ! Cette énorme quantité de déchets se divise en gros en trois parties égales :

  • Le premier tiers est jeté à la ferme ou dans les opérations de transport, et ne rentre même pas dans les statistiques officielles : si une carotte rencontre un caillou en poussant, elle devient tordue, et elle est jetée puisqu’il paraît que le consommateur en veut des droites ; les melons trop gros ou trop petits sont également écartés puisqu’il en faut des « calibrés » ; les pommes sur lesquelles un insecte a fait une tache, ou les cerises effleurées par une pie, sont abandonnées sous les arbres puisqu’il faut des fruits parfaits ! On estime que dans les pays industrialisés, le calibrage imposé par les distributeurs génère près de 20 % de pertes.

Notons au passage que suivant la maxime : « lorsqu’on achète un produit on achète le monde qui va avec » le consommateur qui, au supermarché, choisit une par une ses pommes, mais aussi ses prunes et même ses cerises ne se rend pas compte que d’une part il provoque en amont une véritable épuration de tous les fruits qui ne sont pas d’apparence parfaite, mais aussi que bien entendu il incite le producteur à multiplier ses doses d’insecticides puisque le moindre insecte qui se pose sur le fruit risque de signer son arrêt de mort…

5 fruits et légumes moches

Les récentes campagnes pour sensibiliser le public à la consommation de « fruits et légumes moches » sont une première réponse à ce gâchis qui peut représenter 40 % de la production !

Autre exemple, le poisson : lorsque les chalutiers industriels jettent leurs immenses chaluts pour racler le fond de la mer, ils remontent tout ce qui s’y trouve, et donc ils sont amenés à jeter une bonne partie de ce qu’ils remontent : les poissons trop petits, trop gros, ceux dont la pêche est interdite, ou qui ne trouveront pas preneur sur le marché ; et bien entendu, malheureusement, la plupart ne survivront pas à ce traitement de choc… En 2003, l’Académie des sciences estimait qu’au niveau mondial le poids des rejets de la pêche s’élevait entre 16 et 40 millions de tonnes, soit entre 20 et 50 % des quantités débarquées.

Mentionnons également les transports, qui donnent lieu à une multitude de chocs fatals pour des produits périssables. Au total, on peut estimer à une centaine de kilos par français ce premier gâchis que personne ne voit, puisqu’il n’atteint même pas les lieux de vente.

  • Le deuxième tiers est gâché au stade de l’industrialisation et de la commercialisation. Les usines agro-industrielles travaillent avec des cadences impressionnantes, et, dès qu’il apparaît le moindre problème sur les chaînes de fabrication, on est amené à jeter la production sortie entre le début du problème et le moment on s’en aperçoit ; ce sont donc des tonnes de pain de mie qui ne sont pas parfaitement carrés, de pizzas tordues ou de fish fingers arrondis qui partent à la benne !

Viennent alors effectivement les supermarchés, objet de la récente attention des pouvoirs publics : imaginons-en un qui fait rentrer une grosse quantité de brochettes à la veille d’un week-end du mois de juillet où il se met à pleuvoir ; le lundi, il est bien obligé de jeter les brochettes qui n’ont pas fini en barbecue ! Nous participons largement à ce scandale car depuis que nous sommes rassasiés, nous sommes devenus des obsédés de la date limite de consommation (qui n’a pas été chercher le yaourt tout au fond du rayon, pour gagner quelques jours sur la date ?). Et, bien entendu, chacun se protège par peur des procès et on jette une quantité impressionnante de produits laitiers ou de plats cuisinés qui n’ont pas trouvé preneur à quelques jours de la date limite de consommation, sans oublier le pain puisque personne n’achète plus de pain de la veille, ou les filets d’oranges ou d’oignons dont un des éléments est pourris… Au total, tout cela représente autour de 90 kg par personne et par an, et il sera intéressant de voir ici quelques années l’effet réel et concret des nouvelles mesures…

  • Le troisième tiers est celui qui est le plus proche du consommateur, à la consommation. A commencer par le gâchis dans les restaurants, puisqu’il est dorénavant hors de question d’y accommoder les restes. On jette ainsi de façon totalement déraisonnable dans les hôpitaux, les restaurants d’entreprise, les cantines scolaires, etc. ; rappelons que par exemple les producteurs de cochon n’ont plus le droit depuis bien longtemps d’aller faire la sortie des cantines des collèges et lycées pour récupérer les restes de salsifis ou de choux de Bruxelles que nos adolescents refusent de manger (alors que c’est encore ce qui se passe en plein centre de Pékin ou de Shanghai…). Cela représente au moins 40 kg par personne et par an.

