C’est la crise ? Imaginez…

A l’occasion de la sortie du livre FAIM ZÉRO, je vous propose à nouveau un texte que j’ai rédigé il y a quelque temps, retour de Madagascar…

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C’’est la crise, on va tous devoir faire un effort, les entreprises, les riches, les classes moyennes, les retraités, les autoentrepreneurs, les actionnaires, les familles, et même les buveurs de bière et les fumeurs. Il y a de la grogne dans l’’air. Prenons du recul, voici un petit effort d’’imagination….

Imaginez que vous marchez pieds nus. Quel plaisir ! Sauf que c’’est tous les jours et partout, même dans les buissons d’’épineux, même quand il fait froid, même dans la boue, même quand il y a serpents et scorpions, même sur une route goudronnée…  Imaginez que vous mangez du riz au petit déjeuner, du riz au déjeuner et du riz au dîner, souvent seulement deux fois par jour. Le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, etc. En juin, en juillet, en août, en septembre, etc. Sauf en mars et en avril, car là il n’’y a plus de réserve avant la prochaine récolte, et vous passez à un seul petit repas par jour.

Imaginez que vous rajoutez un peu de sauce deux ou trois fois par semaine, et un peu de viande une ou deux fois par mois. La joie. Quelques fruits quand vous en trouvez sur un arbre. Sauf il quand il y la sécheresse, ou les inondations, ou les cyclones, ou la guerre, auquel cas vous n’’avez plus… rien du tout.

Imaginez que vous avez faim, souvent, longtemps, profondément. Vos enfant aussi, et cela diminue fortement leurs capacités intellectuelles.

Imaginez qu’’il vous manque la moitié des dents, car les autres, surtout celles de devant, vous ont été arrachées à vif dès qu’elles ont eu une grosse carie, ou sont tombées toutes seules car vous manquiez de calcium pour les fixer.

Imaginez que vous marchez pieds nus 7 kilomètres pour aller à l’’école, au marché, n’’importe où, et autant pour revenir. Et 2 kilomètres pour aller chercher l’’eau au ruisseau.

Imaginez que, pour se laver, il faille aller se baigner dans la mare au bout du village, celle où les femmes font la lessive, et où les animaux vont boire.

Imaginez que vous devez quitter l’école dès l’âge de 10 ans car on a besoin de vous pour travailler dans la rizière, ou pour garder les deux zébus de la famille.

Imaginez que vous avez la grande chance de pouvoir aller au collège. Le week-end et pendant les vacances, vous devez courir après les « vasahas » qui passent dans la ville pour mendier un peu d’’argent, et ramener de quoi acheter à manger.

Imaginez qu’il n’y a pas de docteur ni de médicaments quand vous êtes malade ; et vous l’’êtes souvent. Que vous vivez dans un pays à l’’espérance de vie de 57 ans, 25 de moins qu’’en France.

Imaginez qu’à Noël, vous recevez un T shirt et un short, et quelques bonbons. Vous êtes fier d’’être beau. Mais attention de garder précieusement ces habits, ce sont les seuls que vous avez et ils doivent vous faire toute l’’année.

Imaginez que quand il fait nuit, il n’’y a pas de lumière, ou presque pas. Les bougies coûtent cher. Vous vous couchez avec le soleil et vous vous levez avec le soleil.

Imaginez que vous dormez à 3 sur un lit de paille plein de puces, à même le sol en terre, sous un toit de feuilles et de branchages qui fuit quand il pleut.

Imaginez qu’’il fait chaud, et qu’’il y a de la poussière partout, sauf en saison des pluies, où c’’est de la boue partout pendant 3 ou 4 mois.

Imaginez que, si vous êtes un jeune homme, vous tirez pied nus, en courant, un pousse-pouce où ont pris place deux personnes bien nourries, mais qui ne veulent pas marcher.

Imaginez que, si vous êtes une jeune fille, vous tentiez de séduire soir après soir un coopérant ou un touriste de passage, pour coucher avec lui et vous faire nourrir quelques jours.

Imaginez que vous êtes une mère de 8 enfants qu’’il faut nourrir tous les jours en faisant la cuisine à quatre pattes par terre en surveillant le feu de bois dont la fumée vous pique les yeux. Dès qu’’ils ont mangé, vous repartez repiquer le riz, c’’est à dire planter en plein soleil des milliers de petites pousses à la main, pied nus dans la boue jusqu’’au mollets

Imaginez qu’’au lieu de fils de riche français, vous êtes né fils de paysan Malgache, ou Bengali, ou Haïtien, ou Burkinabe. ça aurait bien pu vous arriver, vu que les gens qui vivent comme cela sont bien plus nombreux que nous…

Le texte complet téléchargeable :

Imaginez…

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Conséquences en chaîne pour l’embargo agroalimentaire russe

Je suis passé une nouvelle fois le lundi 11 août à l’émission C dans l’Air sur la 5e chaine de télé, sur les conséquences économiques et géopolitiques de l’embargo russe sur nos produits agroalimentaires. On peut revoir l’émission en cliquant ici. L’occasion de faire le point sur ces questions.

La Russie a décrété le 7 août un embargo total sur les fruits, légumes, viandes, poissons, lait et produits laitiers en provenance des USA, du Canada, des pays de l’Union européenne (en tout 35 pays). Pour l’Union Européenne, cela représente 12 milliards de contrats perdus, dont environ 750 millions pour la France (pour le moment les vins et spiritueux, que nous vendions à hauteur de 450 millions, sont épargnés, ce qui en dit long sur la culture russe !). De nombreuses conséquences en chaîne sont à prévoir.

Etals de fruits en Russie

Nos produits vont déserter les étals russes…

Un embargo encore « raisonnable »

Ça pourrait être pire, ça sera nettement pire en cas de poursuite de l’escalade et de détérioration de la situation en Ukraine. Déjà on peut observer que la Russie a attendu la troisième vague de sanctions Europe-USA avant de réagir vraiment. Mais de son point de vue la situation en Ukraine se détériore puisqu’il semble que l’armée régulière soit en passe de reprendre la contrôle de l’est du pays, ce qui sera vécu comme un échec personnel par le président Poutine et un affront national par les russes, au nationalisme exacerbé actuellement, à la suite des multiples humiliations qu’ils ont ressenties depuis quelques décennies.

Concernant la France par exemple, l’agroalimentaire ne représente que 8 % de nos exportations vers ce pays. Ce ne sont pas tant des tomates, des pommes, du fromage et des cochons qu’on leur vend, mais avant tout des pièces d’aviation, des médicaments, des moteurs automobiles, des produits chimiques, des parfums, des turbines, etc. L’impact sur notre économie d’une deuxième série de mesures pourrait être beaucoup plus important… et que dire de ce qui pourrait se passer si la situation s’envenime vraiment, comme un arrêt des livraisons de gaz, qui pourrait mettre l’Europe à genoux cet hiver (et achever de ruiner la Russie…) ? Voire même un complet revirement de politique internationale, comme par exemple une aide à l’Iran pour son programme nucléaire ?

Un embargo assumé, qui succède à des embargos larvés

La Russie n’en est pas à son coup d’essai ; ce qui est nouveau, c’est qu’elle l’annonce et l’assume. Mais elle nous avait déjà malheureusement habitués à des embargos « hypocrites » ou « larvés », pour des raisons soit disant sanitaires. Par exemple depuis février dernier, elle n’achète plus de cochon français « par peur de la peste porcine qui sévit chez nos sangliers », ce qui a provoqué une baisse de 79 % de nos exportations. Elle avait stoppé l’entrée du bourbon américain « qui contenait des phtalates », de certains produits McDonald’s en raison « d’infraction sur les normes de sécurité », du chocolat ukrainien « cancérogène », de leur lait contenant « des résidus de substances suspectes ou interdites », de leurs fruits et légumes « qui ne respectaient pas les procédures d’importation », etc. Là on ne s’embarrasse plus de formules absconses, on généralise.

Quatre séries de conséquences sont à prévoir en matière agroalimentaires

  • S’agissant de produits frais à durée de vie courte, il est peu probable qu’on trouve des marchés alternatifs, on va donc droit vers un engorgement sur les marchés européens. On peut espérer que les restaurants du cœur et autres épiceries solidaires pourront en faire profiter les plus pauvres de nos concitoyens, mais vu les quantités, on procédera probablement à des destructions massives de certains produits, subventionnées ou non par l’Union européenne, ce qui fait toujours mauvais genre pour le citoyen et démoralise le producteur…, et vers des dépôts de bilans de certains des acteurs les plus fragiles. Et donc vers une situation sociale tendue dans les milieux agricoles ; gageons que les bonnets rouges bretons reprendront du service.
  • On va assister également à une forte accentuation de la concurrence intra européenne. Chaque pays va tenter de vendre à l’intérieur de notre Union ce qu’il ne pourra plus vendre à la Russie. Nos 50 000 tonnes de fruits et légumes invendues vont s’affronter directement aux 800 000 de pommes et poires polonaises et aux 100 000 tonnes de pêches espagnoles ! Ceci va probablement provoquer de fortes baisses des prix, car de nombreux acteurs vont tenter de brader leurs stocks avant qu’ils ne pourrissent. Comme notre économie est relativement fragile et notre compétitivité globalement inférieure à la moyenne européenne, nos entreprises risquent de souffrir plus que d’autres, et les faillites sont à prévoir…

Pommes

Une guerre de la pomme est à prévoir en Europe cet hiver

  • De nouveaux concurrents vont arriver sur les marchés russes. Les classes moyennes de ce pays vont faire pression pour ne pas se retrouver avec les étals vides qu’ils n’ont que trop connus du temps du communisme. Le Brésil, l’Argentine, l’Equateur, la Turquie, la Thaïlande, etc. vont immédiatement en profiter et occuper le terrain. La Grèce par exemple polémique déjà avec la Turquie qui a annoncé vouloir reprendre ses marchés. Si un jour l’embargo se lève, il sera bien difficile de les en déloger ! Certaines des pertes de marchés seront donc définitives.
  • Et enfin, les russes vont-ils enfin prendre conscience de ce scandale absolu : le pays le plus étendu au monde, fort peu peuplé, n’est même pas capable de nourrir ses 140 millions d’habitants ! L’état de l’agriculture russe est resté absolument lamentable, et n’a pratiquement pas progressé depuis la débâcle absolue de l’agriculture communiste. Le tiers de ce que mangent les russes est actuellement importé ! Qui peut croire qu’il est impossible de produire dans ce grand pays les pommes et les cochons dont il a besoin ? Un regain d’intérêt pour ce secteur est encore possible succédant à une politique qui disait en fait « nous avons du gaz, nous achèterons avec de quoi manger ». Dans les années 30, le cours mondial du blé ne se fixait pas à Chicago, mais bien à Odessa. Ce serait un bien pour un mal, si la Russie amorçait un mouvement qui lui permettrait de redevenir le grand pays exportateur de produits agricoles qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Le monde en aura besoin, alors même qu’il va falloir augmenter de 70 % la production agricole mondiale en 40 ans, et que le réchauffement climatique va rendre beaucoup plus difficile la production dans nombre de régions du monde actuellement productrices. Le ministre russe de l’Agriculture, Nikolai Fiodorov, a déjà estimé que les pouvoirs publics devraient investir plus de deux milliards d’euros par an pour espérer retrouver une souveraineté alimentaire d’ici 5 à 10 ans, dans une période où le pays commence à manquer de liquidités et ne peux plus emprunter aux banques occidentales ! De plus, dans une culture encore fortement marquée par des décennies de « faucille et marteau », où les universités agricoles commencent à enseigner à leurs étudiants à démonter et remonter un tracteur, et où le souci de l’environnement n’est pas très partagé, il est peu probable que ces investissements se fassent dans l’optique de l’agriculture écologiquement intensive !  Ceux qui se feront, ou ce qu’il en restera après prélèvements corruptifs, seront certainement « dans une logique du XXe siècle » ; le chemin sera encore bien long pour que ce pays devienne un phare de l’agriculture mondiale !
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Les robots pollinisateurs ne sauveront pas l’humanité

NB. Interview réalisée par le site Atlantico le 7 août 2014. Voir ici (malheureusement payant) ; le texte est reproduit ci-dessous.

Menacées d’extinction, les abeilles retiennent toute l’attention des scientifiques, qui travaillent sur la mise au point des « RoboBees », des robots de 80 mg, semblables aux abeilles.

Les abeilles sont les pollinisateurs les plus importants de la planète. Près de 30% de la nourriture que nous consommons est liée à la pollinisation de ces mêmes insectes. La pollinisation des fleurs est cruciale pour les arbres fruitiers et l’industrie agroalimentaire : sans les abeilles, les rendements seraient moindres et les fruits et légumes de moins bonne qualité.

Depuis quelques années, leur déclin n’a jamais été aussi fulgurant. Le nombre de ruches outre-Atlantique, par exemple, est passé de 6 millions en 1947 à 2,5 millions cette année. Une situation alarmante que l’organisation écologiste Greenpeace a récemment dénoncée dans une vidéo choc. Un nouveau rapport mené par l’ONG révèle également que « plus de deux-tiers des pollens prélevés dans des champs et ramenés à la ruche par les abeilles seraient contaminés » par au moins un pesticide. La disparition inquiétante des abeilles, touchées par le mystérieux syndrome d’effondrement des colonies, serait liée globalement aux pesticides, parasites et maladies.

Cette menace d’extinction est récemment devenue une priorité aux Etats-Unis. Afin de protéger les abeilles, le gouvernement américain a ordonné, le 20 juin dernier, aux agences fédérales, le réexamen des effets des pesticides sur la santé des abeilles et autres pollinisateurs. La Maison Blanche a demandé de prendre des mesures le cas échéant dans un délai de 180 jours. Dans un communiqué présidentiel, on apprend que 90 types de cultures dépendent directement de la pollinisation, générant 24 milliards de dollars pour l’économie nationale, dont 15 milliards grâce aux abeilles.

Les scientifiques, quant à eux, poursuivent leurs recherches sur les différents moyens technologiques de remplacer les abeilles au cas où elles disparaitraient complètement. Pour l’instant, l’alternative aux abeilles la plus prometteuse prend la forme d’un robot. Lancé en 2009, le projet des RoboBees a été élaboré par des scientifiques de l’université de Harvard et des biologistes de la Northeastern University de Boston.

Robotbee A

Les experts à l’origine du projet pensent que ces robots-abeilles pourraient artificiellement polliniser les récoltes d’ici à 2024. Même si les scientifiques restent optimistes, les Robobees n’offrent pas de solution à long terme. Les ingénieurs de Harvard ont même trouvé une faille principale à ce robot : son alimentation en électricité. Ces derniers travaillent désormais sur un système de pile miniature à combustible à oxyde solide. Autre difficulté : réussir à imiter le comportement de navigation des abeilles.

RoboBees

En France, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll s’est récemment prononcé pour la protection des abeilles. Une interdiction totale de l’épandage des pesticides en journée est notamment prévue par le gouvernement.

Les commentaires de Bruno Parmentier sur cette information…

Atlantico : A quoi est liée la disparition des abeilles ?

Bruno Parmentier : Les abeilles disparaissent à une vitesse telle qu’on a pu parler de « syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles » ! Il en meurt actuellement environ 30 % chaque année ! Ce phénomène concerne presque toutes les 200 000 espèces d’insectes pollinisateurs : papillons (moitié moins qu’il y a 30 ans), bourdons, syrphes et autres mouches, etc. et, par voie de conséquence les populations d’hirondelles et autres oiseaux insectivores ont aussi diminué de moitié. Sans oublier les lombrics et autres animaux et micro-organismes du sol.

Avons-nous joué les apprentis sorciers et déclenché une catastrophe ? L’heure est effectivement grave, comme peuvent le constater de façon expérimentale cet été les vacanciers sur la route des plages. Leurs pare brises seront propres à l’arrivée, plus d’insectes pour s’y écraser ! Les causes sont multiples, mais il semble bien que les nouveaux insecticides « systémiques » massivement employés depuis les années 90 jouent un rôle majeur dans cette disparition. On trouve parfois de véritables tapis d’abeilles morte au pied des ruches. Les survivantes, devenues folles, ne savent plus s’orienter, ou bien, durablement affaiblies, surtout que la diversité de leur alimentation décroit fortement avec mes monocultures et l’absence de haies autour, attrapent toutes les maladies qui passent, et en particulier n’arrivent plus à résister au parasite acarien « Varroa destructor ». Cerise sur le gâteau, le redoutable frelon asiatique passe massivement à l’attaque.