Gâchis dans les cantines scolaires

Exemple de campagne de sensibilisation au gâchis dans les cantines scolaires

Et puis on jette également à domicile autour de 40 kg, ce qui représente, mine de rien, plus de 400 € par personne et par an. Déjà 7 kg d’aliments non déballés, jetés dans leurs emballages d’origine. Citons par exemple les yaourts, que les fabricants tentent de nous vendre par lots de 16, 8 ou au minimum 4 ; eh bien, dans notre pays, lorsqu’on achète 4 yaourts, on n’en mange que 3 ! Pour le quatrième, on est parti en week-end et la date était dépassée, il finit à la poubelle ! Chacun peut d’ailleurs faire pour lui-même à tout moment l’inventaire de son réfrigérateur, la machine dans laquelle on met beaucoup d’énergie pour stocker toute la semaine ce qu’on jettera le dimanche soir ou la veille du départ en vacances… Ensuite on jette une dizaine de kilos de fruits et légumes passés, à peu près autant de restes de produits animaux, viandes et laitages qui atteignent la date de péremption, beaucoup de pain rassis (qui mange encore le célèbre « pain perdu » de notre enfance ?), etc. Sur ces 40 kg jetés par personne et par an, une dizaine sont peu visibles car ils finissent dans les égouts ou les composts qui se multiplient, mais il en reste encore une trentaine dans les vraies poubelles municipales.

On va dire pudiquement que nous avons en France… de larges marges de progrès ; le fait qu’il y ait des pays encore pire (genre les USA) ne doit pas nous dédouaner. Mais il faudra une véritable révolution dans les têtes, et les efforts considérables à tous les niveaux que nous puissions réellement progresser ! Rappelons-nous pour commencer que lorsqu’on achète un produit, on achète le monde qui va avec. Aujourd’hui, nous achetons du gâchis ! Et demain que choisirons-nous d’acheter, individuellement et collectivement ; ferons-nous nôtre un des slogans du Ministère : « Manger c’est bien, jeter ça craint »  ou bien « Manger c’est cool, gâcher c’est les boules » ?

Enfin, il ne faut pas confondre le gâchis du Sud et le gâchis du Nord. Au Sud, on perd essentiellement à la récolte, faute d’équipements de stockage et de transport adéquats. Lorsqu’on n’a pas de silos pour stocker son grain ou ses fruits et légumes, surtout dans les pays chauds et humides où tout pourrit très vite (et a fortiori de tanks à lait réfrigérés pour stocker son lait), on est obligé de devenir partageux : une partie de la récolte pour les rats, d’autres pour les moisissures, le vent, les oiseaux, les voleurs, etc. Bien entendu, il en reste peu à la fin puisqu’on a perdu en moyenne au moins un tiers de ce qui nous avait tant coûté de produire. Notons par exemple que jusqu’à présent l’Afrique dans sa globalité a toujours produit assez de nourriture pour nourrir les Africains. Mais que faute de silos, de camions et de routes, il n’a jamais été possible de nourrir les zones de pénurie ou de famine avec les excédents produits dans d’autres régions… Si nous sommes conséquents avec nous-mêmes, soutenons en Afrique de grands programmes de construction de silos et de tanks à lait réfrigérés à énergie solaire (voir par exemple http://www.africasolarfood.org/).

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La pomme de terre va-t-elle nous sauver une nouvelle fois de la faim ?

Article paru sur le site Atlantico le 10 mai 2014

Nourrir le monde entier, on en rêve mais est est-ce réalisable? Peut-être! En effet, des scientifiques hollandais auraient trouvé le moyen de cultiver des légumes dans de l’eau.  Voir par exemple ici. C’est une révolution qui pourrait -peut-être- contribuer à résoudre la faim dans le monde.

ATLANTICO : Pourquoi essayer à tout prix de faire pousser des plantes dans des terres salées ?  

Jusqu’à présent, la présence de sel dans la terre représente un inconvénient majeur pour l’agriculture. Très peu de plantes s’accommodent du sel ; généralement ce dernier s’introduit dans les cellules et les dessèchent. Pourtant certaines plantes possèdent naturellement cette fonction que l’on peut qualifier de « ça oui-ça non» (je prends l’eau mais pas le sel), par exemple celles qui poussent dans les mangroves au bord des mers tropicales, ou des champignons qui vivent dans les eaux de la Mer morte, ou encore les prairies salées du Mont St Michel… Mais malheureusement, ce sont en général des plantes qui ne sont pas comestibles, comme en France l’herbu et la salicorne ou, dans les pays tropicaux, l’épinard indien, le potiron doux, le gombo et le kangkong (liseron d’eau).

Or la quantité de terres salées, et donc devenues impropres à l’agriculture, s’accroit très fortement depuis de nombreuses années, à raison de 2 000 hectares par jour : terres arides et irriguées mais mal drainées (l’évaporation fait remonter le sel situé dans les profondeurs), terres inondées d’eau de mer lors de tempêtes ou cyclones, terres subissant une remontée d’eaux de mer dans leur sous-sol à la suite de l’assèchement des nappes phréatiques, etc. On estime qu’actuellement on a ainsi perdu près de 20 % des terres irriguées sur la planète, dans des régions comme les vallées du Gange et de l’Indus, de la Rivière jaune ou de l’Euphrate. Au total on est passé de 45 à 62 millions d’hectares de terres brulées par le sel depuis le début des années 90, soit l’équivalent de la superficie de la France ! Et vu le coût important de la désalinisation, qui consiste pour l’essentiel à lessiver ces terres avec de grandes quantités d’eau douce, on ne voit pas très bien des pays comme le Pakistan, la Syrie et l’Irak, ni même la Chine et l’Inde, se lancer à grande échelle dans de telles opérations.