Il est plus qu’urgent de réagir : la plupart des plantes que nous mangeons (près de 85 %) ont besoin de cette pollinisation pour vivre : presque tous les fruits (pommes, abricots, cerises, fraises, framboises, etc.), les légumes (courgettes, tomates, salades, etc.), mais aussi les radis, les choux, les navets, les carottes, les oignons, les poireaux, le thym, l’huile de tournesol ou de colza, et même le café et le chocolat ! Sans pollinisateurs, pour faire bref, il ne nous restera plus que le blé, le maïs et le riz, des repas somme toute assez déprimants, et, accessoirement, plus grand-chose à mettre dans nos pots de fleurs.

Atlantico : Le Robobee est-il une solution fiable en soi ?

Bruno Parmentier : Quelle belle avancée technologique ! On peut évidemment la saluer. Mais de là à penser qu’elle va nous sauver la mise, quelle ingénuité, ou quelle arrogance ! On compte des dizaines de milliers d’ouvrières dans une seule ruche, qui peuvent chacune visiter 250 fleurs par heure. Une ruche peut traiter à elle seule jusqu’à 30 millions de fleurs en une journée. Et, malgré la crise très importante de la profession, il reste de l’ordre d’un million de ruches en France, ce qui n’est pas suffisant pour une pollinisation optimale. Peut-on imaginer que des centaines de millions de robots vont faire à terme le même travail ?

Ça ressemble à un contre feu allumé par l’industrie chimique pour gagner du temps par rapport à l’inéluctable : l’interdiction des insecticides néonicotinoïdes et d’une manière générale la très forte diminution des pesticides dans notre agriculture, qui en consomme beaucoup, beaucoup trop.

On peut rapprocher cette annonce de celle qui a été faite il y a quelques mois, selon laquelle, en Chine, on en était arrivé à tenter de polliniser à la main, en grimpant dans les cerisiers et les poiriers avec des cotons-tiges ! Qui va croire que cela constitue de vraies solutions aux problèmes de l’agriculture mondiale ?

Atlantico : Quelles autres solutions existent-ils pour remplacer les abeilles si elles venaient à disparaître ?

Bruno Parmentier : Nous n’avons pas de solution alternative à la pollinisation par les insectes. Et nous ne sommes pas près d’en avoir ! La seule solution, c’est bien d’arrêter d’être irresponsable et de sauvegarder la nature tant qu’il est encore temps. Le glissement sémantique auquel nous assistons actuellement est significatif : nous disions que la voracité des insectes menaçait l’agriculture et qu’il fallait prendre des mesures pour les éradiquer pour pouvoir tous manger. Et maintenant nous nous apercevons que la disparition collatérale d’autres insectes constitue un danger encore plus grand pour l’agriculture, et l’alimentation mondiale ! L’homme réputé le plus puissant du monde (celui qui n’a pas réussi à empêcher la guerre à Gaza…) convoque la presse à la Maison Blanche pour alerter le monde sur ce danger mortel, la disparition des pollinisateurs… On peut, on doit espérer, qu’il sera à terme plus efficace face aux multiples lobbies de « l’ancienne agriculture ».

Atlantico : Avant de se tourner vers la robotique et le remplacement des abeilles, ne devrions-nous pas plutôt nous pencher sur les solutions pour sauver les abeilles ? Quelles solutions avons-nous aujourd’hui ?

Bruno Parmentier : On a vraiment besoin de produire de la nourriture, énormément de nourriture, de plus en plus de nourriture sur terre. Il faut encore augmenter de 70 % la production agricole mondiale. Prendre le risque de baisser radicalement la production dans les régions du globe où l’agriculture est efficace sans savoir si les zones d’agriculture peu productives pourront augmenter leur production et prendre le relais, équivaut en fait à envisager une déstabilisation majeure de la paix dans le monde : émeutes de la faim, révolutions, guerres, terrorisme, extrémismes de tous bords.

Or les solutions existent pour passer d’une agriculture « chimiquement intensive » à une agriculture « écologiquement intensive », qui intensifie les processus écologiques au lieu d’intensifier les processus chimiques. Elles entrainent une nouvelle révolution agricole, au moins aussi importante que la précédente révolution verte, dont quelques principes sont : utiliser nos terres 365 jours par an (pratiquement plus de labour), cultiver dessus des mélanges de plantes complémentaires (pratiquement plus de monoculture), aller chercher les matières nutritives plus profondément en remettant des rangées d’arbres tous les 20 m (agroforesterie), et utiliser au mieux les auxiliaires de culture, abeilles, vers de terre, chouettes, chauve-souris, hirondelles, mésanges, carabes, coccinelles, etc., mais aussi bactéries, champignons, etc. Rechercher l’équilibre et la fertilité par des voies naturelles plutôt que de tenter d’éradiquer certaines espèces par des interventions mécaniques ou chimiques de plus en plus violentes, aux conséquences en chaine parfois imprévisibles. Produire autrement, comme le préconise le Ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, ou l’Association pour une agriculture écologiquement intensive par exemple.

 

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Idées de menus pour océans en danger : la liste des poissons que vous pouvez manger sans contribuer à leur disparition

NB.: Interview réalisée par le site Atlantico le 24 juillet 2014. Voir ici (malheureusement payant) ; le texte est reproduit ci-dessous.

La fondation Seafood Watch a récemment publié une liste des espèces de poisson et de crustacés qu’il fallait privilégier pour respecter le repeuplement de ces derniers. Sur nos étalages, le Tourteau du Golfe de Gascogne, le Lieu noir de Mer du Nord, ou encore la crevette grise de la Manche sont jugés sans risque pour l’équilibre de ces espèces. L’anguille d’Europe ou le cabillaud de l’Atlantique du Nord en revanche sont fortement déconseillés.

  • Le poisson n’est pas une ressource inépuisable, un tiers des espèces est en passe de disparaître
  • L’avenir, et le présent résident dans le poisson d’élevage, ou respectant le repeuplement de ceux-ci
  • Le poisson est excellent pour la santé, mais suivant la zone de pêche, il peut se trouver polluer. Il faut donc s’assurer qu’il provient d’une région sans risque. En France, la Manche et le Golfe de Gascogne sont les eaux les plus saines.

Atlantico : La fondation Seafood watch a récemment établi un rapport sur les espèces de poisson qu’il faut privilégier. Selon elle, il est primordial de prendre en compte la capacité de repeuplement des espèces lorsque l’on choisit ses aliments. Selon cet impératif, quelles sont les espèces de poisson qu’il est préférable de manger en France ?

Bruno Parmentier : On en a mangé 149 millions de tonnes de poisson en 2011, contre 18 millions en 1950 ! Soit maintenant 21 kilos par terrien et par an, dont plus de 35 par français. Croire qu’on peut prélever une telle quantité sans s’occuper sérieusement du renouvellement, et sans dépeupler la mer est une opinion bien naïve ! Le poisson de mer est en fait tellement menacé qu’il est en fait proche d’être condamné ! La pêche s’est pratiquée depuis des millénaires dans les lacs, rivières et au bord de la mer. Cette activité reste la seule source de revenus et de protéines animales pour près d’un milliard de personnes dans le monde. Dans les dernières décennies, cette activité est cependant devenue industrielle, avec des méthodes de plus en plus modernes, qui ne laissent plus aucune chance aux poissons (énormes bateaux équipés de sonars et de chaluts ou de filets dérivants qui vont de plus en plus profond, etc.). Ces chalutiers industriels, qui ne représentent que 1 % de la flotte mondiale, ramènent la moitié des prises.

De plus, lorsque ces chalutiers industriels jettent leurs immenses chaluts pour racler le fond de la mer, ils remontent tout ce qui s’y trouve, et donc ils sont amenés à jeter une bonne partie de ce qu’ils remontent : les poissons trop petits, trop gros, ceux dont la pêche est interdite, ou qui ne trouveront pas preneur sur le marché ; et bien entendu, malheureusement, la plupart ne survivront pas à ce traitement de choc…

Et il faut se rendre compte que les océans restent assez largement des espaces de non droit, et malgré les efforts des organisations internationales, les poissons disparaissent l’un après l’autre.

Résultat : un bon tiers des espèces de poissons et crustacés est en passe de disparaître, et leur pêche a déjà chuté de près de 90 %, telle la morue de l’Atlantique nord, qui semble avoir atteint le point de non-retour. Le thon rouge, par exemple, fait l’objet d’une attention particulière ; on ne devrait pas en pêcher plus de 15 000 tonnes par an, ce qui n’empêche pas de fixer des quotas internationaux tout à fait excessifs (32 000 tonnes en 2005, 28 500 en 2008, 22 000 en 2009), et de fermer les yeux sur les réelles quantités atteintes (deux à quatre fois ces limites).

Il est devenu urgent de trouver des accords internationaux fixant les limites de ce qu’il est écologiquement possible de prélever, ainsi qu’une force de police internationale efficace pour faire appliquer les décisions. Si rien n’est fait, la quasi-totalité des espèces pêchées pour la nourriture aura disparue des océans avant 2050.

En attendant, le citoyen-consommateur peut déjà suivre les conseils de Seafood watch en refusant de contribuer activement à ce désastre ! Il peut se munir des listes de poissons en grand danger pour s’en abstenir, tant au domicile qu’au restaurant. Arrêtons de manger anguilles, espadons, loups de mer, raies, soles, thons rouges, etc., et concentrons-nous sur les espèces correctement gérées comme le cabillaud du Pacifique, le colin d’Alaska, le hareng, le maquereau, ou encore la truite ou le tilapia d’élevage.

  • Listes poissons à éviter WWF
  • Trois listes des poissons à consommer beaucoup, peu, plus du tout, établies par WWF/Seafood Watch

    Atlantico : Existe-t-il des moyens pour que sa consommation soit à la fois respectueuse de l’environnement, et qui ne serait pas trop contraignante pour le consommateur ?

    Dans ce monde de peu de lois et encore moins de contrôles fiables, les labels n’en sont qu’au balbutiement. Déjà ne pas confondre la « pêche responsable » (ensemble de bonnes pratiques, qui ne sont pas forcément durables et ne concernent qu’une obligation de moyens) et la « pêche durable », qui, en principe, se soucie réellement de démontrer que le stock cible de la pêcherie est dans un état sain ou en cours de restauration, avec, là, une obligation de résultats. Le principal label, MSC (Marine Stewardship Council, créé en 1997 par le WWF et Unilever) est souvent contesté (trop du Nord, trop laxiste, etc.), et de toute façon ne concerne qu’une petite partie de la pêche mondiale… Mais c’est un début !

    Le consommateur responsable peut déjà commencer par consommer moins de poisson et moins de viande ! Et tenter de choisir au mieux ce qu’il mange, même si ce n’est pas simple.

    Et, concernant le poisson, la pêche a 3 000 ans de retard sur l’élevage. Sur terre, ça fait bien longtemps qu’on a décidé d’élever des cochons plutôt que de chasser les sangliers. Sur les mers, on continue à pêcher, mais avec les dernières technologies de l’armée américaine… Il est plus que temps de se mettre à l’élevage. Demain, si nous mangeons encore du poisson, ce sera du poisson d’élevage… herbivore (lorsque nous aurons pêché la dernière sardine et le dernier anchois dans le Pacifique, c’en sera fini du saumon… carnivore !). Et d’ailleurs, depuis 2013, il se mange sur terre davantage de tonnage de poisson d’élevage que de bœuf, ce qui est passé largement inaperçu en France, puisque cette activité est essentiellement asiatique, et même chinoise (la Chine pèse à elle seule la moitié de la pisciculture mondiale !). A quand une vraie filière de pisciculture durable française ?

    Atlantico : Quels sont les risques de manger du poisson de provenance douteuse ?

    Manger du poisson semble excellent pour la santé. Cet aliment regorge de protéines et d’oméga 3 à longue chaine… Mais, malheureusement, il concentre aussi de façon très spectaculaire les polluants d’origine industrielle qui sont rejetés dans l’eau : ils se chargent en mercure, cadmium, DDT et autres poisons comme les PCB. La concentration peut en effet être multipliée par 10 en passant du poisson mangé au poisson mangeur. Après deux ou trois stades de la chaîne alimentaire, on passe à des multiples par 100 ou 1 000.

    Il est donc fortement déconseillé aux femmes enceintes ou allaitantes et aux jeunes enfants de manger trop souvent des gros poissons prédateurs carnivores (espadons, thon, daurade, loup de mer, lotte, brochet, requin, etc.), ou des poissons prédateurs de rivières (carpe, anguille), ceux qui concentrent le plus ces molécules indésirables. Tout est donc affaire d’équilibre et de dosage !

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Envie de protéger la planète ? Le guide pour bien choisir quelle viande manger

Le site « The Atlantic » USA a publié un article instructif sur le poids écologique des différentes viandes que nous mangeons, que je recommande aux anglophones : Viandes, une hiérarchie pour la santé. Le site Atlantico français m’a interviewé pour connaître ma réaction à ce texte. Voici l’interview, qu’on peut consulter directement ici, dans une version maintenant payante. Je retranscris cette interview ci-dessous.

Le monde occidental et de plus en plus de pays émergents sont de gros consommateurs de viande, ce qui impacte directement l’environnement. Pourtant, le coût écologique diffère – parfois nettement – selon la nature de la viande produite.

Vache poulet mouton, etc

Atlantico : La viande est souvent mise à l’index comme étant peu écologique, sa production nécessitant une énergie importante impactant l’environnement. Pourtant toutes les viandes ne nécessitent pas le même effort de production. Pouvez-vous nous faire une classification des viandes les plus « rentables » parmi les plus courantes ?

Bruno Parmentier : Les animaux mangent comme nous… des végétaux ! Et comme nous mangeons en général des animaux à sang chaud, leur taux de transformation (la quantité de végétaux pour « produire » un kilo de viande animale, ndlr) est pitoyable, car ils utilisent une bonne part de ce qu’ils mangent pour se… chauffer. Encore faut-il distinguer entre les animaux qui mangent « comme nous » des céréales et des légumineuses (les poulets, cochons, canards, lapins, etc., à qui d’ailleurs on donne souvent nos restes dans les basse-cours) et ceux qui mangent de l’herbe ou des feuilles, que nous ne digérons pas, les ruminants (vaches, zébus, chèvres, moutons, etc.).

Mais il faut se rendre compte que l’élevage mondial a augmenté considérablement dans les dernières décennies, et donc sa ponction sur la planète. Et nous avons fini par transformer une bonne part de nos ruminants en granivores, en les nourrissant avec du maïs et du soja, ce qui les a transformé en nouveaux concurrents alimentaires. Au total près de la moitié de la production mondiale de blé et 80 % de celle de maïs et soja ne servent plus à faire du pain, des pâtes, du couscous, ou bien du corn-flakes ou du popcorn, mais est transformé en viande, lait ou œuf. Vu sous un autre aspect, les animaux ont triplé leur consommation de céréales dans les 50 dernières années… Peut-on imaginer aller beaucoup plus loin sur une planète aux ressources maintenant fort limitées ?

Il faut ainsi de 3 à 5 kilos de végétaux pour faire un kilo de poulet, 4 à 7 pour un kilo de porc et 10 à 13 pour un kilo de bœuf, ou de mouton ! Un français mange dans sa vie 7 bœufs, 33 cochons, 9 chèvres et moutons, 1 300 volailles, 60 lapins, 20 000 œufs et 32 000 litres de lait, soit 85 kilos de viande et 90 kilos de lait par an, deux fois plus que dans les années 50 et trois fois plus que dans les années 30 ! On imagine la ponction sur la planète que cela représente, en surface mobilisée, mais aussi en énergie, pesticides, engrais, eau, etc. et comme émission de gaz à effet de serre. D’autant plus que les classes moyennes du monde prolifèrent, comme les Chinois, par exemple, et s’y mettent de plus en plus : ces derniers consommaient 14 kilos de viande par personne en 1980, quand ils n’étaient « que » 700 millions, ils en consomment 60 kilos, maintenant qu’ils sont 1,3 milliards !

Atlantico : Le poulet apporte donc le meilleur taux de transformation. Pourtant, le mode de production, quand il est intensif, reste énergivore et produit une viande à la qualité discutable pour la santé. Est-ce donc une bonne initiative de substituer une partie de la production bovine au poulet, si cela doit entraîner l’intensification de la production ?