Il faut donc privilégier la voie de la recherche de plantes adaptées à cette situation : si on réussissait à remettre ces terres en culture avec des plantes comestibles (céréales, légumineuses, tubercules) on marquerait incontestablement une victoire considérable sur la faim dans le monde ! C’est d’ailleurs un des espoirs principaux, à terme, de la recherche sur les OGM : transférer les gènes du « ça oui-ça non » dans du mil ou du riz par exemple… D’où l’importance de cette découverte (non OGM !) des scientifiques néerlandais, un pays très motivé par la question compte tenu du fait qu’une bonne partie de ses terres ont été gagnée sur la mer et se situent en dessous de son niveau, et donc en permanence soumises au risque de la salinisation.

Pommes de terre résistant au sel

Ces pommes de terre qui ont poussé dans des terres salées, à Den Horn, aux Pays-Bas, pourraient être à l’avant-garde de la lutte contre la faim dans le monde

ATLANTICO : Aujourd’hui les premières phases d’expérimentations ont été menées avec des pommes de terre. Pourquoi avoir choisi cet aliment plutôt qu’un autre? Pourra-t-on bientôt orienter les recherches vers des légumes ou des céréales ? Quel sera l’impact en termes de coûts ?  

 Avec 340 millions de tonnes produites annuellement, la pomme de terre est la quatrième plante cultivée au monde (après les 3 céréales, maïs, riz et blé). On en connaît déjà plus de 5 000 variétés, ce qui permet de faire plein de croisement et de nombreuses expérimentations, et il semble que certaines variétés qui étaient historiquement semées près des côtes puissent s’accommoder du sel et le stocker dans leurs feuilles plutôt que dans les tubercules. De plus la productivité de cette plante est absolument considérable : l’agriculture moderne arrive maintenant à en sortir 50 tonnes à l’hectare, contre 10 tonnes de maïs et 8 de blé et de riz. Cette plante miracle, qui peut se conserver plusieurs mois en gardant ses propriétés nutritives, a largement contribué à faire reculer les famines dans le monde, en particulier en Europe de l’Ouest quand elle a été ramenée d’Amérique du Sud, mais aussi en Asie, où sa production a été multipliée par 4 en Chine et par 9 en Inde depuis 1970.

Les plants expérimentés aux Pays-Bas ont encore une productivité faible, mais semblent suffisamment prometteurs pour que de nombreux pays commencent à s’intéresser. Produire « seulement » 20 ou 30 tonnes de pommes de terre à l’hectare n’a rien d’intéressant en Picardie mais représente une avancée considérable sur des terres devenues impropres à l’agriculture dans des pays où l’on connaît la faim ! De plus, on peut évidemment espérer que si ce genre d’agriculture se banalise, ses coûts pourront progressivement baisser.

L’équipe de scientifiques commence à avoir également des résultats prometteurs sur des carottes et des oignons, qui représentent des enjeux moins importants, mais très complémentaires de la pomme de terre. Malheureusement, on n’en est pas encore aux céréales, très gourmandes en eau (le riz a besoin de 10 fois plus d’eau que la pomme de terre !).

ATLANTICO : A terme les plantations pourraient-elles être implantées ailleurs? Ceci est-il envisageable sous d’autres climats et avec des sols moins irrigués et moins fertiles? 

Si elle est confirmée, cette avancée agronomique pourrait se révéler considérable pour la paix dans le monde. Rappelons que d’ici 2050, il faudra encore augmenter de 70 % la production agricole mondiale pour faire face à l’augmentation de la population et à celle de la consommation de produits animaux (viande, œuf et lait). Mais le défi sera particulièrement aigu en Afrique, où il faudrait arriver à tripler la production, et en Asie où il faudrait la doubler, sans parler de toutes les régions semi arides où le réchauffement climatique va faire avancer les déserts. On n’arrivera jamais à réaliser cet objectif si on continue à perdre 2 000 hectares de terres cultivables tous les jours.

Et, même si c’est encore de la science-fiction aujourd’hui, une fois qu’on aura réussi à acclimater des plantes nourricières sur des terres salées, peut-on imaginer d’arroser certains déserts avec de l’eau de mer pour les transformer en oasis ?

D’une manière générale, les progrès de l’agriculture depuis plusieurs décennies ont surtout consisté à augmenter la productivité brute à l’hectare. Mais ceci s’est fait au prix d’une grande fragilité, et d’importants dégâts collatéraux comme la pollution des nappes phréatiques ou la salinisation des terres. L’avenir sera probablement au moins autant dans la recherche de la résilience : trouver des plantes ou des mélange de plantes peut-être moins productives dans les conditions idéales, mais nettement plus résistantes aux agressions de l’environnement, lesquelles vont se multiplier avec le réchauffement de la planète.

 

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Soutenir l’agriculture familiale

Texte paru dans La Croix du 30 avril 2015 – Propos recueillis par Denis Sergent

« Aujourd’hui, le problème de la faim est essentiellement politique. C’est un « effet collatéral » de la mondialisation, avec ses deux corollaires que sont le dogme du libre marché et l’absence de contrôle public des multinationales.

Lutter contre la faim suppose une plus grande intervention des pouvoirs publics contrairement à ce que promeuvent les institutions financières internationales. L’objectif est notamment de maintenir les circuits courts entre les zones de production et les zones de consommation.