On peut espérer que le milliard de pauvres qui ne mangent pas de viande actuellement et qui vont commencer à pouvoir s’en payer de temps en temps se mettront au poulet(comme le recommandait Henry IV en son temps…) plutôt qu’au bœuf, sinon, on ira vers un véritable désastre écologique ! Et, bien évidemment, ce sera majoritairement du poulet élevé en batterie, le moins cher possible, et donc une offense à la gastronomie ! Dans les pays riches comme la France, au contraire, ce sera probablement moins de viande, mais davantage de qualité, exactement comme ce qui s’est passé depuis les années 50 dans le vin. Plus de poulet label de Loué, de Bresse, des Landes, etc., et moins de surgelé incolore inodore et sans saveur… Ce n’est pas par hasard que c’est ce dernier qui fait faillite actuellement !

A (court) terme, on n’élèvera plus en Europe que les animaux qu’on pourra intégralement nourrir avec des végétaux européens, et il faut réaliser que les 20 millions d’hectares occupés en Amérique et en Asie pour produire le soja qu’on importe actuellement sur notre continent ne seront pas éternels (pour donner un ordre de grandeur, c’est l’équivalent de la surface agricole française…).

Atlantico : Alors que son taux de transformation est plus raisonnable, le mouton est pourtant l’animal qui produit le plus de gaz à effet de serre comparativement à son poids. Pourquoi ? La production ovine est-elle finalement pire pour l’environnement que celle, très décriée pourtant, du bœuf ?

Là aussi, ça dépend quel mouton : celui qui entretient nos alpages, bravo (on ne va pas y faire de blé ou de légumes) à part les gaz à effet de serre émis lors de la fermentation ruminante… Mais pour le mouton « intensif », pitié !

De même, dans les zones de arides de la planète, le Sahel, la Mongolie, l’Australie, etc., il est urgent d’arrêter de multiplier moutons et chèvres qui font littéralement avancer les déserts, via le surpâturage et la déforestation. D’une manière générale, on arrive probablement au maximum de ruminants que peut supporter la planète.

Atlantico : Si les animaux « à sang chaud » sont si impactant pour l’environnement, quels seraient les animaux « à sang froid » pour les remplacer ? Et en quoi sont-ils plus avantageux ?

Le taux de transformation des animaux à sang froid – c’est à dire les poissons et les insectes – est bien meilleur, de l’ordre de 2 kilos de céréales pour 1 kilo de protéines ! Mais d’une part, question poisson, il faudra développer l’élevage de poissons herbivores et non carnivores. Pas comme le saumon de Norvège par exemple, qui dévore allègrement les anchois et sardines écumés dans le Pacifique sud ; de la carpe, du tilapia, etc., auxquels nous ne sommes guère habitués. Resteront les crevettes tropicales, que l’on peut élever dans des bâtiments à énergie positive (une première unité va bientôt voir le jour en Bretagne), et qui jouissent d’une bonne acceptabilité dans notre pays… Et les vers de farine, grillons et autres sauterelles, qu’il sera culturellement beaucoup plus compliqué d’insérer dans nos menus, mais que nous mangerons « indirectement » sous forme de farines protéinés ajoutés à nos barres chocolatés ou nos raviolis, ou… sous forme de poulets nourris avec ces farines. !

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Déclin des insectes et menaces pour l’agriculture

N.B. : Article publié sur Paris Dépêches

Pour revoir l’émission de « C dans l’air », du vendredi 27 juin 14, sur le thème : « Obama veut sauver les abeilles », et prendre conscience de l’effarant déclin des insectes et des menaces que cela représente pour l’agriculture.

http://www.france5.fr/emissions/c-dans-l-air/diffusions/27-06-2014_250037

L’homme le plus puissant du monde vient de convoquer les journalistes pour leur dire l’urgence absolue de protéger une population en péril. Laquelle donc ? Monsieur Obama voulait-il s’intéresser aux Irakiens et aux syriens, aux centrafricains, aux sud soudanais, voire même aux karens de Birmanie ou aux roms en Europe ? Non, rassurons-nous, il voulait parler… des abeilles ! Il avait dû se souvenir de cette citation attribuée (faussement) à Einstein : le jour où les abeilles disparaîtront, l’humanité n’aura plus que quelques jours à vivre. Dommage qu’il n’ait pas associé dans cette soudaine sollicitude les vers de terre, tout aussi indispensables à notre survie.

L’heure est effectivement grave, comme pourront le constater de façon expérimentale cet été les vacanciers sur la route des plages. Leurs pare brises seront propres à l’arrivée, plus d’insectes pour s’y écraser (ce qui les salit dorénavant de façon fréquente, c’est le sable du Sahara !). Plus scientifiquement, un consortium international de 50 chercheurs de 15 nationalités, la Task Force on Systemic Pesticides, vient de rendre un rapport extrêmement alarmant : « Nous assistons à une menace pour la productivité de notre environnement agricole et naturel. Loin de sécuriser la production alimentaire, l’utilisation des néonicotinoïdes met en péril les pollinisateurs qui la rendent possible ».

Une hécatombe qui ne peut nous laisser indifférents

Nous avons probablement perdu la moitié de nos papillons depuis trente ans, et 30 % des abeilles meurent dorénavant chaque année. Une véritable hécatombe (certains parlent de « syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ») et par conséquence, les populations d’hirondelles et autres oiseaux insectivores ont aussi diminué de moitié, etc. Sans oublier les lombrics et autres animaux et micro-organismes du sol. Avons-nous joué les apprentis sorciers et déclenché une catastrophe ?

Abeilles mortes

Il semble bien que les nouveaux insecticides « systémiques » massivement employés depuis les années 90 jouent un rôle majeur dans cette disparition. On trouve parfois de véritables tapis d’abeilles morte au pied des ruches. Les survivantes, devenues folles, ne savent plus s’orienter, ou bien, durablement affaiblies, surtout que la diversité de leur alimentation décroit fortement avec mes monocultures et l’absence de haies autour,attrapent toutes les maladies qui passent, et en particulier n’arrivent plus à résister au parasite acarien « Varroa destructor ». Cerise sur le gâteau, le redoutable frelon asiatique passe massivement à l’attaque.

Il ne s’agit pas pour nous du seul risque de manquer de miel pour nos tartines du petit déjeuner, sinon Obama ne se serait pas donné cette peine ! Il s’agit d’une menace majeure pour tous les animaux pollinisateurs, abeilles domestiques, mais aussi bourdons, guêpes, papillons, mouches, etc. (il y aurait plus de 200 000 espèces d’animaux pollinisateurs !). Or la plupart des plantes que nous mangeons (près de 85 %) ont besoin de cette pollinisation pour vivre : presque tous les fruits (pommes, abricots, cerises, fraises, framboises, etc.), des légumes (courgettes, tomates, salades, etc.), mais aussi les radis, les choux, les navets, les carottes, les oignons, les poireaux, le thym, l’huile de tournesol ou de colza, et même le café et le chocolat ! Sans pollinisateurs, pour faire bref, il ne nous restera plus que le blé, le maïs et le riz, des repas somme toute assez déprimants, et, accessoirement, plus grand-chose à mettre dans nos pots de fleurs.

supermarché avec ou sans abeilles

Un supermarché avec abeilles, le même sans abeilles !

En Chine, on en est bien arrivé à tenter de polliniser à la main, avec des cotons tiges imbibés de pollen, mais, indépendamment du coût d’une telle opération, comment remplacer efficacement toutes ces ouvrières si nombreuses et dures à la tâche ! Songeons qu’une abeille visite 250 fleurs en une heure, y compris dans les endroits les plus inaccessibles, et une ruche peut traiter à elle seule jusqu’à 30 millions de fleurs en une journée.

Souvenons-nous du DDT…

Synthétisé pour la première fois en 1874, ce « produit miracle » sort de l’anonymat en 1939 grâce à Paul Hermann Müller, qui découvre ses propriétés neurotoxiques pour les insectes ; de plus il est chimiquement stable et peu coûteux. Dès 1943, l’armée américaine l’utilise massivement pour enrayer une épidémie de typhus à Naples. À partir de 1945, on lance des programmes dans 48 pays pour tenter d’éradiquer le paludisme. L’épidémie est enrayée en Grèce en une année ; en Inde, on passe de 75 millions de cas à seulement 50 000 en quinze ans ; en Afrique du Sud, le nombre de cas est divisé par dix. Le DDT à lui seul sauve des millions de vies humaines et son inventeur obtient pour cela le prix Nobel de médecine. Symbole du modernisme de la fin du xxe siècle, il est utilisé abondamment, voire abusivement en agriculture.

Cependant, en 1962, la scientifique Rachel Carson observe que des oiseaux insectivores meurent en masse dans des zones où le DDT a été épandu. Dans son livre Le Printemps silencieux, elle tire la sonnette d’alarme à propos des pesticides et prédit la destruction massive des écosystèmes de notre planète. On s’aperçoit alors progressivement des inconvénients majeurs de ce produit :

–       sa « demi-vie » est de quinze ans, c’est-à-dire que si on en pulvérise 100 kg dans un champ, quinze ans après il en restera 50 kg ;

–       il est dispersif et peut être transporté dans l’atmosphère sur de longues distances : on en a retrouvé dans les neiges de l’Arctique ;

–       il est biocumulatif : les animaux qui en absorbent sans en mourir ne parviennent pas à l’éliminer et le stockent dans leurs graisses. Il se concentre alors tout au long de la chaîne alimentaire, y compris très loin des zones d’épandage, par exemple dans le corps des animaux polaires. On en a finalement retrouvé en forte concentration dans le lait maternel ;

–       il fragilise les coquilles des œufs en diminuant leur épaisseur, ce qui a entraîné la quasi-disparition d’espèces d’oiseaux comme les pygargues, les faucons pèlerins et les pélicans bruns ;

–       il est toxique par voie orale. Heureusement, il ne l’est pas par voie respiratoire ou cutanée. Les gens qui ont porté des vêtements imbibés de DDT pour se protéger des insectes n’ont pas été infectés. Mais il a surtout une toxicité chronique à long terme ; la dose journalière admissible est de 1 200 µg par jour.

Finalement, en 1969, l’OMS a abandonné son programme d’éradication du paludisme par le DDT ; la France et les États-Unis le bannirent en 1972, et,  à la conférence de Rio de 1992, il a été désigné comme l’un des 16 polluants organiques persistants interdits.

…Pour analyser sereinement les nouveaux insecticides

Au démarrage les scientifiques avaient pensé faire une avancée majeure : pour diminuer, voire supprimer les pulvérisations aériennes, très polluantes, ils ont mis au point des insecticides systémiques (qui pénètrent le système même de la plante), et ont eu l’idée d’en enrober les graines elles-mêmes. On repoussait ainsi d’entrée de jeu les prédateurs du sol, puis, au fur et à mesure où la plante poussait, les prédateurs aériens. Mais pour ce faire, il a bien entendu fallu concentrer fortement le produit actif (on arrive actuellement à des concentrations 5 à 10 000 fois plus fortes que le vieux DDT). Les inventeurs de ces produits les ont déclarés « sélectifs », en assurant en particulier que la plante n’en mettrait pas dans ses fleurs, seulement dans ses feuilles, et que donc les pollinisateurs seraient, eux, épargnés. Il semble bien que ce ne soit pas toujours le cas… sans compter les dégâts faits dans le sol, où l’insecticide persiste plusieurs années, attaquant des animaux aussi indispensables que les vers de terre, et bien d’autres, puis en partant dans les cours d’eau et en attaquant la faune aquatique.

Il faut donc avoir le courage de se demander si le remède n’est finalement pas pire que le mal ! Si, pour protéger les récoltes d’aujourd’hui contre les insectes prédateurs, on tue également les pollinisateurs, on n’aura plus de récoltes du tout dans quelques années ! Si, pour avoir des céréales et oléagineux vigoureux, il faut sacrifier les fruits et légumes, c’est trop cher payé.

Bien entendu, en la matière, tous les lobbys se déchainent, et on n’a encore rien vu puisque les politiques n’ont pas encore réellement commencé à prendre des mesures conservatoires. Les industriels de la protection des plantes vont dépenser sans compter pour sauvegarder leurs marchés (2 milliards d’euros annuels en France, 40 dans le monde). De nombreux agriculteurs et leurs organisations (coopératives, syndicats, chambres) vont étaler leur désarroi, ne sachant pas, ou plus, comment produire efficacement sans ces béquilles si commodes. De l’autre côté, des organisations écologistes vont demander de tout arrêter sans délai, et dans le même mouvement tout ce qu’ils appellent le « productivisme ». On n’a pas fini d’en parler ! Et le minuscule lobby des apiculteurs ne doit pas être considéré comme quantité négligeable, car ce sont de vrais porte-parole des « sentinelles de la Terre » (exemple : Sauvons les abeilles).

Mais quand même, l’heure est grave, il s’agit ni plus ni moins que de la survie de l’agriculture et donc de l’humanité derrière cette histoire d’abeilles. Il reste à espérer que ces acteurs, et surtout les hommes politiques, seront à la hauteur des enjeux réels.

On peut être productifs sans ces pesticides !

Dans ces débats, il ne faut pas non plus « jeter le bébé avec l’eau du bain » ! On a vraiment besoin de produire de la nourriture, énormément de nourriture, de plus en plus de nourriture sur terre. Il faut encore augmenter de 70 % la production agricole mondiale, et baisser radicalement la production dans les régions du globe où l’agriculture est efficace sans savoir si les zones d’agriculture peu productives pourront augmenter leur production et prendre le relais, c’est prendre le risque d’une déstabilisation majeure de la paix dans le monde : émeutes de la faim, révolutions, guerres, terrorisme, extrémismes de tous bords.

Il est donc plus qu’urgent de mettre en œuvre beaucoup plus rapidement les solutions « écologiquement intensives » pour l’agriculture : intensifier les processus écologiques au lieu d’intensifier les processus chimiques. A l’association AEI (pour une agriculture écologiquement intensive) on rassemble des gens de tous bords qui commencent à avancer résolument dans ce sens, via de nombreuses voies très prometteuses.

Ça tombe bien en France on met en place actuellement une nouvelle loi d’avenir pour l’agriculture. Il est plus qu’urgent de « produire autrement » comme le préconise (bien timidement) le Ministre Le Fol. Et de produire… avec abeilles.

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Comment manger bien quand on a un petit pouvoir d’achat ?

Interview reprise partiellement par le site ATLANTICO, le 4 juin 2014

1) Le dernier rapport de la Cour des comptes concernant la qualité des produits dits « premier prix » est préoccupant. Selon ce dernier, la consommation régulière de ce genre de produit pourrait « avoir à terme des répercutions sur la santé publique ». Existe-t-il des solutions qui permettraient aux petits budgets de se nourrir correctement, tout en évitant de piocher dans les « prix spéciaux » des supermarchés ?

Tout d’abord analysons le contexte. Dans les années 60, les Français dépensaient en moyenne le quart leurs revenus pour se nourrir. Aujourd’hui, entre 12 et 15 % ! On dépensait alors deux fois plus pour se nourrir que pour se loger, maintenant c’est exactement l’inverse. Et on commence à dépenser plus pour ses loisirs (téléphone, jeux, télévision, sorties, vacances) que pour se nourrir ! Donc, sauf rares exceptions, dans notre pays, dépenser très peu pour se nourrir est d’abord un choix (personnel ou collectif). Qu’est-ce qui nous empêche vraiment de dépenser un peu moins en téléphone et un peu plus en aliments plaisir et santé ?

Deuxième idée, « quand on achète un produit, on achète le monde qui va avec ». Chacun se doute qu’une part de lasagnes surgelées à 1 ou 2 €, c’est louche ! En choisissant de l’acheter, même si on ne veut pas se le dire, on choisi les appels d’offres internationaux, le recours à des traders néerlandais et chypriotes, et on prend le risque qu’au milieu de ce maelström, on se retrouve avec des intermédiaires malhonnêtes, du cheval roumain à la place de bœuf français, et d’une manière générale, derrière un emballage flatteur, pas grand-chose qui nourrisse vraiment. Choisir systématiquement les produits les moins chers, c’est opter pour la mondialisation, le chômage en France, et des nourritures approximatives et pas toujours bien contrôlées.