Aider au stockage pour réduire les pertes

La petite agriculture familiale s’avère, à niveau de développement égal, être plus productive qu’une grande exploitation. La mise en place de réseaux de distribution de produits basiques à bas coût pour les plus démunis, l’aide au stockage (un tiers de la récolte mondiale d’aliments est perdu chaque année) et à la vente directe, ainsi que la constitution de réserves de céréales de sécurité près des villes, constituent les éléments clés d’une stratégie alimentaire.

Agriculture familiale

En ce qui concerne l’accès à la nourriture, la politique de « Faim zéro » initiée par le président Lula au Brésil en 2003 peut être un modèle. En accordant aux mères de famille une subvention mensuelle réservée à l’achat d’aliments, le gouvernement a diminué la malnutrition et la mortalité infantile de 61 % et 45 %. Un succès qui inspire le Mexique et l’Inde. En 2012, l’ONU a officiellement lancé « Faim zéro » mais l’objectif n’est atteignable que si les citoyens restent vigilants auprès de leurs dirigeants. »

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Les levures, nouvel horizon des arômes naturels

Article paru sur le site Atlantico le 28 avril 2014

Vous n’aimez pas les arômes artificiels ? Réjouissez-vous, des nouveaux arômes naturels viennent d’être mis à jour. Si leurs composants ne sont ni extraits de plantes, ni extraits de fleurs, c’est parce qu’ils sont à base de levure. Voir par exemple : http://qz.com/389841/designer-yeast-can-make-foods-taste-like-vanilla-saffron-and-grapefruit-naturally/

ATLANTICO : Depuis le 19ème siècle, les scientifiques savent fabriquer des arômes artificiels. Quelle est la différence entre un arôme artificiel et un arôme naturel ? 

Le plus simple, quand on veut avoir un bon goût de fraise, c’est quand même de manger une fraise. Mais la saison des fraises est bien courte pour ceux qui les aiment, et ces merveilleux fruits rouges se conservent très mal ! L’industrie alimentaire a donc inventé d’extraire leurs arômes pour pouvoir s’en servir en toute saison, c’est ainsi que l’on peut donner à nos enfants du sirop de fraises toute l’année. Lorsque ces molécules sont extraites de la fraise, elles sont dites « naturelles », même si le procédé pour les extraire est parfaitement artificiel ! Mieux encore, on peut aussi obtenir le même goût à partir de copeaux de bois, d’alcool et d’eau ! Et comme ces derniers produits sont toujours réputés « naturels », l’arôme peut toujours se dire naturel. En fait un arôme naturel est produit à partir de plantes ou de produits animaux, mais rien ne garantit qu’il provient de la plante donc il porte le nom, sans compter les traces d’exhausteurs de goût et autre solvants utilisés pour le produire.

Arome de fraises

Il n’y a peut-être aucune molécule de fraise dans un arôme de fraise !

Mais la chimie sait maintenant aussi fabriquer ex abrupto ces molécules aromatiques, par exemple à partir de dérivés du charbon ou du pétrole ; dans ce cas, il s’agit d’arômes dit « artificiels ».

Il faut bien voir que le problème dépasse largement les arômes. Par exemple, nos enfants veulent que le sirop de fraises, en plus de sucré, stable et homogène, soit… rouge ! Dans un produit agroalimentaire, il n’y a donc pas que des plantes et des produits animaux ; pour pallier aux pertes de goût, texture, couleur, etc. inévitables au cours des transformations successives, on a pu utiliser des colorants, antioxydants ou conservateurs, des agents de démoulage ou de lavage, mais aussi des édulcorants, acidifiants, correcteurs d’acidité, anti-agglomérants, moussants, antimoussants, émulsifiants, gélifiants, épaississants, affermissants, agents d’enrobage, de glisse, gaz d’emballage, gaz propulseurs, stabilisants, séquestrants, poudres à lever, etc., et malgré toutes les précautions, il en reste toujours des traces dans l’aliment.

L’Europe et la France disposent d’un véritable arsenal législatif pour contrôler les abus. La Commission européenne a néanmoins répertorié plus de 3 000 arômes et 44 colorants autorisés, dont la plupart sont loin d’être « naturels ».

ATLANTICO : Traditionnellement, comment fabrique-t-on des arômes artificiels ?

Une fois qu’on a déterminé précisément quelles sont les molécules qui produisent ces arômes, on les fabrique de toutes pièces par des procédés chimiques ou physico-chimiques, à partir des matières premières traditionnelles des chimistes organiques en particulier le charbon et le pétrole.

ATLANTICO : Les consommateurs sont-ils de plus en plus méfiants vis-à-vis des arômes artificiels ? 

Oui, la méfiance envers l’artificiel ne cesse de croître. D’une manière générale, plus on vit loin de nature, hors-sol, dans des villes bétonnées, plus on veut tenter de retrouver symboliquement la nature dans son assiette. D’autant plus que, au sens strict, nous sommes ce que nous mangeons ! De tout temps, nous avons donc trouvé des systèmes pour qualifier les qualités de la nourriture que nous absorbons, de façon à se les approprier symboliquement. C’est ainsi que l’on mange la force du bœuf, la légèreté de la salade, ou la pureté du lait. Depuis toujours, la quasi-totalité des religions ont codifié le bon et le pas bon, le pur et l’impur, ce qu’on pouvait ou non manger tel ou tel jour, et, pour avoir toutes les chances d’aller au ciel, on tentait de manger « comme Dieu le voulait ».