Pourtant, rien n’empêche, à un coût raisonnable, de reprendre la main sur son alimentation. Par exemple manger moins de viande (quatre à cinq fois 100 grammes par semaine suffit amplement), mais… de la bonne ! N’acheter que les produits dont on a réellement besoin en se méfiant des promotions sur les quantités (vous en achetez trois je vous offre le quatrième), qui en fait ne servent qu’à remplir nos poubelles. Reprendre l’habitude d’accommoder les restes. Manger davantage de légumineuses qui apportent à peu de frais d’excellentes protéines végétales (lentilles, haricots, etc.). Manger des légumes et des fruits de saison.

soupe Minestrone

La soupe de légumes de saison, c’est la base, et elle peut être épluchée par Monsieur !

Faire une grande soupe de légumes le dimanche soir pour toute la famille jusqu’au mercredi. Ne pas se laisser impressionner par les dates limite de consommation et les dates limites d’utilisation optimale, pour éviter de jeter inconsidérément, etc.

2) Que peut-on acheter en toute sérénité dans la grande distribution ?

Chaque fois que c’est possible, privilégier les produits les plus simples : les fruits et les légumes (de saison), les laitages de base comme les yaourts, la viande à la coupe, etc. Et les produits les plus complets possibles, qui nourrissent mieux : le pain de campagne plutôt que la baguette, le sucre roux plutôt que le blanc, etc. Et le bio…

3) Et d’une manière générale, que faut-il éviter d’acheter dans les supermarchés ?

Si possible, ne pas trop se laisser avoir par les campagnes tapageuses pour les produits élaborés, lorsqu’elles sont axées sur le prix ou les remises quantitatives. Prendre du recul et savoir se dire « c’est louche » ! Ceci n’a rien à voir avec les promotions sur les fruits et légumes ; sur ce terrain, on peut profiter des aubaines, et réapprendre à faire des compotes et confitures, ou plats surgelés !

4) Les citadins sont-ils condamnés à faire la chasse aux coupons de réduction et au lancement de produits en promotion ?

Non, c’est évidemment un choix ! On peut tout aussi bien consacrer la même énergie, le même temps et le même argent à cuisiner de bons produits de base et à éviter le gaspillage.

5) Les circuits courts, et l’approvisionnement direct chez le producteur sont des alternatives à la fois économiques et qui permettent aux habitants en province de manger plus sainement. Quelles solutions existe-t-il et qui combinent à la fois la qualité des aliments et le bon respect des conditions d’hygiène ?

Bien entendu, chaque fois que c’est possible, on a raison de privilégier les circuits courts, pour obtenir des aliments frais et de saison, qui ont de plus grandes chances d’être bons et nutritifs. Mais cela suppose d’y consacrer du temps… Le supermarché, où l’on peut faire les courses de toute une semaine en moins d’une heure, a encore de beaux jours devant lui dans notre société d’agités ! Mais rien n’est simple : d’une manière générale, les produits vendus en supermarchés sont davantage contrôlés que ceux vendus dans les marchés ! La belle salade verte du marché a peut-être été cultivée au bord de l’autoroute ou sous les pistes d’un aéroport, et pourrait bien contenir quelques métaux lourds… De la même manière, l’éleveuse bio de nos montagnes avait peut-être la grippe au moment où elle faisait le bon fromage de chèvres !

6) Quel budget faut-il vraiment prévoir ?

Est-ce vraiment déraisonnable d’aller à contre-courant et de dire que les Français ne dépensent pas assez pour se nourrir correctement, et n’y consacrent pas assez de temps ? Délaissons un peu notre téléphone portable et réinvestissons un peu notre cuisine ! Depuis des millénaires, c’est en partageant le pain qu’on se fait des « co-pains », pas en regardant la télé en mangeant n’importe quoi ! Que ceux qui ont de l’argent en consacrent un peu plus à cette activité (ce qui leur fera économiser des frais médicaux), et que les autres y consacrent déjà davantage de temps !

7) Y-a-t-il des initiatives qui aujourd’hui ne permettent pas un accès régulier et économique à des produits inoffensifs pour la santé, mais qui présentent des perspectives intéressantes pour l’avenir ?

Cette reprise en main de notre alimentation nécessite d’être collective : multiplions les jardins potagers dans et autour des villes, organisons des circuits courts, mettons en place des systèmes de distribution efficaces de produits qui approchent de la date limite, ou de fruits et légumes dont la taille, la forme ou l’apparence ne sont pas dans les canons actuels mais qui reste excellents au goût et pour la santé, multiplions les initiatives d’éducation au goût et de lutte contre le gaspillage dans nos écoles, collèges et lycées, etc.

8) Le rapport de la Cour des comptes s’alarme entre autre de la sécurité alimentaire liée au respect de l’hygiène des circuits de distribution. En effet, les contrôleurs financiers ont constaté la présence de moisissure, de viandes « grises-verdâtres dans des charcuteries, moisissures, souris vivantes ou mortes, excréments de souris dans des étuves à chorizo ». Est-il possible aujourd’hui d’avoir accès à des aliments frais parfaitement propres à la consommation ?

Tant qu’il y aura des hommes, il y en aura pour tricher, en matière alimentaire comme dans le reste de la société ! C’est pourquoi, dans tout pays démocratique, police et justice sont des services publics. Or, avec les difficultés financières que connaît le gouvernement, la tendance est malheureusement au relâchement sur le front de la « police alimentaire », en particulier les effectifs des services de la répression des fraudes (DGCCRF et Oclaesp) diminuent. On peut donc estimer que certains indélicats ou fraudeurs passent au travers. De ce point de vue, il reste donc « risqué » d’aller manger dans le « boui-boui » du coin, surtout dans les régions et les périodes touristiques. Mais ce n’est en général pas le cas de la grande distribution, ni des grandes chaines de restauration, beaucoup mieux contrôlées, et pour qui l’incident sanitaire aurait de telles conséquences qu’elles s’efforcent activement d’en minimiser les risques. A les fréquenter, l’obésité est souvent, et malheureusement, assurée à terme, mais au moins on ne risque pas de mourir après souper ! Rappelons cependant que les performances sanitaires de notre pays sont, malgré tout, exceptionnelles, il suffit de constater la fréquence des diarrhées dont nous sommes victimes lorsque nous faisons du tourisme à l’étranger. Mais ne nous relâchons surtout pas sur ce point !

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Commerce agroalimentaire Europe-USA : d’abord une affaire de culture

Article paru dans Paris Dépêches :

http://w1p.fr/121280

Les négociations en vue d’un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne font l’objet de débats polémiques à l’occasion de la campagne pour les élections européennes, avec des slogans du type « pas de poulets chlorés ni de bœufs aux hormones américains chez nous ». Les débats se cristallisent autour des produits agroalimentaires : OGM, hormones de croissance en viande bovine, poulet au chlore, vins, fromage, foie gras, etc. Au-delà de la confrontation directe d’intérêts économiques considérables, il convient de bien comprendre l’ampleur des différences culturelles sous-jacentes. Car si les français se sentent agressés par des produits américains, l’inverse est tout aussi patent, ce qui explique peut-être la lenteur des négociations ! En effet, comme le disait Claude Levi-Strauss « Il ne suffit pas qu’un aliment soit bon à manger, encore faut-il qu’il soit bon à penser »… et donc à commercer ! Tentons donc de comprendre les fondements de ces incompréhensions. C’est l’occasion de relire un article écrit à l’ouverture de ces négociations, eu printemps 2013.

Qu’est-ce qu’un « bon » aliment, et comment se construit la confiance collective dans sa qualité ? Les réponses à ces questions sont extrêmement différentes de part et d’autres de l’Atlantique, en face de gens qui chaque jour passent en moyenne une heure de moins que nous à table (74 mn contre 135) mais entre-temps boivent 4 fois plus de sodas (190 litres par an contre 50)…

La suite en téléchargement ici (faire « Download dans la barre du bas) :

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4 tonnes d’eau tous les jours dans mon assiette

Quand on commande un café, on n’a pas l’impression de boire beaucoup d’eau, surtout s’il est « serré », à tel point qu’on le commande souvent avec un verre d’eau. Mais beaucoup de gens seraient surpris s’ils réalisaient que pour produire ce café, il a fallu dépenser 140 litres d’eau, l’équivalent d’une baignoire. Eau virtuelle bien sûr, toute l’eau qu’il a fallu utiliser pour que le caféier pousse, produise ses branches, ses feuilles, ses fleurs, et en fin de course la petite graine qu’on a torréfié. Sans oublier la transpiration de la canne à sucre pour produire sa sève dont on a extrait le sucre. Pire pour le chocolat, dont on ne mange même pas toute la graine, mais seulement le beurre qu’on en extrait.