Dorénavant, en France, la religion dominante (contrairement à la religion ascendante) ne s’occupe plus de nous dire ce qu’il faut manger. Mais l’inquiétude reste : n’allons-nous pas devenir impurs ? Nous avons donc reconstruit un système idéologique, à la manière des religions. Le postulat de base est que « la Nature nous veut du bien ». Ce qui a bien y réfléchir, est parfaitement arbitraire : la « Nature » se fiche complètement de nous : 95 % des plantes sont des poisons ! Ce qui ne nous empêche pas de croire fermement qu’il faut manger de bonnes plantes bien naturelles, même si elles sont des maladies bien naturelles, pour rester en bonne santé et aller tout droit au paradis des écologistes.

Rappelons pourtant cependant que le dernier vrai scandale alimentaire en Europe concernait de vraies graines bio de soja bien naturelles, germées de façon tout à fait naturelle, mais porteuses de bactéries bien naturelles qui ont tué une cinquantaine de personnes en Allemagne en 2011, soit beaucoup plus que la tristement célèbre vache folle !

Nous continuons cependant à penser que des produits artificiels, eux, ne peuvent qu’être intrinsèquement nocifs, et qu’il vaut mieux absorber des plantes bio, non traitées que des plantes qui risquent de contenir des résidus de médicaments (les fongicides) destinés à lutter contre leurs propres maladies…

Pour revenir aux arômes artificiels, ils ont néanmoins certaines qualités intrinsèques, par exemple ils ne risquent pas d’être contaminés par des flores microbiologiques, contrairement aux épices naturelles par exemple. Ou bien ils risquent moins de brûler lors de la cuisson.

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Suivant l’expression consacrée : « Chacun son sale goût » !

ATLANTICO : Afin de contourner le label « arôme artificiel », il est aujourd’hui possible de fabriquer des arômes à base de levures comestibles. Comment cette nouvelle technique fonctionne-t-elle ? Peut-on pour autant considérer qu’il s’agisse d’un arôme naturel ?

  On utilise depuis longtemps des levures dans l’alimentation. Pasteur a démontré qu’il s’agissait d’organismes vivants, des champignons unicellulaires. Par exemple il n’y aurait pas de vin sans les levures qui assurent la fermentation des raisins en transformant leur sucre en alcool (et extraient au passage de nombreuses molécules aromatiques), et le pain ne risquerait pas d’être moelleux si l’on n’ajoutait pas des levures à la farine pour la faire lever. De la même manière, pas de bière ni de fromage sans levure. Et ces produits sont considérés comme « naturels ».

Il semble qu’on arrive maintenant à pouvoir extraire de nouveaux arômes à partir de nouvelles levures. On est probablement au début d’une nouvelle révolution en la matière. Notons au passage qu’une partie des espérances des industriels provient de ce que l’on imagine produire dans l’avenir à partir de levures génétiquement modifiées, soit pour la médecine (production de vitamines, d’antibiotiques, d’hormones, de vaccins, d’anticoagulants, etc.), soit pour l’alimentation ! Seront-elles toujours considérées comme « naturelles » ?

ATLANTICO : Quels sont les avantages que représente une telle technique ? 

D’une part il s’agit en quelque sorte une nouvelle branche de la science dont on peut, si l’on est optimiste, espérer beaucoup de résultats. D’autre part, dans notre classification mentale, comme il s’agit de champignons qui interagissent avec des plantes, on peut dire que ce sont des produits « naturels », ce qui leur offre davantage de possibilités commerciales.

 

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Deux rendez-vous radio

Trois rendez-vous citoyens à la radio pour parler tranquillement et tenter d’expliquer les défis d’aujourd’hui pour découvrir le monde de demain :

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L’ampleur du gâchis alimentaire

L’ampleur du gâchis alimentaire et l’urgence d’adopter un plan d’action efficace pour y faire face revient au centre de l’actualité ; une nouvelle occasion de ressortir ce texte, et de constater que depuis que je l’ai écrit, presque rien n’a changé ; quand est-ce qu’on s’y met exactement ?

 

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Manger c’est bien, jeter ça craint !

On jette 280 kg de nourriture par français chaque année.

La FAO nous dit que nous gâchons à peu près le tiers de la récolte mondiale de nourriture soit 1,3 milliards de tonnes de nourriture chaque année ; est-ce bien raisonnable en cette période de crise au niveau mondial et alors qu’il reste encore 870 millions de personnes qui ont faim ? C’est l’objet d’une émission « C dans l’air » à laquelle j’ai participé le 1er novembre 2012 sur la chaîne France 5. C’est dans l’air, c’est le cas de le dire et les initiatives se multiplient dans la rue, les médias et chez les politiques pour nous faire prendre conscience du phénomène. A notre tour, regardons d’un peu plus près.