Tasse de café avec café

Le café, c’est issu de la graine de caféier, lequel boit beaucoup d’eau !

Vu comme ça, une tasse de thé c’est nettement moins vorace ! Le Camellia sinensis, lui, nous offre ses feuilles et non pas ses graines, et bien entendu, il produit beaucoup plus de feuilles que de graines, ce qui fait que dans une tasse de thé il n’y a « que » 40 l d’eau, presque quatre fois moins que dans la tasse de café.

Cette notion d’eau virtuelle était au cœur d’une séquence télé que j’ai enregistrée le 7 mai au marché d’Aligre à Paris ; nous nous sommes promenés avec Marie Drucker au milieu des étals en devisant sur la quantité d’eau qu’il fallait pour produire ce que l’on y voyait, dans le cadre de la préparation d’une émission qui passera sur France 2 au début de l’année 2015 : « Nous et l’eau ».

Le moins « coûteux » évidemment c’est le légume : quand on mange une salade, une carotte ou une asperge, on mange l’essentiel de la plante elle-même. Pourtant, toute personne qui a porté des arrosoirs dans un jardin potager se souvient qu’il en faut de l’eau pour produire une laitue ! Bref, il faut quand même compter 200 à 300 litres d’eau par kilo de légumes…

Marché-dAligre 2

Le légume, plus rentable que le fruit, ou la graine !

Évidemment, la situation se gâte quand on passe au fruit, puisque là on ne mange qu’une toute petite partie de la plante qui auparavant a consommé beaucoup d’eau pour fabriquer du bois, des feuilles et les fleurs. Comptons 40 à 50 litres d’eau par simple pomme ou orange, plus d’une demi-tonne par kilo. Quand on passe au jus, évidemment on concentre encore, et là il faut bien imaginer qu’on est autour de la tonne d’eau (7 baignoires !) pour obtenir 1 litre de jus d’orange.

Il se passe la même chose pour les graines : pour pouvoir accéder aux grains de blé, de maïs ou de riz, il a fallu faire pousser toute une plante, laquelle a, au sens strict, beaucoup transpiré pour pousser (puisque c’est en fait la transpiration de la plante qui est son « moteur », celle qui permet à la sève de monter par capillarité en luttant contre la pesanteur terrestre). En gros, il faut compter 1 tonne d’eau par kilo de céréales ! Vu comme ça il est inutile de chercher à tremper sa tartine : elle contient déjà (virtuellement) 40 à 50 litres d’eau !

Quand on passe aux produits élaborés, on augmente évidemment la concentration : pour pouvoir produire de la viande ou du fromage, il a fallu nourrir pendant des mois sinon des années les animaux concernés et ils ont bien évidemment consommé eux-mêmes indirectement toute l’eau qui a été nécessaire pour faire pousser les plantes qu’ils ont mangé. De ce point de vue-là, le poulet est relativement économe, puisqu’il ne faut qu’entre 3 et 5 kg de végétaux pour produire 1 kg de poulet. Réalisons néanmoins que dans un poulet de 2 kg, il y a virtuellement 8 tonnes d’eau !

Sous cet aspect, l’animal le moins rentable c’est la vache : pour produire 1 kilo de steak, a fallu utiliser 12 tonnes d’eau, pour 1 litre de lait 1 tonne, et donc, pour 1 kilo de fromage, 5 tonnes (soit la contenance de 35 baignoires !)…

Mais entendons-nous bien : lorsque la pluie tombe sur les monts d’Auvergne, elle fait pousser de l’herbe et c’est très heureux puisqu’on ne peut pas y faire pousser de céréales. Le bœuf y rumine paisiblement et nous donne sa viande, tout va bien pour la nature ! (Sauf pour le bœuf…) Ça n’est pas du tout ce qui se passe dans les élevages intensifs où on a transformé les herbivores en granivores en les nourrissant au maïs et au soja. D’une part cela introduit une concurrence énorme sur la nourriture que les hommes peuvent manger directement, et d’autre part cela introduit une ponction de plus en plus importante sur nos ressources en eau.

Or ces ressources sont limitées puisque 97 % de l’eau disponible sur terre est salée, et donc ne sert à rien pour l’agriculture, et que les deux tiers de l’eau douce est inaccessible : gelée dans les glaciers et les banquises, ou enfouie dans des nappes trop profondes. L’eau dont on parle, l’eau douce accessible et utilisable, ne représentent donc que 1 % de l’eau de la planète et elle est malheureusement très mal répartie. Or cette eau sert essentiellement à manger, en moyenne à raison de 70 % de ses utilisations (de ce point de vue, l’eau pour se laver les dents ou pour la chasse d’eau des toilettes est finalement assez anecdotique). D’où la question, loin d’être anecdotique : aurons-nous assez d’eau pour manger demain, lorsque nous seront 9,6 milliards de terriens, et qu’il aura fallu augmenter de 70 % la production agricole mondiale ?

Dans un pays privilégié par la nature comme la France, on n’est pas inquiet : on a de l’eau et ça n’est pas prêt de s’arrêter… Regardons quand même l’avenir ! Avec le réchauffement climatique nous risquons de manquer d’eau assez souvent pendant l’été dans la moitié sud de la France, et il faut donc commencer à changer nos habitudes. Commençons donc par mettre davantage de carottes et un peu moins de viande dans notre bœuf-carottes, ça l’allègera virtuellement !

Songeons qu’en France, dans l’agriculture irriguée, nous avons pris des habitudes de gabegie. Il nous faut maintenant apprendre des pays chauds et secs où les agriculteurs comptent chaque goutte d’eau depuis des siècles : Israël, l’Égypte, les pays du Sahel etc. On a déjà fort heureusement arrêté d’inonder purement et simplement nos champs, pour passer à l’arrosage par aspersion. Il nous faut maintenant passer systématiquement à l’arrosage de nuit et à la couverture permanente des sols, qui diminuent considérablement l’évaporation. Et surtout, il faut passer à l’arrosage souterrain par goutte-à-goutte. Mais aussi choisir de faire pousser des plantes originaires de pays arides, et donc moins gourmandes en eau, comme le sorgho, plutôt que de systématiser la culture de plantes originaires de pays humides, comme le maïs, qui nécessitent d’importants apports d’eau justement dans les périodes où on en manque, entre juin et septembre.

En revanche, quand on exporte notre blé au Moyen-Orient, il faut imaginer que l’on exporte aussi 1 tonne de notre eau de pluie du printemps pour chaque kilo échangé. Songeons que l’Europe et l’Amérique du Nord envoient ainsi chaque année dans cette région, condensée indirectement sous forme de céréales, l’équivalent de l’eau que l’Égypte ponctionne sur le Nil. Et que pour nourrir nos poulets et nos cochons, nous importons en France sous forme de soja et de maïs énormément d’eau d’Argentine et du Brésil.

Prenons donc conscience que si nous buvons directement 1,5 litres d’eau tous les jours, nous en consommons en fait de 120 à 150 litres pour nos activités domestiques (la douche, la vaisselle, la chasse des toilettes, etc.)… et 4 000 litres virtuellement dans notre assiette. Sans compter que chaque feuille de papier coûte 10 litres d’eau, chaque jean 11 tonnes, etc. Un français moyen carnivore, buveur de café, adepte de la mode vestimentaire, etc. consomme en fait entre 50 et 100 fois son propre poids d’eau tous les jours ! Il est temps de se raisonner.

 

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Donner du sens à notre assiette

Le texte de la communication orale que j’ai faite au colloque 2013 du Conseil National de l’Alimentation, sur le thème du sens à donner à notre assiette.

Attention : style « parlé », c’était un discours, pas un texte universitaire !

NB. : Pour télécharger le document (8 pages), aller sur « Download » en bas du texte

 

Donner Du Sens à Nore Assiette CNA_Colloque_Valence_2013_BParmentier

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