 

Tout d’abord, il ne faut pas confondre le gâchis du Sud et le gâchis du Nord. Au Sud, on perd essentiellement à la récolte, faute d’équipements de stockage et de transport adéquats. Lorsqu’on n’a pas de silos pour stocker son grain (et a fortiori de tanks à lait réfrigérés pour stocker son lait), on est obligé de devenir partageux : une partie de la récolte pour les rats, une partie pour les maladies, une partie pour le vent, une partie pour les oiseaux, une partie pour les voleurs, etc. et, bien entendu, il en reste peu à la fin puisqu’on a perdu en moyenne un tiers de ce qui nous avait tant coûté de produire. Notons par exemple que jusqu’à présent l’Afrique dans sa globalité a toujours produit assez de nourriture pour nourrir les Africains. Mais que faute de silos, de camions et de routes, il n’a jamais été possible de nourrir les zones de pénurie ou de famine avec les excédents produits dans d’autres régions…

 

En France, nous avons nos silos, nos routes et nos camions, nous gâchons donc « sophistiqué », en prenant soin de rajouter du pétrole, du salaire, des charges sociales, du loyer, de l’emballage, du transport, etc. à nos matières premières avant de les jeter ! Tentons de donner quelques chiffres approximatifs pour comprendre l’ampleur du problème.

 

Tout d’abord le chiffre de base : nous introduisons chacun 1 tonne d’aliments dans notre bouche chaque année, dont approximativement 600 kg de liquide et 400 kg de solide. Restons sur ces 400 kg de nourriture solide (un peu plus d’un kilo par jour), et considérons en face les 280 kg de nourriture jetés ! Cette énorme quantité de déchets se divise en gros en trois parties égales :

 

·        Le premier tiers est jeté à la ferme ou dans les opérations de transport. Je produis une carotte tordue, je la jette puisque le consommateur en veut des droites ; je produis un melon trop ou trop petit, je le jette puisqu’il nous faut des melons calibrés ; je produis une pomme sur lequel un insecte a fait une tache je la jette puisqu’il faut des fruits parfaits ! Notons au passage que suivant la maxime : « lorsqu’on achète un produit on achète le monde qui va avec » la ménagère qui, au supermarché, choisit une par une ses pommes, mais aussi ses prunes et même ses cerises ne se rend pas compte que d’une part elle provoque en amont une véritable épuration de tous les fruits qui ne sont pas d’apparence parfaite, mais aussi que bien entendu elle incite le producteur à multiplier ses doses d’insecticides puisque le moindre insecte qui se pose sur le fruit risque de signer son arrêt de mort… Autre exemple, le poisson : lorsque les chalutiers industriels jettent leurs immenses chaluts pour racler le fond de la mer, ils remontent tout ce qui s’y trouve, et donc ils sont amenés à jeter une bonne partie de ce qu’ils remontent : les poissons trop petits, trop gros, ceux dont la pêche est interdite, ou qui ne trouveront pas preneur sur le marché ; et bien entendu, malheureusement, la plupart ne survivront pas à ce traitement de choc… Mentionnons également les transports, qui donnent lieu à une multitude de chocs fatals pour des produits périssables. Au total, on peut estimer à une centaine de kilos par français ce premier gâchis que personne ne voit, puisqu’il n’atteint même pas les lieux de vente.

 

·        Le deuxième tiers est gâché au stade de l’industrialisation et de la commercialisation. Les usines agro-industrielles travaillent avec des cadences impressionnantes, et, dès qu’il apparaît le moindre problème sur les chaînes de fabrication, on est amené à jeter la production sortie entre le début du problème et le moment on s’en aperçoit ; ce sont donc des tonnes de pain de mie qui ne sont pas parfaitement carrés, de pizzas tordues ou de fish fingers arrondis qui partent à la benne ! De même au niveau de la commercialisation : imaginons un supermarché qui fait rentrer une grosse quantité de brochettes à la veille d’un week-end du mois de juillet où il se met à pleuvoir ; le lundi, il est bien obligé de jeter les brochettes qui n’ont pas fini en barbecue ; depuis que nous sommes rassasiés, nous sommes devenus des obsédés de la date limite de consommation, et, bien entendu, chacun se protège par peur des procès et on jette une quantité impressionnante de produits laitiers ou de plats cuisinés qui n’ont pas trouvé preneur à quelques jours de la date limite de consommation, sans oublier le pain puisque personne n’achète plus de pain de la veille, ou les filets d’oranges ou d’oignons dont un des éléments est pourris… Au total, tout cela représente autour de 90 kg par personne et par an.

 

·        Le troisième tiers est celui qui est le plus proche du consommateur : le gâchis dans les restaurants puisqu’il est dorénavant hors de question d’y accommoder les restes. On jette ainsi de façon totalement déraisonnable dans les hôpitaux, les restaurants d’entreprise, les cantines scolaires, etc. ; rappelons que par exemple les producteurs de cochon n’ont plus le droit depuis bien longtemps d’aller faire la sortie des cantines des collèges et lycées pour récupérer les restes de salsifis ou de choux de Bruxelles que nos adolescents refusent de manger (alors que c’est encore ce qui se passe en plein centre de Pékin ou de Shanghai…). Cela représente au moins 40 kg par personne et par an. Et puis on jette également à domicile autour de 40 kg, ce qui représente, mine de rien, près de 500 € par personne et par an. Déjà 7 kg d’aliments non déballés, jetés dans leurs emballages d’origine. Citons par exemple les yaourts, que les fabricants tentent de nous vendre par lots de 16, 8 ou au minimum 4 ; eh bien, dans notre pays, lorsqu’on achète 4 yaourts, on n’en mange que 3 ! Pour le quatrième, on est parti en week-end et la date était dépassée, il finit à la poubelle ! Chacun peut d’ailleurs faire pour lui-même à tout moment l’inventaire de son réfrigérateur, la machine dans laquelle on met beaucoup d’énergie pour stocker toute la semaine ce qu’on jettera le dimanche soir ou la veille du départ en vacances… Ensuite on jette une dizaine de kilos de fruits et légumes passés, à peu près autant de restes de produits animaux, viandes et laitages qui atteignent la date de péremption, beaucoup de pain rassis (qui mange encore le célèbre « pain perdu » de notre enfance ?), etc. Sur ces 40 kg jetés par personne et par an, une dizaine sont peu visibles car ils finissent dans les égouts ou les composts qui se multiplient, mais il en reste encore une trentaine dans les vraies poubelles municipales.

 

On va dire pudiquement que nous avons en France de larges marges de progrès ; le fait qu’il y ait des pays encore pire (genre les USA) ne doit pas nous dédouaner. Le Ministre de l’agroalimentaire vient de se lancer publiquement dans ce combat avec un objectif chiffré : diminuer de moitié le gâchis domestique d’ici 2025 http://alimentation.gouv.fr/gaspillage-alimentaire-campagne ; le Parlement européen s’est également saisi de la question, ainsi que de nombreuses ONG. Mais il faudra une véritable révolution dans les têtes, et les efforts considérables à tous les niveaux que nous puissions réellement progresser ! Rappelons-nous pour commencer que lorsqu’on achète un produit, on achète le monde qui va avec. Aujourd’hui, nous achetons du gâchis ! Et demain que choisirons-nous d’acheter, individuellement et collectivement ; ferons-nous nôtre le slogan du Ministère : « Manger c’est bien, jeter ça craint » ?

NB. : ce texte est également paru en son temps sur le site ECONOMIE MATIN : http://www.economiematin.fr/les-experts/item/2268-nourriture-gachis-alimentaire-emballages-supermarches-gaspillage-nourrir-planete  

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D’où viendra le lait que nous allons boire suite à la suppression des quotas laitiers ?

Article paru sur le site Atlantico le 31 mars 2015

ATLANTICO : L’Europe a mis fin aux quotas laitiers en vigueur depuis plus de trente ans. Régulant un marché du lait en surproduction, leur disparition brusque va fortement impacter un secteur d’activité déjà dans l’incertitude quant à son avenir.

Pourquoi a-t-il été décidé de revenir sur ce mécanisme ? Les problèmes auxquels ces quotas devaient apporter une réponse ont-ils été résolus

B. Parmentier: Il est très difficile de réguler la production laitière car la « réaction aux signaux du marché » est lente : le lait est la conséquence chez la vache de l’apparition d’un petit veau et la première traite n’a donc lieu qu’à l’âge de 30 mois. Ensuite chaque vache européenne produit ses 20 à 40 litres par jour, avec de brèves pauses entre deux mises bas. On peut jouer un peu sur le volume produit en modifiant l’alimentation, ou en envoyant un peu plus tôt la vache à l’abattoir (généralement autour de 6 ans), mais ce produit périssable coule néanmoins avec une grande régularité, alors que les variations de la demande peuvent être brutales, sujettes qu’elles sont à des événements politiques (comme l’embargo russe récemment). La Politique agricole commune a donc cherché à réguler ce processus dès les années 60. Il fallait alors augmenter la production dans des pays exsangues et assoiffés ; on a alors institué le système du prix garanti au producteur, ce qui les a incité à investir pour produire davantage. Ca a tellement bien marché (+ 50 % de production en France entre 1961 et 1984) que les frigos européens ont croulé sous les surplus (poudre de lait et beurre congelé) à tel point qu’un changement de politique total est intervenu en 1984 avec l’instauration des célèbres quotas, par pays et par an, à charge du pays de répartir ces quotas aux producteurs, et de payer en cas de dépassement (c’est ainsi que l’Allemagne a payé près de 2 milliards d’euros de pénalités en 30 ans !).

Production de lait dans le mondeLe lait est aussi un marché mondial ! (Source : Ouest-France)

L’Union européenne a ainsi produit 151 milliards de litres en 2014 ; les pays les plus productifs ayant été l’Allemagne (30 milliards), puis la France (23), le Royaume-Uni (14), les Pays-Bas, l’Italie et la Pologne. Mais ce système très régulé et stable ne permettait pas d’exporter avec souplesse : à peine 1,9 milliard de litres ont quitté le continent. Or on espère pouvoir exporter beaucoup plus, car la demande mondiale croit avec le développement des classes moyennes dans les pays émergents, et, pour le moment, ce sont les pays plus libéraux et moins régulés qui en profitent, comme la Nouvelle Zélande et les USA. De plus l’Europe contrôle beaucoup plus sa production que la moyenne mondiale et des pays comme la Chine, traumatisés par de multiples scandales, souhaitent s’approvisionner chez nous pour profiter de nos normes sanitaires. C’est ainsi que des investisseurs chinois construisent actuellement des usines de séchage du lait en Bretagne et en Normandie.

L’Europe a donc augmenté le niveau de ses quotas depuis 2009 (environ 1 % par an). Maintenant, les libéraux qui tiennent le haut du pavé ont donc décidé de déréguler pour de bon, estimant qu’actuellement le déficit d’exportation est plus dangereux pour l’économie que le risque de surproduction due à la crise ; rappelons pourtant qu’une erreur de planification avait provoqué une crise majeure en 2009, avec une chute de 30 % des cours du lait !

ATLANTICO : Concrètement, quels effets cette sortie des quotas va-t-elle avoir ? Les producteurs français sont-ils armés pour faire face à cette nouvelle donne ? Quel type de lait va se retrouver sur le marché français ? A quel prix ?

B. Parmentier: La Commission tente de calmer le jeu en prévoyant une hausse en volume de seulement 1,2 % en 2015 et 0,6 % en 2016 (contre 4 % en 2014 !). On peut en douter quand on entend l’Irlande (qui exporte déjà 80 % de sa production) annoncer qu’elle va doubler sa production d’ici 2020, et les Pays-Bas (et la région Bretagne) l’augmenter de 20 % !

Dans un sondage récent, 30 % des éleveurs français ont d’ailleurs déclaré vouloir augmenter la taille de leur troupeau.

Dans ce jeu, il va donc évidemment y avoir des gagnants et des perdants ! On peut estimer que les producteurs très organisés installés sur des créneaux de qualité reconnue, comme le Comté, sauront mener leur barque sans céder à la tentation suicidaire de la quantité. En revanche sur le créneau du « tout venant », les faillites vont se multiplier, et les regroupements… ou plutôt se poursuivre : rappelons qu’en 20 ans, de 1993 à 2013, on est passé en France de 162 000 producteurs à seulement 67 000, et qu’on estime déjà qu’en Bretagne la moitié des producteurs vont passer la main dans les 10 années qui viennent ; on peut douter que chacun trouve un successeur !

Machine à traire les vachesLa production de lait peut, elle aussi, s’industrialiser !

Les très grandes fermes laitières vont donc se multiplier sur le continent, comme il en existe déjà ailleurs dans le monde, en particulier en Amérique et en Asie. Il sera de plus en plus courant de voir des exploitations regroupant des milliers de vaches, voire des dizaines de milliers. Probablement pas en France, où on est plus sensible qu’ailleurs à la qualité de l’environnement, au développement régional équilibré et à la notion de terroir, mais gageons que le nombre moyen de vaches par exploitation, qui est actuellement autour de 50, va fortement augmenter…

Le prix du lait va donc fluctuer beaucoup plus qu’avant, malgré les contrats conclus entre les industriels et les groupements de producteurs. Et les regroupements d’industriels se poursuivre, dans un pays qui accueille déjà le leader mondial (Lactalis), mais aussi Danone ou la coopérative SODIAAL.

ATLANTICO : Faut-il s’attendre à une surproduction massive ?

B. Parmentier: Oui ! On pourrait bien voir dans le lait ce qui se passe dans le porc, lui aussi très « libéralisé » : la succession mortifère de cycles économiques : pénurie de lait, forte augmentation des prix, qui incite les éleveurs à garder plus de vaches, lesquelles arrivent toutes à maturité sexuelle deux à trois ans après, provoquant une crise de surproduction, un effondrement des prix, des faillites et des regroupements !

ATLANTICO : De nouveaux acteurs vont-ils apparaître (investisseurs étrangers, consolidation) ? Avec quelles conséquences ?

B. Parmentier: Évidemment, la nouvelle volatilité de ce marché, et les besoins croissants de certains pays asiatiques, vont attirer les investisseurs, comme les chinois qui débarquent dans nos campagnes, et bien évidemment les spéculateurs. On parle déjà de coter en Bourse à Amsterdam le prix du lait à usage industriel (beurre, poudre, lactosérum) ! Ce qui, comme on l’a vu dans les céréales, va encore amplifier les variations de prix.

ATLANTICO : Si les effets pervers de ces quotas ont été démontrés, en sortir de cette façon-ci était-il pour autant préférable ?

B. Parmentier: L’idée que les productions agricoles doivent être libéralisées comme les produits industriels, et que la concurrence, pour impitoyable qu’elle soit, profite au final à tous, doit, à mon sens, être revisitée ! Tous les gouvernements responsables ont constaté que la demande alimentaire est impérative et régulière, alors que la production reste aléatoire à cause des aléas climatiques et sanitaires. Les pharaons égyptiens employaient une armée de scribes pour comptabiliser et stocker les récoltes des années de « vaches grasses » en prévision de celles de « vaches maigres » ; les empereurs de Chine régulaient le riz, les Romains construisaient des routes pour faire circuler les grains… En 1789 à Paris on manquait de pain, de même qu’à Tunis et au Caire au moment des récentes révolutions arabes ! On peut imaginer un pays sans chaussettes ou même sans ordinateur pendant plusieurs mois, mais pas sans nourriture ! On devrait faire plus attention avant de déréguler « à la sauvage » la production agricole. Gageons que le balancier reviendra à davantage de raison relativement rapidement… En attendant, il y aura de belles réussites, et pas mal de casse.

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